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Interview

«Seul un tiers de l'armée suisse est capable de se battre»

Des soldats suisses.
Des soldats suisses.image: shutterstock
Interview

«En cas de guerre, seul un tiers de l'armée suisse est capable de se battre»

Officier supérieur dans l'armée suisse, Monsieur X, qui souhaite rester anonyme, passe en revue les forces suisses, à l'heure de la guerre en Ukraine.
15.03.2022, 05:5710.05.2023, 18:37
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Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, de la même façon qu’il y a eu, en France, des conseils de défense à l'initiative du président de la République, y a-t-il eu, en Suisse, des réunions au sommet associant l'exécutif politique et le commandement de l'armée ?
Monsieur X:
Certainement. De tels conseils existent en Suisse depuis une quinzaine d’années, à l’occasion d’événements particuliers, tel que le World Economic Forum de Davos. Cela porte le nom de Délégation du Conseil fédéral à la sécurité.

Quelles décisions ont pu être prises par la Suisse depuis le début de la guerre en Ukraine?
Au cours des dernières semaines, on constate qu’un certain nombre de points sensibles ont été abordés au niveau fédéral. Par exemple: par l’Office fédéral de la protection de la population, entre autres dans le domaine nucléaire, ou par l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays.

Et sur un plan militaire?
Ce qui peut être aujourd’hui examiné, revu ou adapté, c’est tout ce qui touche à la planification prévisionnelle. En fonction de ce que l’on veut faire, il s’agit de voir quelles sont les troupes, quelles sont les unités, le nombre de personnels qu’il faudrait mettre sur pied, quels sont les matériels spécifiques qu’on souhaiterait utiliser, le tout, dans quels délais. Ici, c'est le commandement des opérations qui joue un rôle central.

«C'est un dialogue entre le militaire et le politique»

Qu’en est-il de l’approvisionnement en munitions?
A l’échelon du chef de l’armée, le but n’est pas de faire du micro-management. Il est de dire ce qui est nécessaire à l’armée pour répondre à une situation extraordinaire. Le commandement fera ainsi savoir, au Conseil fédéral, de quels crédits supplémentaires l’armée a besoin pour pouvoir remplir ses missions.

Vu la situation extraordinaire créée par le conflit en Ukraine et les risques d’escalade y afférents, ne doit-on pas en déduire que l’armée a déjà demandé des crédits supplémentaires au Conseil fédéral, à charge pour lui de les soumettre au Parlement?
Nous nous situons, ici, dans un dialogue entre le militaire et le politique. Il n’y a pas une personne qui aurait tout juste et une autre qui aurait tout faux. La question est, en fin de compte, politique et elle est la suivante: à quel moment est-il opportun de mettre sur la table des demandes de crédits extraordinaires?

Et vous, qu'en pensez-vous?

«Ce qui est indéniable, et la chose est connue depuis plus de 20 ans, c’est que l’armée suisse n’est aujourd’hui pas capable de mobiliser l’ensemble de ses 100 000 soldats. Seul un tiers des effectifs serait susceptible d’être équipé pour aller au combat»

Si bien que?
Si bien que, dans la situation actuelle, en fonction des capacités existantes, il faut se demander ce que l’on veut faire et ce que l’on peut faire.

«En 1956 a été décidé un réarmement massif»

Dès lors, faut-il s’attendre à ce que le Conseil fédéral demande au Parlement des crédits extraordinaires?
C’est un peu comme cela que les choses se sont passées à plusieurs moments de l’histoire suisse. Je pense en particulier à la crise de Budapest en 1956, lorsque des chars soviétiques ont écrasé l’insurrection populaire contre le régime communiste. Cette crise, qui se situait déjà dans une période de réarmement, a donné lieu, côté suisse, à un effort militaire exceptionnel. C’est à ce moment-là que nous avons acheté le fusil d’assaut 57, les avions Hunter en 1958, que nous avons décidé de fabriquer des chars de combat. Le réarmement a été massif. Il a même été décidé de se doter de la bombe nucléaire avant que cette idée ne soit abandonnée. Tout cela dans un mouchoir de poche de quelques années.

Quels sont les secteurs qui demanderaient à être renforcés?
Dans le domaine de la logistique, qui comprend l’approvisionnement en munitions, nous avons un système très performant, mais qui est dimensionné pour une armée en temps de paix et qui permettrait d’affronter une situation exceptionnelle qui ne durerait pas trop longtemps. Si on doit mobiliser l’armée dans la durée, l’enveloppe logistique n’est plus adéquate.

Pour qui doit travailler l'industrie suisse d'armement?

Si la Suisse décidait d’augmenter de manière substantielle son armement, trouverait-elle de quoi se fournir en suffisance sur les marchés?
La problématique n’est pas là. Elle se pose de la manière suivante: combien de temps faut-il entre le moment où la commande est passée et la réception de ce qui a été commandé. Cette question met le doigt sur la base industrielle et technologique de la Suisse. Nous disposions autrefois d’une solution satisfaisante avec Ruag, l’entreprise suisse d’armement.

«Maintenant l’armée traite avec des entreprises privées faisant jouer la concurrence par le fait qu’elles appartiennent à des groupes industriels allemands ou américains. On se retrouve dans la même position qu’en 1936. A l’époque, une loi avait été votée pour contrôler l’exportation des armements parce qu’il avait été décidé que la Suisse devait être prioritaire en termes d’approvisionnement en armes.»

Le Conseil fédéral pourrait-il contraindre ces entreprises à fournir en priorité l’armée suisse?
Nous n’en sommes pas encore là. Mais la question se pose à l’heure où l’on est en train de découper la base technologique et industrielle de l’armement de la Suisse.

«Il faut se rappeler qu’au cours des deux dernières décennies, l’essentiel des équipements achetés l’a été pour les missions d’appui aux autorités en cas de catastrophe et moins pour la défense en tant que telle. Cette dernière a représenté une petite partie des engagements de l’armée et des priorités»

Des engagements de quels ordres?
Pratiquement deux-tiers, un tiers en faveur du soutien aux autorités civiles. Notre défense aujourd’hui n’est plus celle de la Deuxième Guerre mondiale qui était tout entière tournée contre un ennemi extérieur. A présent, et c’est une décision du Conseil fédéral, seul un noyau de compétences au sein de la défense remplit cette tâche. Si l’on voulait véritablement manœuvrer avec des unités dans le terrain comme on le voit en Ukraine, il faudrait un certain temps d’adaptation. Au lieu d’aider au damage des pistes de ski, plutôt que d’entretenir des chemins forestiers ou encore de prêter assistance à des EMS, ce qui est en soi fort louable, nous nous concentrerions plus sur la défense antichar, par exemple. Autrement dit, il faudrait revoir certaines priorités.

La Suisse dispose-t-elle de suffisamment de forces blindées et aériennes?
Sur un plan qualitatif, c’est tout à fait comparable à ce qu’on trouve dans d’autres pays européens. Sur un plan quantitatif, les forces sont assez limitées. Sur 100 000 hommes, seul un tiers des forces, une fois encore, s’entraîne et est équipé pour une mission de défense.

Faut-il en déduire que la Suisse n’est pas tout à fait prête à un combat d’envergure et qu’elle aurait besoin d’un certain temps pour monter en puissance?

Oui, mais c’est un serpent de mer que vous posez là. Et puis, que constate-t-on?

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