C'est un fait pour le moins inhabituel: le procureur général du canton de Vaud a saisi le Grand Conseil via une lettre envoyée à tous les députés, datée de lundi.
Sa démarche fait suite à une chronique publiée vendredi sur Blick.ch romand par la présidente du Parti socialiste (PS), Jessica Jaccoud, critiquant le rôle du Ministère public dans l'affaire de la ZAD du Mormont.
Dans sa chronique, intitulée Du balai et du sang neuf!, Jessica Jaccoud s'en prend à Eric Cottier et remet en question son travail ainsi que celui du MP.
Elle écrit que les jugements rendus dans le procès de sept zadistes du Mormont (totalement ou partiellement acquittés, non condamnés à de la prison ferme comme le demandait le MP) est une «puissante leçon de droit» donnée au procureur général. Elle parle de «camouflet» et de «désaveu».
La parlementaire estime que Cottier doit «tirer les leçons de ses erreurs» et l'enjoint à «révoquer immédiatement les dizaines d'ordonnances pénales qui pèsent sur d'autres militants». Elle attaque ensuite le procureur général et le MP sur d'autres sujets, les accusant de ne pas être à la hauteur en matière de:
Dans sa lettre aux députés, Eric Cottier revient sur chacune de ces «considérations vagues et générales (...) qui portent également atteinte à l'institution, alors qu'elles ne sont tout simplement pas conformes à la réalité».
Le patron du Ministère public invoque et regrette une menace sur l'indépendance de la justice pour justifier son initiative auprès du législatif. Il y souligne la séparation des pouvoirs.
Selon lui, Jessica Jaccoud «s'est exprimée sans égard à plusieurs principes et textes légaux fondamentaux. Qui plus est en oubliant au passage le contenu de la promesse solennelle que, comme ses collègues, elle a faite au moment d'être investie de sa charge».
Et de poursuivre: «En résumé, la présentation que Mme Jaccoud fait du Ministère public est, au mépris de l'activité de celles et ceux qui y travaillent avec un engagement remarquable, tout simplement fausse. Seule l'auteure de la diatribe peut expliquer si cette fausseté relève de l'erreur ou du mensonge intentionnel».
Sur le plateau du «19h30» de la RTS, le procureur général relève par ailleurs que le Ministère public va vraisemblablement faire appel dans le jugement des zadistes du Mormont. «Nous avons déposé une annonce d'appel. Nous examinerons les considérants et les décisions, puis nous déciderons d'aller plus loin ou pas par le biais d'une déclaration d'appel», a-t-il souligné.
De son côté, la présidente du PS vaudois a aussi tenu à réagir mardi. «Si l'indépendance du Ministère public doit être garantie, il en va de même de celle de l'action parlementaire. Ma chronique s'inscrit dans le droit le plus strict et légitime de tous les députés de questionner l'action publique et de porter une appréciation politique sur l'action du Ministère public».
Plaidant la liberté d'expression, Jessica Jaccoud se félicite que le débat public et politique sur le bilan d'Eric Cottier à la tête du Ministère public ait été ainsi ouvert.
L'actuel procureur général partira à la retraite à la fin de l'année, après 17 ans de fonction.
Dans l'après-midi, cette passe d'armes a inévitablement rebondi au parlement qui tenait séance. Le député Jean-Daniel Carrard s'est exprimé au nom du groupe Parti libéral-radical (PLR) pour dire son «indignation» à propos de la chronique de la présidente du PS. Il a relevé que le MP «mérite une totale confiance» et que ce n'est pas aux membres du parlement de lui donner «des injonctions» ou de le «discréditer».
Le socialiste Arnaud Bouverat s'est aussi exprimé, appelant à «la mesure» dans ce dossier. Il s'est notamment «interrogé» sur la réaction d'Eric Cottier, un procureur qui a «le cuir dur» et qui, par le passé, n'a pas réagi de la sorte lorsqu'il était attaqué.
Le Bureau du Grand Conseil s'est désormais saisi du courrier du procureur général. Il siégera prochainement pour voir quelle suite y donner. (mbr/ats)