«Ils se croient en octobre ou quoi?»
Des arbres qui perdent leurs feuilles jaunes et brunes en automne, ça ne surprend plus personne. Quand, fin juillet déjà, les promeneurs découvrent qu'ils sont en train de fouler une quantité astronomique de feuilles encore vertes, c'est plus étonnant.
A la Vallée de Joux, par exemple, le spectacle est saisissant. Le sol de tous les petits sentiers qui mènent au bord du lac est vert. Partout, des feuilles d'hêtres sacrifiées par milliers. «Sacrifiées, c'est le mot. Pour tenter de résister à la sécheresse, nos arbres se délestent volontairement de leurs feuilles pour garder un peu de force. Un état de stase qui est en réalité un réflexe de survie», confie Marc Meylan, garde-forestier du Lieu (VD). Il faut dire que les arbres sont un peu comme nous: quand il fait chaud, ils transpirent.
Une augmentation de feuilles vertes à l'abandon aux pieds des arbres est d'ailleurs également observée chez nos voisins hexagonaux. «L’arbre envoie une instruction aux brindilles et aux feuilles. Il cesse alors de les alimenter en eau. Elles tombent immédiatement», a expliqué le conseiller forestier Hervé Le Bouler au journal français Ouest-France.
Il suffit bien souvent de lever les yeux. De nombreuses cimes romandes sont déjà dégarnies. Et deux phénomènes distincts sont à l'œuvre pour tenter d'enrayer le stress hydrique causé par les grandes vagues de sécheresse. Certains scientifiques alertent sur ce qu'ils nomment «un automne de plus en plus précoce». Plus inédit, surtout au beau milieu de l'été, on parle de décurtation: l'arbre se sépare très rapidement d'un stock de feuilles encore vertes pour éviter de perdre trop d'eau.
Si le processus n'est pas tout à fait nouveau, il s'est dramatiquement accéléré cet été. «Honnêtement, de mémoire d'homme, on n'avait jamais vu quelque chose d'une telle ampleur à la Vallée de Joux. Les premiers signes alarmants datent de 2015. Et tout le canton est touché», nous explique Marc Meylan, garde-forestier du Lieu (VD). En cause, évidemment, les longues périodes de canicule, les sécheresses à répétition et le réchauffement climatique.
En Valais, le phénomène est bien connu, notamment en ce qui concerne les chênes. «Chaque année, à fin août, début septembre, les feuillus ayant stocké suffisamment de glucose dans leurs racines sacrifient leurs feuilles pour ne pas transpirer plus que de raison lorsque l’eau vient à manquer. Mais, cet été, l'automne précoce a démarré avec plus d'un mois et demi d'avance à certains endroits.» Jean-Marie Putallaz, ingénieur forestier valaisan, profite de nommer une autre victime de la sécheresse: le conifère. Contrairement au chêne, le pin n'a pas la capacité de sacrifier volontairement ses aiguilles et le manque d'eau répété crée alors des dommages irréversibles.
A la Vallée de Joux, c'est l'épicéa qui souffre au moins autant que le hêtre. «Que ça réagisse aussi fortement et rapidement, c’est inédit, et ça fait peur», analyse Marc Meylan, garde-forestier du Lieu (VD). Et le problème n'est pas tant le manque d'eau, mais sa répartition. «En 2020, on a eu une quantité d’eau gigantesque dans notre région, mais de janvier à mars. De juin à octobre, il n'est pratiquement rien tombé. L'été, il ne pleut quasiment plus à la Vallée de Joux.»