Pierre Maudet a le plan com' dans la peau. C’est dans le tout-ménage cantonal GHI qu’il a annoncé, mercredi, sa décision de se présenter au Conseil d’Etat genevois en avril prochain. Et c’est à la chaîne locale Léman Bleu qu’il réserve ses premières déclarations, vendredi, précise-t-il par SMS. Après, promis, il parlera à watson. Pierre Maudet peut bien laisser mariner la presse, la battre froid, même, les Genevois acquis à sa cause s’en fichent éperdument.
Après tout, la presse n’a pas cherché à l’épargner lorsque l’affaire qui porte son nom a éclaté en 2018 suite à des révélations de la Tribune de Genève: trois ans plus tôt, en novembre 2015, alors conseiller d’Etat en charge de la sécurité et de l’économie, le fringant radical avait accepté un voyage en famille tous frais payés à Abu Dhabi, à l’invitation du prince héritier et à l’occasion du grand-prix de formule 1.
Il n’aurait pas dû. Corrompu, «Captain Maudet» (son grade dans l'armée suisse)? Il s’en défend farouchement, parle d’un séjour mêlant l’utile (de possibles investissements émiratis en terres genevoises) à l’agréable (comment nier l’évidence?). Le ministère public ne l’entend pas ainsi. Il poursuit le magistrat. Procès.
La posture de super-VRP au service des intérêts genevois adoptée par le prévenu, assortie d’excuses pour avoir menti dans ses explications liminaires, ne convainc pas les juges. Ils le condamnent à une peine pécuniaire pour «acceptation d’un avantage», estimant que ce voyage à 50 000 francs, pour lequel il n’a pas déboursé un centime, le rendait influençable dans l’exercice de ses fonctions. Il fait recours, est blanchi en appel. Las pour lui, le procureur transmet l’affaire au Tribunal fédéral, qui doit encore se prononcer.
L’affaire est pendante, mais l’homme, exclu par son parti, le PLR, au plus fort du scandale Abu Dhabi, se revoit déjà en haut de l’affiche. On peut le dire: la campagne pour les élections cantonales genevoises est lancée. Fidèle parmi les fidèles, l’ancien conseiller national John Dupraz était dans la confidence, «qu’est-ce que vous croyez…». «J’accueille sa candidature au Conseil d’Etat avec grand espoir, car c’était le meilleur de tous», coupe court le viticulteur à la retraite. Au téléphone, on l'entend être accueilli par son ami, l'ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin, sans doute à Martigny, où s’ouvre la Foire du Valais: «Salut, comment vas-tu?»
A la direction du PLR genevois, on feint l’indifférence. Maudet candidat? Qu’est-ce que vous voulez que ça nous fasse:
A droite, le casting pour l’élection au Conseil d’Etat, qui compte sept sièges, est fait depuis un bon bout de temps: deux PLR et deux UDC, en attendant la décision du Mouvement des citoyens genevois (MCG), représenté au gouvernement par le populaire Mauro Poggia, qui n’a toujours pas fait connaître ses intentions. Quant aux Centristes (ex-PDC), qui partent à deux également, ils passent pour des faux-frères, eux qui n’ont pas voulu former un ticket commun, afin de ne pas être associés à l’UDC, qu’ils jugent idéologiquement infréquentable.
L’enjeu, pour la droite, est en réalité immense et le défi de taille. Elle veut récupérer la majorité au Conseil d’Etat, détenue par la gauche depuis l’élection complémentaire de mars 2021. La Verte Fabienne Fischer était alors sortie gagnante face à Pierre Maudet, un duel arbitré au second tour par la Centriste Delphine Bachmann, sans la présence de laquelle le proscrit Maudet l’aurait probablement emporté.
Alors qu’un «tout sauf Fabienne Fischer» semble prendre à droite – la politique menée par l’actuelle cheffe du Département de l’économie et de l’emploi serait préjudiciable à la marche des entreprises genevoises, selon ses adversaires bourgeois –, Pierre Maudet, autrefois loué pour son action en faveur de l’économie du canton, fait figure de candidat providentiel.
Oui mais non. Ce n’est pas du tout ce message-là que Bertrand Reich veut faire passer. Il doit être compris que la droite a un avenir sans Pierre Maudet, sorte de PLR en errance, se lançant sous l’étiquette «Libertés et justice sociale», celle qui était déjà la sienne lors de l’élection complémentaire de 2021. Une étiquette empruntée à la devise fondatrice des radicaux genevois, fusionnés avec les libéraux depuis 2011. De toute manière, Pierre Maudet ne pourrait se contenter d'une élection au Conseil d'Etat. Il lui faudrait en plus des parlementaires élus sous son nom au Grand Conseil pour y faire accepter ses propositions.
La question qui brûle les lèvres: le PLR envisage-t-il une alliance avec celui qu’il a exclu il y a deux ans?
La réponse tient du thriller politique. Bien que négative et des plus sèches, est-elle définitive? Pour l’heure, il s’agit, pour le PLR, de ne pas apparaître comme l’obligé de Pierre Maudet.
En interne et sous couvert d’anonymat, les choses sont moins tranchées, comme le rapporte ce membre du parti, resté en bons termes avec «le meilleur de tous»:
Il l’assure encore: «Les tensions sont retombées. Il est d’avis au PLR qu’il faut reconnaître toute la légitimité de la candidature de Pierre Maudet et ses compétences pour être un conseiller d’Etat. Il est indéniablement dans les valeurs de la droite et du centre droit».
Un élu PLR au Grand Conseil en est convaincu:
Bertrand Reich n’en disconvient pas: «Il est tout à fait possible que des électeurs de notre parti cochent son nom, et si je trouve que la candidature de Pierre Maudet n’apporte rien de plus à l’offre politique, je n’en conteste pas la légitimité. Je pense en revanche que sa présence à l’élection provoquera un émiettement des voix».
Au premier tour sans doute. Mais c’est dans l’entre-deux-tours que la majorité au Conseil d’Etat se décidera. Et la droite veut à tout prix récupérer le siège de Fabienne Fischer. Quelle ironie ce serait qu’elle y parvienne avec le concours de Pierre Maudet, 44 ans, barbu et tout son mordant.