«Raconter leur histoire et le faire bien»: voici la mission des représentants des plus gros groupes du secteur de la viande et de l'industrie laitière à la COP28. Ces délégués ont planifié de se rendre «en force» à la conférence de l'ONU sur le climat, qui s'est ouverte ce jeudi à Dubaï. Et leur «histoire», adressée aux décideurs politiques mondiaux présents au sommet, affirme que l'élevage a un impact positif sur l'environnement.
C'est ce que révèlent des documents internes consultés par le Guardian. Pour ce faire, des actions directes, telles que des événements et des parrainages, sont prévues. Mais pas uniquement: les lobbyistes sont invités à répéter des «messages clés», listés dans les documents et présentant la viande comme une «alimentation durable».
Pourtant, tous les chiffres disponibles montrent l'inverse. L'élevage représente 14,5% des émissions globales de gaz à effet de serre, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). D'autres études estiment même que ce pourcentage oscillerait entre 16,5 et 28,1%. C'est nettement plus que l'aviation ou le transport maritime, à l'origine d'environ 2 et 3% des émissions mondiales, respectivement.
A eux seuls, les animaux de rente rejettent l’équivalent de 3,1 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère par an. S’ils étaient un pays, ils seraient le plus grand producteur de gaz à effet de serre après la Chine et les Etats-Unis. Le transport et la réfrigération des aliments, l'emballage et la gestion des déchets ne représentent qu'une «faible part» des émissions imputées à l'alimentation, note l'ONU.
En Suisse, la part d'émissions dues à l'élevage est légèrement inférieure, mais reste importante. Elle s'élève à 8% du total, selon les derniers chiffres de l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), relatifs à 2021. Cela représente quelque 3,6 tonnes d'équivalents CO2, soit une quantité comparable aux émissions générées par le secteur des services et de l'artisanat.
Nettement moins polluant que les secteurs du transport routier, du bâtiment et de l'industrie, l'élevage génère tout de même plus d'émissions de gaz à effet de serre que le transport aérien international, la navigation ou l'incinération des déchets.
Surtout, les animaux de rente sont responsables de la majorité des émissions de méthane du pays, environ 70% du total, soit quelque 129 600 tonnes en 2021. Aucun autre secteur n'en génère autant.
En Suisse, les vaches laitières représentent la moitié des émissions de méthane de l'agriculture, explique l'OFEV. Au cours de 20 dernières années, note encore l'Office fédéral, la quantité d'émissions par vache a augmenté.
Cela se passe essentiellement dans l'un des quatre estomacs des bovins, le rumen, où le méthane est produit lors de la digestion. Ce gaz se forme principalement lors de la fermentation des fibres végétales et s’échappe surtout par la bouche lorsque l’animal expire ou rote. Une vache en émet jusqu'à 120 kilogrammes par année.
Le problème, c'est que le méthane est le gaz ayant le plus d’impact sur le climat après le CO2. Bien qu'il reste moins longtemps dans l’atmosphère, son pouvoir de réchauffement est plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone sur une période de 20 ans.
Si rien n'est fait dans l'immédiat, les émissions de méthane générées par l'agriculture sont susceptibles de pousser le monde au-delà de la limite de 1,5°C fixée par l'Accord de Paris, selon une étude. Et ce, sans même considérer l'impact des autres polluants tels que les combustibles fossiles.
Face à ces chiffres, tous les chercheurs s'accordent à dire que la solution est unique: diminuer la consommation. «Toute action crédible visant à réduire les émissions dans le secteur alimentaire entraînera inévitablement une réduction de la production de viande et de produits laitiers», résume la chercheuse Jennifer Jacquet, dans le Guardian.
On verra si les lobbyistes déployés à Dubaï réussiront à influencer le débat. Le terrain risque d'être hostile: la présidence de la COP28 a décidé que la nourriture servie sur place sera essentiellement végane.