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Interview

Hells Angels vs Bandidos: «Ils profitent d'une certaine impunité»

Frédéric Esposito, politologue et directeur observatoire sécurité à l'Université de Genève.
Frédéric Esposito, politologue et directeur observatoire sécurité à l'Université de Genève.
Interview

Hells Angels vs Bandidos en Suisse: «Ils profitent d'une certaine impunité»

Une fusillade au cœur de Genève, une bagarre dans un tribunal bernois, la guerre semble déclarée entre Hells Angels et Bandidos. Frédéric Esposito, politologue et directeur de l'observatoire de la sécurité à l'Université de Genève, nous éclaire sur le sujet.
02.06.2022, 16:55
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Mercredi dernier, une fusillade a éclaté dans un bar bondé au cœur de Genève. L'altercation opposait un membre des Hells Angels à un représentant des Bandidos, deux gangs de motards rivaux. La scène, digne d'un western Américain, en a choqué plus d'un. Pour Frédéric Esposito «c'est un miracle qu'il n'y ait pas eu de blessés.»

Dans le même temps, un procès s'est ouvert, ce lundi, à Berne, contre 22 motards impliqués dans la même guerre des gangs. En 2019, un homme avait reçu une balle à la suite d'une bagarre opposant Hells Angels et Broncos aux Bandidos à Belp.

En Suisse romande, des altercations d'une telle violence, entre gangs de motards, sont rares. Faut-il s'en inquiéter? Est-ce le début d'un affrontement généralisé? Frédéric Esposito, politologue et directeur observatoire sécurité à l'Université de Genève a accepté de répondre à nos questions.👇

Pour revenir sur ce qu'il s'est passé à Genève, ça vous surprend?
Frédéric Esposito: Ce qui est choquant, c'est d'abord le recours aux armes à feu: c'est quelque chose qui dans la culture européenne est quand même très rare. La deuxième chose, c'est que l'usage d'arme à feu se soit fait dans un lieu bondé, majoritairement fréquenté par nos étudiants. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu de blessés graves.

«Des armes à feu utilisées de cette façon, dans un irrespect absolu, sans aucune considération pour la prise de risques, je trouve cela particulièrement choquant»

Ces groupes de motards sont des criminels?
Si on se base sur les données qui nous viennent du continent américain, oui, ce sont des groupes criminels actifs. Aux Etats-Unis et au Canada, ils sont impliqués dans les crimes classiques, à savoir, le trafic de drogue, les paris sportifs, le contrôle de certains réseaux de prostitution et le blanchiment d'argent. Pour les cas suisses, je ne sais pas dans quelle mesure ils sont impliqués dans des affaires criminelles ou non. La question qui se pose, aujourd'hui, c'est de quelle façon les chapitres internationaux ont de l'influence sur ce qu'il se passe à Genève.

C'est quoi un chapitre?
Un chapitre, traduit de l'anglais «chapter» c'est l'équivalent d'une succursale: c'est un établissement qui dépend d'un siège central, tout en jouissant d'une certaine autonomie.

A la base, ce ne sont pas juste des gens qui aiment faire de la moto?
A l’origine oui, et cela fait toujours partie de leur ADN. Dans le cas des Bandidos, au début, c'étaient essentiellement des anciens soldats ayant combattu au Vietnam, des militaires qui voulaient se retrouver entre eux au travers de leur passion pour la moto. Pour les Hells Angels, c’est en grande partie une fascination pour les pilotes de chasse de l’armée britannique de la première guerre mondiale qui a dicté le choix du nom et de leur emblème. En fait, il y a toujours eu un lien avec l’armée et avec la volonté de retrouver un certain profil au sein des groupes. L’envie de faire de la moto reste toujours l’activité première.

Que font les autorités pour éviter les débordements liés aux gangs de motards?
Je ne veux pas répondre à leur place, mais dans ces cas-là, c'est de l'infiltration. Il faut être régulièrement en contact avec les principaux responsables de chapitres et être informé de leurs activités.

«A Genève, ils sont repartis à moto, sans être particulièrement inquiétés. Cela montre une certaine forme d'impunité dans leur façon de faire.»

Est-ce qu'on ne devrait pas les interdire tout court?
Pour pouvoir le faire, il faut de «justes motifs». C'est-à-dire que si ces groupes sont effectivement constitués autour d'appels à la violence, on peut le faire, mais cela nécessite de monter un dossier solide. La réunion en bande tombe dans le cadre de l'article 260 du Code pénal, qui est l'interdiction de réunion en bande organisée ayant des activités criminelles.

C'est quoi le vrai problème entre eux?
En fait, on est vraiment dans une logique de concurrence: il faut avoir le plus de chapitres actifs possibles et avoir le contrôle de certains territoires.

Pourquoi cette notion territoire est si importante pour eux?
Il y a deux aspects: le premier, c'est l'aspect identitaire. C'est bien connu, les gangs de rue aiment contrôler leur territoire, cela renforce leur sentiment d'appartenance à un groupe. Le deuxième aspect, c'est celui de l'économie. La définition de l'espace va permettre d'inclure ou d'exclure le bar ou le club que vous contrôlez.

«C'est également là où certains business autour de la drogue ont lieu»

Comment fonctionnent ces groupes?
C'est un système de parrainage. Il faut avoir un parrain pour rentrer dans le club. Certains clubs ont plus ou moins de rites de passage. Il faut bien entendu d'abord montrer un intérêt fort, mais ce n'est pas forcément suffisant, ni automatique. Une fois dans le club, il y a une très forte solidarité entre les membres. Est-ce qu'au nom de cette solidarité, vous risquez d'être impliqué dans certaines activités criminelles? C'est tout ce qui fait la différence d'un chapitre à l'autre.

«Ce n'est pas impossible que, pour tester votre loyauté, on vous mette à l'épreuve»

Bandidos, Hells Angels, il y en a d'autres?
En Suisse, on a trois gangs de motards actifs: les Hells Angels, les Broncos et les Bandidos, avec les Hells Angels et les Bandidos qui sont les plus connus.

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