C'est décidé. Neuchâtel bannit les publicités sexistes sur le domaine public. Le Grand Conseil a dit «oui» la semaine dernière à une idée lancée par la gauche. Le canton a voulu s'inspirer des Vaudois, précurseurs en Suisse romande.
Quand on dit «publicité sexiste», de quoi parle-t-on exactement? Vous pensez à la ménagère des années 40 en tablier, servant un bon plat à son mari en costume qui rentre du travail? Certes. Mais, vous vous en doutez, le spectre dépasse très vite ces caricatures.
En terres vaudoises, la commission mise sur pied pour donner des préavis sur des réclames pouvant potentiellement être sexistes se base notamment sur ces critères:
Cette définition est sensiblement similaire à celle de la Commission suisse pour la loyauté (p.13), une institution indépendante auprès de laquelle chacun peut déposer des plaintes concernant les publicités.
Jusqu'ici, tout est plutôt cadré. Mais de simples coups de fil à des spécialistes nous confirment très vite qu'une pub sexiste peut avoir mille et une nuances. Et, du coup, tout autant de définitions.
Gérald Le Meur dirige l'agence de communication genevoise Oddity et enseigne à CREA, l'école de création, de marketing, de communication. Et, pour lui, une publicité sexiste, c'est:
Pour Stéphanie Pahud, linguiste à l'Université de Lausanne et spécialiste de la publicité, le sexisme a certes une définition légale ou pragmatique, mais celle-ci vient se superposer à toutes les interprétations individuelles de celui qui regardera une affiche. Elle précise:
Faisons le test. Verrez-vous tous cette publicité de la marque Jacquemus du même oeil? Pas sûr... Depuis quelques jours, la campagne du créateur français mettant en scène Kendall Jenner fait polémique sur Instagram. Certains dénoncent la valorisation de la femme-objet.
Stéphanie Pahud estime que les interdictions légales prononcées à Neuchâtel ou dans le canton de Vaud pourraient être difficilement applicables. Elle s'explique: «Ces décisions donnent l'impression qu'on est tous d'accord sur ce qui est sexiste ou pas. Je pense que grâce à ces lois, on va pouvoir supprimer les cas de discriminations grossières, mais les cas ambigus vont rester problématiques».
Mais ces «cas de discriminations grossières» qui débordent de stéréotypes sont-ils encore vraiment présents dans l'espace public? Gérald Le Meur assure que non:
Le spécialiste peut comprendre la volonté des autorités de prohiber les abus, mais il estime le débat dépassé: «C'est faire preuve, souvent pour le politique, d'une certaine forme d'hypocrisie puisque les réseaux sociaux et la digitalisation étendus proposent chaque jour des milliers de messages consommés, mais au final peu contrôlés. Ils peuvent s'avérer très tendancieux par rapport à nos échelles actuelles de valeurs».
Notons, en tout cas pour Neuchâtel, que le texte accepté demandait une réflexion sur l'extension éventuelle de l'interdiction à d'autres supports que les affiches.
Si certains veulent les bannir, c'est que les stéréotypes de genre sont encore présents dans les publicités. La Commission suisse pour la loyauté reçoit d'ailleurs chaque année des plaintes. Mais pour Stéphanie Pahud, ce n'est, encore une fois, pas aussi simple. Elle met d'ailleurs quiconque au défi de dénicher une campagne dénuée de tout cliché:
Alors, Gérald Le Meur, créer une pub zéro cliché, c'est possible? «C'est un beau défi. Mais ça devrait exister!»
Enfin, si l'interdiction ne suffit pas pour nous protéger des stéréotypes, l'éducation peut prendre le relais. Pour Stéphanie Pahud, apprendre à reconnaître les clichés, c'est la clé: «Il faut éduquer à la lecture de la publicité: on la voit partout, et elle nous offre des scénarios à même d'exercer notre sens critique».