Suisse
Interview

Russie-Ukraine: «Une adhésion de la Suisse à l’UE n’est pas impossible»

Pascal Couchepin. Fribourg, 18 octobre 2014
Pascal Couchepin. Fribourg, 18 octobre 2014 image: keystone
Interview

Pascal Couchepin: «Une adhésion de la Suisse à l’UE n’est pas impossible»

Guerre en Ukraine: le Valaisan Pascal Couchepin, ancien conseiller fédéral, réagit aux sanctions prises lundi par le gouvernement contre la Russie.
01.03.2022, 06:1008.05.2023, 19:32
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La neutralité de la Suisse n’est-elle pas morte lundi, avec un Conseil fédéral adoptant dans toute leur vigueur les sanctions de l’Union européenne frappant l’agresseur russe?
Pascal Couchepin:
Non, je ne le pense pas. La neutralité suisse est une neutralité armée, qui porte la marque de l’Histoire. Elle a été imposée à la Suisse par le Congrès de Vienne en 1815. A l’époque et pendant les siècles qui ont suivi, personne n’imaginait que la neutralité puisse signifier autre chose que rester en dehors d’un conflit armé. Aujourd’hui, la guerre prend des formes qui échappent totalement aux règles de la neutralité traditionnelle. Cependant, la Suisse est bien inspirée de reprendre les sanctions adoptées par les Nations unies ou par l’Union européenne, notre voisin et partenaire principal.

Si l’Union européenne décide d’aller plus loin dans les sanctions contre la Russie, par exemple en excluant plus durement encore la Russie de la plateforme interbancaire Swift, la Suisse devra-t-elle, là aussi, suivre le mouvement?
Nous pourrions difficilement ne pas suivre. Ce qu’il faut absolument éviter, c’est que notre attitude vienne à saboter les mesures prises par l’Union européenne.

Revenons-en à la neutralité. La Suisse, depuis lundi après-midi, reste-t-elle bien neutre au sens du droit international?
Oui, elle le reste. Mais nous savons aussi que la neutralité n’est pas inscrite dans les buts de la Constitution, qu’elle est un moyen de politique étrangère. Autrement dit, la neutralité est subordonnée aux intérêts généraux de la Suisse.

Si l’on considère les décisions prises lundi par le Conseil fédéral comme un tournant majeur, ne doit-on pas, alors, logiquement envisager une adhésion de la Suisse à l’Union européenne, sur laquelle elle s'aligne complètement? On ne voit plus vraiment où se situe la spécificité suisse par rapport à l'UE.
Une adhésion de la Suisse à l’UE n’est pas impossible dans le futur. Mais c’est impossible aujourd’hui. Entreprendre une manœuvre d’adhésion serait envisageable si nous avions un gouvernement soudainement aventureux, mais ce n’est pas le cas. Je doute que dans l’état actuel des chose, l’opinion suisse bascule en faveur d’une adhésion.

«Que voulez-vous? Il n’y a pas de décisions sans effets»

Vous-même, à titre personnel, y seriez-vous favorable?
Je crois avoir été l’auteur ou le coauteur de la formule qui a été celle du gouvernement suisse pendant des années, disant que l’adhésion à l’Union européenne était une option qu’il ne fallait pas écarter d’emblée.

Cette option demeure-t-elle aujourd’hui?
Non. J’ajouterais qu’il est inutile de faire de la politique-fiction lorsqu’on est un ancien magistrat.

Vous qui êtes valaisan, que pensez-vous des retombées des sanctions adoptées ce jour par la Suisse sur le tourisme russe dans votre canton?

Il y a en effet un certain nombre de touristes russes dans les grandes stations. J’ai moi-même invité l’an dernier à venir en Valais deux jeunes Russes que j’avais rencontrés à Moscou. Que voulez-vous ? Il n’y a pas de décisions sans effets. Si elles n’ont pas d’effets, c’est inutile de les prendre.

«Nous avons été confrontés au risque de faillite de l’UBS»

Avez-vous été confronté à une crise majeure lorsque vous étiez conseiller fédéral, entre 1998 et 2009?
A part l’attaque des Etats-Unis contre l’Irak en 2003, la plus grande crise que j’ai vécue était liée à la crise financière des subprimes, en 2008. J’étais alors président de la Confédération. Nous avons été confrontés au risque de faillite de l’UBS.

Vous souvenez-vous de tiraillements au sein du Conseil fédéral à cette occasion?
Je me souviens que dans cette affaire, avec Mme Evelyne Widmer-Schlumpf, à l’époque cheffe du Département de justice et police, qui suppléait M. Hans-Rudolf Merz, le chef du Département des finances, qui était tombé malade, nous avions très bien anticipé les choses. Il y avait eu des discussions, mais sans tiraillements.

Lorsque vous étiez chef de Département de l’économie, il vous arrivait de vous disputer avec vos collègues à la Défense Adolf Ogi et Samuel Schmid. Vous préconisiez des économies, eux, des dépenses pour la troupe ou pour l'achat d'armes. Dans les années 2010, la doctrine financière ne varia pas: il était demandé à l’armée de faire des économies. Avec le coup de force russe, ne va-t-on pas en Suisse devoir dépenser plus pour l’armée?
A l’époque, le problème était moins celui des dépenses que celui des effectifs. Au début des années 2000, l’armée, en comptant les réserves, pouvait avoir 600 000 hommes. C’était un nombre disproportionné. L’idée était de réduire les effectifs tout en modernisant l’armement. Ce qui a été fait pour les avions et dans d’autres domaines. La réduction des effectifs permettait de ne pas augmenter massivement les budgets militaires, cela ne les réduisait pas automatiquement non plus.

«Il faudra peut-être augmenter le budget de l'armée»

Justement, ce statu quo est-il encore d’actualité?
Que voit-on à présent? On voit que l’Allemagne fait un effort budgétaire important pour renforcer son armée. La part consacrée par la Suisse à ses dépenses militaires est très faible (réd: 0,8% du PIB en 2020, source: Banque mondiale). Si la tension perdure, il est possible qu’il faille adapter ce budget à la hausse, en tenant compte des formes contemporaines de guerre. Il faut avoir une force aérienne importante et des moyens de défense à longue distance.

Comment voyez-vous évoluer la situation en Ukraine?

C’est un point d’interrogation. Ou les parties trouvent assez rapidement un accord, avec quel prix pour l’Ukraine, ça, c’est une autre question. Ou alors, on peut imaginer, ce qui serait assez dramatique, que la guerre se poursuive entre l’Ukraine officielle, soutenue par l’Ouest, et les dissidents du Donbass, soutenus ouvertement par la Russie. Ça deviendrait, même s’il faut se garder des comparaisons, une sorte de longue guerre d’Espagne entre deux groupes nationaux bénéficiant de soutiens extérieurs. C’est un peu ce qui est arrivé en Géorgie. Le conflit est gelé, mais il peut resurgir du jour au lendemain.

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