«Aujourd’hui, la Suisse est face à des défis énergétiques auxquels elle ne s’attendait pas, il y a deux ans encore», observe le conseiller national genevois du Centre Vincent Maître. La nomination du fraîchement émoulu conseiller fédéral UDC Albert Rösti au Detec (Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication) n’est peut-être pas étrangère à ce constat. Comme s’il fallait revoir la stratégie énergétique 2050, votée en 2017 par le peuple, et pour ce faire, ôter le gouvernail à la gauche pour le confier à la droite. C’est chose faite depuis le 8 décembre.
Vincent Maître, comme toute la droite du Parlement, n’est donc pas mécontent du changement de bord opéré au Detec:
Mais qu’est-ce que tout cela veut dire? Qu’est-ce qui pourrait bien changer à présent que le Detec penche à droite? Lisa Mazzone, conseillère aux Etats genevoise écologiste, par ailleurs membre de la commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie (CEATE), livre son propre constat:
La députée des Vert.e.s rappelle que le nouveau conseiller fédéral UDC, qui présida le lobby pétrolier Swissoil de 2015 à 2022, «avait poussé son parti à lancer le référendum contre la stratégie énergétique 2020».
Si l'on comprend bien, l'«homme des énergies fossiles» serait celui qui doit mener le pays à la neutralité carbone en 2050, comme l’y enjoint la loi-cadre approuvée en 2017? Difficile d’y croire... Mais on s’est peut-être payé de mots, suggère Vincent Maître. «Notre consommation énergétique annuelle est de 60 térawattheures: si l'on renonce au nucléaire et que, dans le même temps, on passe au tout-électrique, alors nous aurons un manque à gagner de 50 térawattheures», note-t-il.
On en vient donc au mot qu’il ne faut pas prononcer: nucléaire. La loi-cadre de 2017 interdit la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, mais ne fixe pas de date limite au fonctionnement des quatre réacteurs encore actifs aux centrales de Leibstadt, Gösgen et Beznau, lesquels ont fourni 17% de l’électricité consommée en Suisse en 2021. Il n'empêche, ils s'arrêteront tous un jour pour de bon.
Les partisans du nucléaire ont pensé à la suite, s'inquiète Lisa Mazzone:
Le débat sous-jacent aux défis énergétiques posés à la Suisse comme à d'autres pays industrialisés est celui de la «sobriété». Droite et gauche écologiste sont là-dessus divisées. La première estime qu’un «mix renouvelables-nucléaire» est la seule solution qui permettra aux Suisse de garder leur niveau de vie. La seconde ne jure que par les renouvelables. Mais, sans carbone et sans nucléaire, avec un passage au tout-électrique, notamment dans le secteur automobile, pourra-t-on satisfaire une demande pareille à celle d'aujourd'hui? Pour les Vert.e.s, la sobriété, autrement dit consommer moins, doit être le premier pas de la transition énergétique.
Le conseiller national écologiste neuchâtelois Fabien Fivaz affirme que «nous roulons trop en voiture» et qu’«il faut par conséquent développer les transports publics». Il ajoute:
Son collègue, le conseiller national PLR valaisan Philippe Nantermod, du bord opposé au sien sur la question nucléaire, plaide, d'une part, «pour le maintien en activité des réacteurs existants aussi longtemps que cela sera possible d'un point de vue sécuritaire», d'autre part, «pour la construction d'un ou plusieurs réacteurs dits de quatrième génération». Le centriste Vincent Maître croit également à l’avenir de cette nouvelle technologie, qui doit moderniser la filière nucléaire. «Les réacteurs de quatrième génération produiront de l’énergie nucléaire dans de bien meilleures conditions de sécurité et le recyclage des déchets sera considérablement amélioré», affirme l'élu genevois.
Le nucléaire va-t-il réimposer durablement sa présence dans le paysage énergétique suisse? Problème connu: cette énergie coûte cher, bien plus que l’installation de panneaux solaires. L'écologiste genevoise Lisa Mazzone voit venir gros comme une maison ce jour où «la question du subventionnement de la production nucléaire se posera, alors qu’actuellement, elle ne reçoit pas de subsides publics». Des fonds qui seraient destinés à l’assainissement des réacteurs existants, de manière à prolonger leur durée de vie, ou, qui sait, à la construction de futurs réacteurs.