Saba Chopard ne tourne pas autour du pot: si rien n'est fait, les conséquences peuvent être «catastrophiques», prévient la vice-présidente de l'Association fribourgeoise des psychologues (AFP). En effet, à partir du premier janvier 2023, plus de 12 000 patients pourraient se retrouver privés de suivi psychologique, et ce, rien qu'en Suisse romande et au Tessin.
Comment cela est-il possible? La faute à la nouvelle réglementation de la psychothérapie décidée en mars de l'année passée par le Conseil fédéral. Un changement attendu et «très positif», selon Saba Chopard, mais qui pourrait avoir des conséquences pour le moins inattendues.
Il faut savoir que, jusqu'à présent, les psychologues-psychothérapeutes devaient être employés par un psychiatre pour pouvoir facturer leurs prestations à l'assurance de base (AOS). Grâce à la nouvelle réglementation, cela n'est désormais plus nécessaire: ces professionnels peuvent maintenant être directement remboursés par l'AOS, s'ils remplissent certaines conditions. Ce qui permet de faciliter l'accès à ces soins.
«On s'est battu pendant 40 ans pour obtenir ce changement», déclare Saba Chopard. «Le fait que des psychothérapeutes étaient formés par des psychiatres ne faisait pas sens, c'était l'un des nos arguments majeurs.» Problème: la nouvelle réglementation laisse les psychologues-psychothérapeutes en formation dans le flou.
Ces derniers ne peuvent plus être encadrés par un psychiatre. Pourtant, les alternatives font défaut. «Pour pouvoir facturer à leur compte, les jeunes en formation doivent avoir deux années d'expérience clinique et avoir réalisé une année à 100% dans un service reconnu par l'Institut suisse pour la formation médicale post-graduée et continue (ISFM)», développe Saba Chopard. «Or, ces postes sont presque inexistants.»
Et ce n'est pas tout. Les psychologues-psychothérapeutes en formation sont également soumis à un flou juridique. «La réglementation ne précise pas leur statut, ni comment ils peuvent facturer aux assurances. Certaines d'entre elles, par conséquent, ne les payent pas», poursuit la vice-présidente de l'AFP. Selon elle, cette situation concerne 716 personnes en Suisse romande.
Les choses ne sont pas meilleures du côté des psychologues-psychothérapeutes déjà formés, à en croire Saba Chopard. Certains d'entre eux ont manifesté la volonté d'encadrer les jeunes collègues en formation et ainsi occuper la place laissée vide par les psychiatres. Mais là encore, ce n'est pas si simple:
«De plus, la procédure à suivre n'est pas du tout claire au vu de ce flou juridique», déplore la vice-présidente de l'AFP, qui résume:
Le gros problème, c'est ce que cette situation pourrait avoir un impact direct sur les patients. «Selon nos estimations, les psychologues en formation actifs reçoivent 7365 personnes chaque semaine», illustre Saba Chopard. «En tenant compte de l'ensemble de leurs services, ce chiffre monte à plus de 12 000. Si on ne trouve pas une solution pour eux, ces patients vont se retrouver sur la route.»
D'où l'urgence de la situation, selon Saba Chopard, qui tient à le souligner:
D'autant plus que les psychothérapeutes déjà formés ont déjà leurs patients et ne peuvent pas forcément reprendre ceux des collègues en formation, rappelle la jeune psychologue.
Comment a-t-on pu en arriver là? «On avait plus l'espoir que ce changement allait se produire», avance Saba Chopard. Un manque de prévision? «Il y a eu trop peu de temps entre l'acceptation de la réglementation, en mars 2021, et sa mise en œuvre. Tous les acteurs ont eu trop peu de temps pour mettre en place les nouvelles conditions», complète-t-elle.
Ce qui est sûr, c'est que cette situation inquiète à l'interne. Le Groupement intercantonal romand et tessinois a mené un sondage auprès de 392 praticiens en formation. «Les résultats sont alarmants», résume Saba Chopard: 58% des jeunes professionnels indiquent ne pas remplir les conditions pour facturer à la charge de l'assurance de base. Plus d'un tiers a affirmé devoir quitter leur poste d'ici la fin de l'année, alors que 9% avaient déjà été licenciés au printemps.
Les associations des psychologues veulent réagir d'ici la fin de l'année, pour éviter que le scénario catastrophe qui vient d'être évoqué ne se réalise: le temps presse.