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Interview

Vague de Covid-19: «Toujours une pandémie et l'automne sera décisif»

«Le Covid est toujours là et l'automne sera décisif», a déclaré Samia Hurst.
«Le Covid est toujours là et l'automne sera décisif», a déclaré Samia Hurst.
Interview

Samia Hurst: «Le Covid est toujours là et l'automne sera décisif»

A peine le Conseil fédéral avait-il libéré les Suisses de la plupart des mesures contre le Covid, que Vladimir Poutine annonçait l'invasion de l'Ukraine. Un drame chasse l'autre? Alors que le nombre de cas (et d'hospitalisations) prend l'ascenseur, on a passé un coup de fil à Samia Hurst, vice-présidente de la Task force, pour faire le point sur un «revenant» qui n'a jamais disparu.
14.03.2022, 05:4821.03.2022, 11:13
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Madame Hurst, pardon de vous dire ça, mais quel bien ça fait de reparler de Covid!
Pourquoi? Peut-être qu’effectivement on se sent plus démunis face à l’actualité en Ukraine: le Covid, nous savons mieux comment nous en protéger.

Non, simplement cette impression de ne pas avoir pu digérer tranquillement la levée des mesures.
Je comprends. Et c’est déjà arrivé dans des pandémies du passé. Lorsque nous nous sentons rassurés, nous avons tendance à avoir hâte de tourner la page et du coup à ne pas prendre le temps de digérer ce qui s’est passé. Ici, l’actualité capte en plus fortement nos attentions ailleurs.

Reste que, entre la fin des mesures et l’annonce de l’invasion de l’Ukraine par Poutine, l’agenda est effrayant de perfection.
Disons que le calendrier a renforcé cette impression selon laquelle la pandémie serait terminée, ce qui n’est en fait pas le cas. L’invasion de l’Ukraine a certainement contribué à faire oublier à de nombreuses personnes que le Covid était encore là.

D’ailleurs, depuis quelques jours, les chiffres prennent l’ascenseur. On doit s'inquiéter?
Moins qu’avant, mais nous ne sommes pas égaux face aux risques qui restent. Les infections augmentent, et désormais les hospitalisations aussi. Nos collègues des hôpitaux vont à nouveau au-devant de périodes difficiles, alors que l’épuisement gagne du terrain et que les absences pour maladie viennent alourdir encore davantage la situation.

Et du côté des soins intensifs?
L’immunité de la population est désormais suffisante pour qu’il y ait beaucoup moins de cas graves. C’est une très bonne chose, que nous devons largement à la vaccination et dans une moindre mesure à l’immunité acquise après guérison. Cette situation protège les accès aux soins intensifs pour ceux qui en ont besoin. Cela protège aussi la majorité d’entre nous: si vous êtes protégé par l’immunité parce que vous aviez un risque de base assez peu élevé, que vous avez rencontré trois fois la protéine spike (vaccination, guérison ou une combinaison des deux), vous n’avez pas trop de souci à vous faire.

Qui a du souci à se faire?
Si vous n’êtes pas en mesure de monter une défense immunitaire suite à la vaccination, alors vous êtes dans une situation difficile à l’heure actuelle. Le virus circule fortement, donc votre risque de l’attraper est élevé, et vous n’avez pas de protection contre les conséquences d’une telle infection. Il y a des maladies parfois invisibles dans la vie courante qui peuvent vous mettre dans cette situation. Si vous avez une immunodépression et que vous êtes professionnellement actif, votre vie pourrait dépendre de la souplesse de votre employeur ou de la patience qu’auront vos collègues avec le port du masque, car si vous êtes seul à porter un masque en période de forte circulation, la protection sera nettement moindre. Le risque d’un long Covid demeure difficile à quantifier avec précision. Cela peut aussi être une raison de s’inquiéter, surtout si votre système immunitaire n’a encore été exposé ni au virus ni à la vaccination.

J’ai d’ailleurs cru comprendre que vous étiez plutôt pour que l’obligation du port du masque perdure encore un moment…
Obligation ou non, on peut discuter, mais j’aurais surtout aimé que les gens continuent davantage de le porter dans les lieux publics en intérieur. Ça ne passe pas obligatoirement par une obligation.

«Heureusement que cette protection existe encore dans les transports publics, même si je vois aussi de plus en plus souvent quelques voyageurs sans masque dans le bus ou le train»

La décision de mettre ou non le masque dans d’autres intérieurs a maintenant été transmise à chacun d’entre nous, et c’est à nous d’agir de manière responsable: j’aurais trouvé cohérent que les lieux où le certificat n’a jamais été obligatoire, justement parce qu’ils doivent rester accessibles à tous, restent aussi accessibles pendant les heures de forte affluence, y compris pour les personnes fragilisées.

Vous parlez du masque dans les magasins?
Exactement. Un supermarché, et donc les produits essentiels qu’il vend, doit rester accessible à tous, et nous devrions pouvoir bénéficier de la plus grande sécurité possible.

«Certains d’entre nous sont particulièrement vulnérables depuis la levée des mesures Covid. On pourrait dire qu’il suffit de faire ses courses aux heures de moindre affluence et de rester à la maison pour se protéger, mais si vous travaillez, c’est mission impossible»

Les risques à venir

Vous rappeliez plus tôt que la page Covid n’est pas définitivement tournée. Il est où le plus grand risque dans le futur?
La saisonnalité va vraisemblablement jouer en notre faveur dans les mois qui viennent. Au printemps, même si on peut toujours avoir des surprises, on s’attend à ce que le nombre de cas diminue sensiblement. Concernant les risques à moyen terme, il y en a deux principaux. On ne sait pas quel variant circulera l’automne prochain, donc on ignore ses caractéristiques. On ne sait pas non plus combien de temps l’immunité continuera de nous protéger contre les formes graves, surtout l’immunité conférée par une seule guérison. Aujourd’hui, l’immunité qui nous protège, celle qui a fait baisser la première vague Omicron, est due principalement à une guérison récente. Tiendra-t-elle encore à l’automne, lorsque le délai sera plus long? Pour le savoir, il faudra mettre en place un suivi immunologique du taux de protection de la population pour avoir des réponses à la question “à quel point sommes-nous protégés” pour la deuxième partie de l’année.

La vaccination, c’est définitivement has-been?
C’est sûr qu’aujourd’hui, le nombre de nouvelles vaccinations a très fortement ralenti. En regardant les chiffres publiés par l’Office fédéral de la santé publique de Suisse (OFSP) jour après jour, on a l’impression que rien ne bouge. C’est dommage, car la vaccination est ce qui nous permet aujourd’hui d’être collectivement dans une situation nettement plus sûre qu’avant. La troisième dose devrait aussi être prise par davantage de personnes. Malheureusement, elle a pris trop de personnes de court.

«Les études initiales sur l’efficacité et la sécurité des vaccins ont été réalisées avec deux doses, alors qu’en fait il était prévisible que pour certains de ces vaccins, ceux qui ne se multiplient pas dans le corps car ils ne contiennent rien de vivant, il faudrait vraisemblablement trois doses»

C’est généralement le cas pour les vaccins qui ne contiennent rien de vivant. Beaucoup de vaccins connus depuis des années pour d’autres maladies fonctionnent ainsi. Mais ici, si les études avaient d’emblée testé trois doses, il aurait fallu attendre six mois de plus sans avoir accès à la vaccination. Si cette information avait été plus largement diffusée, et plus tôt, de nombreuses personnes auraient été moins surprises lorsqu’il s’est agi de faire une troisième dose pour compléter la vaccination de base.

Moi-même, je dois avouer que j’ai un peu lâché l’affaire. Je n’ai que deux doses et je ne sais toujours pas si j’ai eu le Covid. Suis-je un mauvais élève?
La réponse est dans votre question! Si vous avez été infecté par le virus en plus de deux doses de vaccin, vous êtes totalement protégé et pourrez donc vous considérer comme un bon élève. Si votre système immunitaire n’a jamais rencontré le virus lui-même, alors il vous manque effectivement une étape pour être vraiment serein.

Sauf qu’on ne sait toujours pas combien de temps nous sommes immunisés.
C’est vrai. Le temps pendant lequel une vaccination nous protège suffisamment pour ne pas avoir encore besoin de rappel, ce temps varie beaucoup d’un vaccin à l’autre. Et pour le connaître, il n’y a pas d’autre moyen que de s’armer de patience et de mesurer l’immunité à échéances régulières. Si cela dure dix ans, nous ne le saurons qu’au bout de dix ans. Si c’est plus court, nous le saurons plus vite. C’est toujours ainsi lorsqu’un nouveau vaccin est développé: on sait au bout de quelques mois quel degré de protection initiale il nous permet de développer, et quel est son profil d’effets secondaires. En revanche, combien de temps dure l’immunité qu’il nous permet de développer, cela prend plus de temps.

A ce propos, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) demandait un vaccin “plus efficace”, notamment sans avoir à s’injecter une nouvelle dose tous les trois mois. Où en est-on?
On peut attendre plusieurs sortes de protections de la part d’une vaccination. Les vaccins disponibles en Suisse restent pour le moment très efficaces contre la maladie grave, ce que tout le monde craint le plus. Le vaccin a permis de faire en sorte que le Covid passe d’une maladie inquiétante contre laquelle on reste cloîtré à domicile à une maladie qu’on peut oublier un peu au quotidien. Là où l’on aurait aimé qu’il soit plus efficace, c’est contre le fait d’être porteur, même sans symptôme. Sous l’angle de votre risque personnel, un vaccin qui transforme une maladie potentiellement létale en maladie bénigne et peut-être asymptomatique, c’est un succès. Mais sur le plan collectif, le succès se mesure aussi en termes des capacités d’un vaccin à écarter votre risque de transmettre la maladie à d’autres.

«Ici, la vaccination a fait diminuer le risque de contagion, mais pas autant qu’on aurait voulu. Une maladie qui se propage entre personnes non symptomatiques est toujours plus difficile à contenir pour un vaccin»

La «pandémie», c'est fini?

Est-on encore techniquement dans une pandémie?
Oui bien sûr. Nous sommes dans une pandémie tant qu’il y a un niveau d’alerte de santé publique préoccupant dans un nombre requis de pays. Et c’est l’OMS qui tient les clés de ces critères. La difficulté de votre question, c’est que pendant deux ans nous avons utilisé le terme “pandémie” un peu à toutes les sauces dans la vie quotidienne.

C’est-à-dire que les médias, les scientifiques et les politiciens ont leur propre définition d’une pandémie?
Non. Mais si on parle de la définition de l’OMS, nous sommes aujourd’hui dans une pandémie de coronavirus, mais également dans une pandémie de HIV par exemple. Si on parle d’une maladie que notre système immunitaire ne connaît pas encore et qui se propage rapidement au sein de la population, de nombreux pays commencent à en sortir, mais de loin pas tous. Si on parle de pandémie pour évoquer une situation sanitaire où des mesures collectives sont nécessaires pour protéger la santé publique contre une maladie infectieuse, la question est ouverte actuellement.

La question est ouverte?
Oui, dans le sens où l’on ne sait pas encore si un nouveau variant pourrait échapper à notre immunité au point de mettre à nouveau en danger les hôpitaux et l’accès aux soins à l’avenir. Actuellement, personne n’a la réponse. Il est rassurant que durant ces deux dernières années aucun variant n’a échappé à l’immunité préalable à ce point, mais ce n’est pas une garantie sur l’avenir. Nous pouvons espérer ce que l’on pourrait appeler une belle accalmie, du moins sous l’angle du risque collectif; espérons qu’elle soit durable.

Mais nous n’aurons jamais une telle garantie! Combien de temps va-t-il falloir rester ainsi sur le qui-vive?
Heureusement, nous n’avons pas besoin de rester angoissés. L’angoisse, c’est de la peur qui ne sait pas quoi faire. Or ici, nous savons quoi faire. Tant que la circulation reste élevée, gardons nos masques par respect des autres dans les intérieurs lorsque ceux-ci devraient être accessibles à tous. Lorsque la circulation baissera, profitons de l’accalmie.

«Mais préparons-nous à ne pas trop nous offusquer l’automne ou l’hiver prochain si nous devons, par exemple, remettre le masque dans certains endroits. Personne n’a encore osé promettre que le Covid, c’est terminé, et surtout pas pour de bon»

La population est prête, nerveusement, à se voir imposer une nouvelle fois le certif' Covid, alors qu’une guerre vient d’éclater?
Le certificat Covid est un outil parmi d’autres, et c’est un choix de société que de décider quels moyens utiliser face à un nouveau risque pour la santé publique. Il a vraisemblablement été utile en limitant le nombre de personnes potentiellement contagieuses présentes dans des lieux à risque. Mais quel est le degré de cette efficacité? Des données internationales vont arriver et évidemment, selon que l’effet est important ou au contraire modeste, la situation sera très différente. On connaît bien cela, en médecine. Parfois, même une mesure qui aide n’aide pas suffisamment. Ce sera la grande question: le certificat Covid aide-t-il suffisamment pour que ça vaille la peine de le réactiver le cas échéant?

Nos réflexes ont un peu changé ces dernières semaines: la gorge qui gratte et un peu de fièvre ne poussent plus grand monde à se faire tester, et on ne parle même plus vraiment du Covid long.
Il y a un certain fatalisme, comme si désormais chacun devait avoir attrapé la maladie. Mais en fait, ce n’est pas un passage obligé, et tout le monde ne l’aura pas forcément. Les données montrent, et c’est rassurant, que la vaccination diminue fortement le risque de symptômes graves ou durables. Même si ce n’est pas encore une maladie complètement bénigne, le Covid chez les personnes déjà entièrement immunisées est une maladie simplement beaucoup moins grave.

Fin de la Task force Covid

Dans deux semaines, la Task force Covid, dont vous faites partie, sera dissoute. Vous ferez en même temps vos cartons et le bilan?
Le 31 mars sera notre dernier jour, oui.

Mais vous bossez encore, là?
Bien sûr. D’ici au 31 mars on travaille encore.

Que faites-vous ces derniers jours?
Nous réalisons les updates épidémiologiques chaque semaine, nous continuons nos réunions régulières, y compris avec l’OFSP et le Département fédéral de l’intérieur. En ce moment, une session parlementaire est ouverte, et nous sommes encore pour cette session à disposition des élus et des partis pour des séances de questions. On ne fait pas encore un bilan, mais on s’en approche: on prépare un document pour d’éventuelles futures Tasks forces dans d’autres domaines.

Une check-list du genre «Comment créer facilement une task force en dix étapes?»
Concrètement, nous mettons par écrit tout ce que l’on aurait aimé savoir nous-mêmes au moment de la naissance de la Task force scientifique Covid19 de la Confédération. Il n’y avait jamais eu de Task force de ce type-là en Suisse.

C’est assez cynique d’imaginer qu’en 2022, personne n’avait encore prévu quelque chose de ce type!
Nous avons en Suisse une communauté scientifique que bien des pays nous envient, et une structure de gouvernance politique que bien des citoyens d’autres pays nous envient également. Nous avions aussi des structures d’interface entre notre communauté scientifique et nos décideurs politiques, mais celles-ci n’étaient ni pensées ni structurées pour être en mesure de fonctionner comme l’exige un temps de crise.

Il a fallu une pandémie pour réaliser ce manque cruel de lien? C’est fou, non?
Oui, je pense qu’à beaucoup de niveaux nous avons tous pris conscience dans cette crise de ce que nous n’avions pas vu avant qu’elle n’arrive. Ici, l’important travail qui a été réalisé pendant deux ans doit pouvoir servir de bases pour aider dans la gestion de crises futures.

Fin mars, nous sortons également de la situation particulière. Une bonne chose selon vous?
Ce qui est important, c’est que lorsque la situation ne nécessite plus une prise en main par la Confédération, la situation particulière cesse.

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Et, vous, personnellement, comment vivez-vous le fait que la lumière est moins braquée sur le Covid? Vous gérez le fait qu’on vous appelle moins souvent pour faire le point?
Moins de médias, c’est d’abord moins de surcharge dans mon agenda! (Rire) Ne le prenez pas personnellement, c’est juste que vous venez en plus de toutes nos autres tâches. Plus sérieusement, j’attends de voir comment se déroulera la fin de la Task force. Cela aura été une collaboration scientifique extraordinaire à tous les niveaux: de nombreux collègues talentueux sur lesquels on a pu compter pendant deux ans. On a vécu ensemble des expériences très fortes. J’appréhende un peu de tourner cette page-là, c’est vrai, mais pas assez pour ne pas me réjouir d’avoir enfin plus de temps.

Vous allez rester en contact, j’imagine?
Oui, nous allons continuer d’échanger des informations et des publications scientifiques.

Et puis, vous ferez une fondue par année!
Peut-être. Si la situation le permet, certains d’entre nous iront skier ensemble bientôt. Plus sérieusement, cela dit, il faut rappeler que nous avons tous beaucoup de travail même d’ordinaire. Nous avons tous des emplois à plein temps, des collègues compréhensifs qui ont été patients avec nous pendant la grande surcharge de la pandémie, et plusieurs dossiers qui nous attendent de pied ferme à la dissolution de la Task force.

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