A peine le casque de réalité virtuelle installé, le spectateur est plongé dans le noir et coupé de tous sons extérieurs. Il a l'impression de flotter dans le vide. Rapidement, des bruits de combat se font entendre au loin et un mur détruit apparaît. Une œuvre de l'artiste Banksy est dessinée sur les briques.
Le calme apparent est de courte durée. Soudain, des déflagrations de mitraillettes et de bombes résonnent et on entend les voix de soldats russes qui se coordonnent pour l'attaque: «Sors de là ou j'ai une grenade qui t'attend» hurlent-ils. Puis, la lumière aveuglante des explosions inonde l'espace.
L'œuvre présentée au Festival international du film de Genève s'appelle Murals. Une impressionnante immersion sonore et visuelle de 9 minutes réalisée par l'artiste ukrainien Artem Ivanenko, qui a pour but de montrer l'ampleur des destructions causées par la guerre en Ukraine.
watson: Pourquoi un tel projet?
Artem Ivanenko: Il s'agit en réalité de la seconde étape de mon travail.
Le but était de garder une trace des destructions en Ukraine. Je faisais cela pour mon pays et peut-être un jour pour les musées. Je reproduisais ce que je voyais dans la réalité. Puis, j'ai montré mon travail à des amis en Europe. J'avais envie de partager ces images plus loin. C'est ainsi qu'avec Alex Topaller et Dan Shapiro, les co-producteurs de l'œuvre, nous avons eu l'idée de Murals.
Les images que voit le spectateur en réalité virtuelle sont-elles réelles?
Bien sûr! Je sais que certains pourraient penser que ces images sont fausses. Mais pour modéliser un immeuble, il faut prendre 1000 photographies. C'est impossible d'utiliser Photoshop sur autant de matériel.
La majorité des immeubles ont un point commun: ils abordent une œuvre de l'artiste Banksy sur leur façade. Pourquoi avoir choisi ce détail comme fil conducteur?
La renommée de Banksy est mondiale. En novembre 2022, il est venu en Ukraine et a réalisé 7 fresques dans plusieurs villes. Chaque dessin raconte une histoire sur la guerre. Je trouve que ce travail est très important, presque magique.
Murals a été présentée au BFI London Film Festival, où elle a gagné le prix du public, au Ciclope Film Festival à Berlin ou encore au Festival de Cannes. Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès?
Absolument pas! Je suis heureux que les gens puissent se rendre compte de la réalité en Ukraine.
Comment est-ce que vous choisissez les objets que vous allez photographier?
Je fais selon les nouvelles. J'ai des contacts avec des journalistes et j'ai une accréditation presse. Lorsque j'ai choisi le vestige que je vais photographier, je prends mon pick-up acheté au printemps 2022 et je me rends sur place.
Comment est-ce que votre travail est accueilli par la population en Ukraine?
Au début, je me dépêchais de prendre mes photos et je partais rapidement. Tout était encore flou, les gens qui me voyaient arriver avec mes caméras appelaient la police. Ils ne savaient pas si ce que je faisais était légal. Aujourd'hui, ça va mieux. En revanche, il n'y a pas eu de projection de mon travail en Ukraine. Je ne pense pas que les gens soient prêts. C'est encore douloureux pour certains de regarder mes images. Nous sommes en guerre.
Personnellement, je n'ai qu'à sortir de mon immeuble pour voir un tank brûlé. En revanche, mon travail est utilisé par le gouvernement ou la police. Il leur permet d'enquêter sur les attaques menées par les Russes.
Est-ce qu'il y a un bâtiment qui vous a marqué en particulier?
Oui. Un bâtiment de ma ville natale d'Irpin, sur lequel il y a une fresque qui représente une gymnaste qui danse sur un trou dans le mur laissé par une bombe russe. Je connaissais bien cet endroit. Ce qui s'est passé à laisser une trace dans ma mémoire.
Contrairement aux deux autres producteurs de Murals, Alex Topaller (Pologne) et Dan Shapiro (Etats-Unis), vous ne serez pas à Genève en novembre pour présenter votre travail. Pourquoi?
C'est difficile de quitter l'Ukraine. Ma dernière autorisation a pris fin le 27 octobre. Administrativement, c'est compliqué d'obtenir le feu vert. Les démarches sont longues et on peut attendre jusqu'à un mois avant de recevoir ou non la confirmation qui nous permet de quitter le territoire.
Comment se passe votre quotidien?
Normalement. Après 6 mois de guerre, la peur a disparu. Regardez le nombre d'annonces que j'ai reçues aujourd'hui sur mon téléphone concernant des attaques aériennes. (Réd: Artem Ivanenko montre son téléphone à l'écran). Ce qui est compliqué actuellement, ce sont les problèmes d'électricité. Nous avons souvent des coupures de courant. Mais je ne cours plus me réfugier lorsqu'il y a un black-out dans ma ville, qui est selon moi l'une des plus sûres d'Ukraine.
Quels sont vos futurs projets artistiques?
Pour le moment, je prends une pause de trois semaines. Mon projet n'est pas fini, loin de là. Mais je ne peux pas prévoir ce qui se passera en Ukraine d'ici là.
Murals est à découvrir au Festival international du film de Genève du 3 au 12 novembre.