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Primes maladie 2024: le système suisse est injuste

Primes maladie 2024: le système suisse est injuste
Le conseiller national PS et économiste romand Samuel Bendahan nous livre son analyse sur le système de santé suisse. Image: Shutterstock
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Le système de santé suisse est injuste, mais il y a une solution

Chaque année, les primes explosent en Suisse. Chaque année, on s’énerve, mais on ne fait rien. Les lobbys se tiennent par la barbichette et poussent la majorité du parlement à l’inaction. Pourtant, quelque chose de simple pourrait être fait pour améliorer un système qui est cher et incite aux mauvais comportements.
26.09.2023, 18:5704.10.2023, 17:35
Samuel Bendahan
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Franc-Parler, la chronique de Samuel Bendahan
Les dimanches, le conseiller national socialiste et économiste Samuel Bendahan, nous livre son avis sur les questions financières qui touchent les Suisses.

Quand on parle des coûts de la santé, et qu’on est bien portant, notre première pensée va à la hausse des primes. Mais, ce n’est, et de loin, pas le seul problème. Prenez, par exemple, la franchise. C’est un système bête et dangereux qui pousse à la fois au renoncement aux soins et à la surconsommation.

Imaginez que vous ayez une douleur inquiétante. Le problème: tant que vous n’avez pas atteint votre franchise, vous payez 100% du coût de tout contrôle médical. C’est extrêmement cher et cela incite beaucoup à renoncer aux soins. Surtout pour les 20% de la population qui n’ont aucune marge de manœuvre financière.

Alors, on pourra dire que c’est ce qu’on voulait: empêcher que les gens ne fassent monter l'addition en profitant du système de santé. La réalité, c’est que c'est souvent en intervenant dès l'apparition des premiers symptômes que l’on peut éviter des frais beaucoup plus élevés par la suite.

Du coup de massue à l’open-bar

Si tout à coup, on est forcé de dépenser suffisamment pour atteindre notre franchise, alors là, l’incitation devient complètement inverse. Tout à coup, tout est gratuit jusqu’au premier janvier prochain.

En toute honnêteté, je ne crois pas que l’abus de consommation des soins soit un réel problème dans la plupart des cas. Ce n’est pas super agréable d’attendre des heures aux urgences. Mais s’il y a une situation qui peut nous pousser à l’abus, c'est bien celle d’avoir payé des milliers de francs et de se rendre compte que, pendant un certain laps de temps, les soins sont gratuits.

«C’est ce que la droite a appelé l’open-bar de la santé. C’est caricatural de le présenter ainsi, mais ce défaut du système peut être corrigé sans pourrir la vie des gens»

On accuse les malades pour détourner l’attention

Même si la population était la principale coupable de la hausse des coûts, le système actuel serait totalement contre-productif. Cette tentative de toujours vouloir culpabiliser les gens détourne notre attention de la vraie source de ces coûts excessifs: des profits colossaux pour certains, et une répartition du financement profondément injuste.

De nombreux médicaments totalement identiques sont vendus deux fois plus cher en Suisse. Les équipements médicaux ont des coûts absurdes. Les assureurs maladie se versent des salaires mirobolants et profitent de l’assurance de base. Elles l'utilisent notamment pour vendre des complémentaires très profitables.

Le système est si peu transparent qu’il est également possible qu'elles transmettent des informations depuis l’assurance de base vers les complémentaires, ou qu'elles fassent payer certaines charges de l’assurance complémentaire à l’assurance de base lorsqu’elles décident comment répartir les coûts.

Du profit financé par la population

Mais, elles ne sont pas les seules à en profiter. Certains prestataires facturent des montants scandaleux (pendant que pour d’autres la vie est plutôt dure). Les entreprises pharmaceutiques font des marges inacceptables. Pensez donc:

«Lorsque Novartis enregistre entre 40 et 50 milliards de francs de vente annuellement, il lui en reste entre 10 et 15 milliards de bénéfices»

Ces milliards, ce sont du pur profit sans la moindre dépense associée, financé par la population. Et c’est ainsi pour de nombreuses entreprises du secteur.

C’est le paradoxe: certains acteurs s’enrichissent de façon obscène, avec des millions de salaires et des milliards de profits pour les gros actionnaires, alors qu’en même temps de nombreuses personnes qui travaillent dans le secteur des soins n’ont pas les moyens de vivre décemment, malgré des conditions de travail ultra-difficiles. Donc non, ce ne sont pas les consommatrices et les consommateurs, ni les personnes qui travaillent sur le terrain, qui sont la cause des coûts élevés de la santé.

Le profit, source illégitime d’explosion des primes

En réalité, le problème de l’inflation des coûts de la santé est similaire au problème de l’inflation en général que l’on observe aujourd’hui: c’est d’abord une inflation des profits. Saviez-vous que les revenus et la fortune des 300 plus riches de suisse ont augmenté de plus de 300% en 30 ans, alors que pendant la même période les salaires n’ont augmenté que de 15%?

Donc une solution difficile, mais juste, serait de faire plier les lobbys, d’aller vers un système de santé sans quête du profit (ou alors avec des profits raisonnables plutôt que démesurés comme aujourd’hui). Mais, avant d’y arriver, il faut trouver des solutions à plus court terme aussi, car la situation devient intenable.

La caisse unique et publique: une partie de la solution

Evidemment, il faudrait une caisse publique. L’idée de caisses publiques (et uniques) cantonales est dans l’air du temps et règlerait une partie du problème. Fini la publicité que nous sommes forcés de financer avec nos primes, finis les salaires mirobolants, finie la sélection des risques, et surtout, un tel acteur aurait intérêt à agir pour une diminution générale des coûts de la santé.

«Aujourd’hui, un assureur qui investirait pour baisser les coûts, par exemple avec de la prévention gratuite, paierait pour aider ses concurrents»

Il faudra aussi rapidement éliminer les mauvais incitatifs financiers décrits au début, pour éviter le renoncement aux soins (qui est aussi très cher) et éviter de pousser à la surconsommation. Une bonne solution serait de limiter les hausses de primes. Les ménages étouffés par les primes maladie n’ont plus les moyens de payer leurs frais de santé, et il faut donc les protéger. Par ailleurs, il faudrait bien sûr changer le système de franchise.

Limiter les effets pervers

Comment? Imaginez qu'à chaque fois que vous avez besoin de soin, vous ne payez pas 100% du coût, mais une fraction plus faible, par exemple 20%. Cela reste une somme qui vous dissuade de courir vous faire soigner si vous n'avez rien.

Si vous avez une franchise à 1 000 francs, alors en ne payant que 20% de vos soins, vous mettrez davantage de temps à atteindre ce fameux «open bar». Cela supprime donc cette éventuelle incitation à consommer beaucoup parce que tout est gratuit.

A l'inverse, en ne payant que 20%, cela limite les chances que vous renonciez aux soins et donc, à long terme, cela baisse les coûts de la santé. D’autres solutions, orientées vers les patientes et les patients, doivent être explorées. Simplifier l’accès aux diagnostics devrait également contribuer à désengorger les urgences.

En Suisse, on peut faire mieux

Les solutions proposées par le bloc de droite sont systématiquement dans une logique de culpabilisation et de punition de la population, accusée de mal se comporter. Permettre aux riches de payer une grosse somme pour éviter de faire la file aux urgences, créer une assurance low-cost pour les pauvres et garder les soins de qualité pour les riches, toutes ces idées dangereuses ont deux choses en commun:

«Créer une médecine à deux vitesses et ne pas résoudre le problème des coûts»

Si, comme expliqué ci-dessus, il pouvait être pertinent de réformer le système du point de vue de l’usage des soins par la population, il faut se rappeler que la vraie source de ces coûts, ce sont les profits, et aussi évidemment l’existence et le développement de nouveaux traitements très chers qui ont des impacts positifs sur la santé.

La lutte contre les profits excessifs doit se faire sur le plan politique. Pour la hausse des coûts qui est liée au progrès, la question éthique est importante: combien est-on prêt à payer, globalement, pour une meilleure vie et une meilleure santé? On dit que ça n’a pas de prix, mais au fait ça en a un.

Sur cette question, la seule réponse que l'on peut donner, c’est qu’en réalité, on a largement les moyens de financer cela en Suisse, si le système mis en place est juste.

«Les primes maladie actuelles font une victime de choix: la classe moyenne»

Un mode de financement qui pèse moins sur la classe moyenne permettrait sans problème d’assumer un excellent système de soins dont on peut être fier, et de financer une amélioration des conditions de travail dans le secteur là où c’est nécessaire, comme l’a d’ailleurs voulu le peuple avec l’initiative sur les soins infirmiers.

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Samuel Bendahan est...
... docteur en Sciences économiques de la faculté des HEC de l’Université de Lausanne (Unil) et y enseigne ainsi qu’à l’EPFL. Ce socialiste vaudois est également conseiller national et membre de la Commission de l’Economie et des Redevances du Parlement. Il est consultant dans le secteur de la stratégie, de la gouvernance, du leadership et de la finance pour de nombreuses entreprises. Enfin, Samuel Bendahan préside également la fédération suisse Lire et Ecrire, l’Œuvre Suisse d'entraide ouvrière (Oseo) et encore la coopérative d’habitation SCCH Le Bled.
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