«Nous sommes face à une bombe à retardement.» En quelques mots, Daniel Roth annonce la couleur.
Cette évolution inquiète le directeur général de l'entreprise pharmaceutique A. Menarini. Et pas seulement d'un point de vue commercial. Surtout en ce qui concerne les patients: «Il manque en Suisse de possibilités de traitement contre les germes, par ailleurs de plus en plus résistants. Il faut donc un système d'incitation pour les antibiotiques de réserve».
Daniel Roth en sait quelque chose. Sous sa direction, le fabricant pharmaceutique A. Menarini, dont la filiale se trouve à Zurich, a mis sur le marché trois nouveaux antibiotiques au cours des deux dernières années. Le plus grand fabricant de produits pharmaceutiques d'Italie fait ainsi figure d'exception. La plupart de ses concurrents se sont retirés de la recherche et de la production.
Le cas de l'antibiotique de Daniel Roth illustre la manière dont la baisse des prix affecte son entreprise. Il a lancé son nouvel antibiotique contre des germes très spécifiques il y a deux ans. Aujourd'hui, les hôpitaux l'utilisent comme médicament de réserve. En clair: il n'est utilisé que lorsque d'autres antibiotiques n'ont plus d'effet. Les patients qui ont besoin de ce médicament vital se trouvent par exemple aux soins intensifs et souffrent d'une pneumonie.
A. Menarini a obtenu la licence de ce produit auprès d'une société de biotechnologie américaine et le commercialise désormais en Europe. Le traitement dure en général de cinq jours à deux semaines.
Chaque boîte, une seule peut être prescrite par jour, coûte 465 francs à l'hôpital. Un prix qui peut paraître important, mais qui ne suffit pas selon Daniel Roth.
Le produit déficitaire n'est maintenu sur le marché que parce que la maison mère italienne soutient cette décision stratégique.
Cet exemple est emblématique de ce qui cloche avec les antibiotiques du point de vue de l'industrie pharmaceutique. Le nombre de germes multirésistants augmente. Au lieu de faire face à cette «pandémie silencieuse» en investissant dans le développement et la disponibilité, la recherche de nouvelles substances actives stagne. L'affaire n'est tout simplement pas intéressante sur le plan financier.
Dans la médecine spécialisée, comme face au cancer ou aux maladies rares, seules des marges lucratives de 40% et plus motivent le secteur à aller plus loin. C'est la raison pour laquelle le géant pharmaceutique bâlois Novartis a vendu sa division des génériques et l'a introduite en bourse début octobre. Les produits de substitution moins chers ne génèrent pas assez de bénéfices.
Pour Daniel Roth, il est incompréhensible que l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) veuille faire baisser les prix des antibiotiques, en appliquant le principe dit «EAE» – efficacité, adéquation et économicité:
Rappelons que les antibiotiques connaissent une contrainte qui leur est propre: pour éviter l'augmentation des résistances, les produits doivent être prescrits le moins souvent possible. Ce mécanisme, pour autant qu'il soit pris en compte par les médecins et les pharmaciens, a toutefois un effet secondaire fâcheux pour les entreprises: la vente de leurs produits se retrouve fortement réduite.
De nouveaux modèles d'indemnisation pourraient y remédier, en encourageant les nouveaux développements et en améliorant les conditions d'entrée sur le marché.
Des experts de l'industrie planchent donc sur des solutions au sein de la «Table ronde sur les antibiotiques». Objectif du comité: faire un état des lieux et mettre au point un concept de promotion en Suisse.
Il est notamment question d'un «modèle Netflix»: l'Etat devrait payer une somme fixe pour les antibiotiques de réserve, indépendamment du nombre d'emballages vendus. Les entreprises seraient ainsi incitées à maintenir les produits sur le marché et à investir dans de nouveaux développements. Un concept pour un essai pilote devrait être disponible d'ici le milieu de l'année prochaine.
Des représentants de l'OFSP seront également présents lors d'une prochaine réunion du comité en novembre. Interrogé à ce sujet, l'office fédéral a indiqué qu'il soutenait la Table ronde par une subvention.
Par ailleurs, le Conseil fédéral a décidé vendredi de promouvoir à l'avenir la vente de médicaments génériques et d'améliorer l'accès aux médicaments vitaux.
Reste une question. N'est-il pas audacieux de la part des fabricants de demander plus d'argent pour leurs produits, malgré les annonces d'explosion des primes d'assurance maladie?
Après tout, et c'est ce qui est critiqué depuis longtemps, c'est justement cette dynamique qui fait grimper les coûts de la santé. Tout le monde souhaite économiser – sauf quand cela touche à ses propres gains. Daniel Roth n'est pas d'accord. Selon le directeur d'A. Menarini, à long terme, il est plus avantageux pour le système de santé de disposer du bon médicament et de l'utiliser correctement.
Il faudra sans doute encore des années avant que la Suisse n'introduise un «modèle Netflix» pour les antibiotiques. La Table ronde estime qu'un tel modèle pourrait être prêt vers la fin de la décennie, à condition que le monde politique mette la main à la pâte. Le temps presse. Récemment, le Centre pour la résistance aux antibiotiques a publié une étude selon laquelle la population suisse perd chaque année plus de 6800 années de vie à cause de bactéries multirésistantes.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder