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La semaine contre le racisme indigne à l'Uni de Lausanne

L'une des photos de l'exposition
L'une des photos de l'exposition

Semaine contre le racisme ou promotion du voile? Colère à l'Uni de Lausanne

Alors que s'ouvre lundi une semaine antiraciste à l'Université de Lausanne, une trentaine de personnes, dont certaines travaillent à l'UNIL, écrivent à la conseillère d'Etat vaudoise Isabelle Moret pour la mettre en garde contre «la gauche pro-voile islamiste», a appris watson.
15.03.2024, 16:4718.03.2024, 10:39
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Cette fois-ci, ça va trop loin. C’est ce que se sont dit les personnes de sensibilité laïque qui contestent fermement le thème de la Semaine d’actions contre le racisme qui se déroulera à l’Université de Lausanne (UNIL) du 18 au 22 mars. Fait marquant, ces personnes, une «trentaine», nous dit-on, sont pour partie issues des personnels de l’UNIL. De quoi sera-t-il question durant cette semaine universitaire contre le racisme? De lutte contre l’«islamophobie», mais surtout, reprochent ces voix laïques, de «promotion du voile sous couvert d’antiracisme».

Les cinq jours dédiés au combat contre le racisme sont organisés autour de l’exposition «Invisibles/Survisibles. A nos histoires», aménagée dans les murs de l’UNIL. Cette exposition sous forme de grandes photos entend dénoncer à la fois le trop peu et le trop de cas fait des femmes voilées en Suisse. Elle s'en prend à «cette société qui dit favoriser la diversité, mais qui ne fait que nous rejeter (réd: nous les femmes voilées)».

Si les cinq rendez-vous de la semaine antiraciste ne portent pas tous a priori sur l’islam, deux au moins, trois si l'on tient compte de l'exposition, ont un rapport avec lui: une «table ronde» le lundi, où il sera question d’«expériences, résistances et mobilisations des femmes musulmanes»; un atelier le jeudi, intitulé «Les femmes et le Coran», où l’on débattra des «relectures féministes» du texte coranique.

«Quel est le rapport avec la lutte contre le racisme?», se demandent les personnes opposées à «cette intrusion du religieux dans un domaine qui n’est pas le sien, l'antiracisme». «On nous prend pour des imbéciles», ajoutent-elles.

Rien sur l'antisémitisme

Il y a une dizaine de jours, des collaboratrices de l’UNIL ont écrit au Bureau de l’égalité de l’Université lausannoise, partie prenante dans l’organisation de la semaine antiraciste.

«Nous l'avons rendu attentif au fait, qu’au cours de cette semaine, rien n'était prévu sur l’antisémitisme, alors même que la Suisse connaît une explosion des actes antisémites, marqués par une tentative d'assassinat à Zurich. Le Bureau de l’égalité nous a répondu qu’il ne fallait pas verser dans la concurrence victimaire.»
Une collaboratrice de l'UNIL, à watson

Mais ce vendredi 15 mars, c’est une lettre signée par une trentaines de femmes et d'hommes qui a été adressée dans l'après-midi à la conseillère d’Etat Isabelle Moret. La ministre vaudoise inaugurera lundi à l’UNIL la semaine antiraciste, celle valant pour l’ensemble du canton de Vaud et qui ne comprend pas le programme spécifiquement élaboré dans le cadre de l'Université de Lausanne. Il n'empêche, c'est bel et bien sur le site internet du Gender Campus de l’UNIL, qui chapeaute la thématique autour du voile musulman, que la venue de la conseillère d'Etat PLR est annoncée, et rien n'indique que le discours que doit prononcer la conseillère d'Etat se distingue de la thématique universitaire autour du voile.

Dans leur lettre à Isabelle Moret, dont watson a obtenu copie, la trentaine de signataires entend alerter la magistrate sur plusieurs points, à commencer par le fait qu'à aucun moment au cours de la semaine antiraciste de l'UNIL, il ne sera question d'antisémitisme, «alors même que le climat hostile aux Juifs se renforce en Suisse». S’agissant de la «table ronde», elles écrivent:

«Elle ne réunira que des femmes de gauche pro-voile islamiste, pro-hijab et pro-burkini, sans aucune musulmane opposée au port du voile et sans aucune contradiction possible puisque leur parti pris revient à dire que toute critique du voile serait sexiste et raciste, même provenant de femmes laïques.»
Extrait de la lettre envoyée à Isabelle Moret

«Une femme PLR comme vous»

Les signataires signalent ensuite à la ministre, sans citer leur nom, la présence, entre autres, dans cette «table ronde», de la «militante genevoise des Foulards violets» (réd: qui s’était opposée à l’interdiction de la burka en Suisse) et de «la coprésidente de l’association française Lallab». «Cette dernière, écrivent-elles, remet en question la loi [votée en 2004 en France] après une consultation auprès notamment des jeunes musulmanes qui ressentaient la pression du voile.»

«D’ores et déjà, nous pensons que ce n’est pas à la Suisse de devenir l’arrière-boutique des militantes pures et dures qui contestent par quantités d’actions les lois françaises sur la laïcité et le port de signes religieux à l’école publique et dans tous les services de l’Etat»
Extrait de la lettre envoyée à Isabelle Moret

Allant sur un terrain plus politique, les signataires de la lettre interpellent directement Isabelle Moret:

«(…) Si nous votons pour certaines d’entre nous au centre-droit, et si nous avons clairement donné notre voix à une femme PLR comme vous, c’est précisément pour que vous nous aidiez à résister à ce genre d’événement entièrement unilatéral.»
Extrait de la lettre envoyée à Isabelle Moret

Pour cette collaboratrice de l’UNIL, «l’idéologie rattachée à la défense et promotion du voile islamique a non seulement progressé, mais elle est devenue un marché porteur dans notre université, pour ainsi dire sa matrice».

«La mode pudique, un attrape-nigauds»

Spécialiste de l’islamisme, la Française Florence Bergeaud-Blackler, auteure de l’essai «Le frérisme et ses réseaux, l'enquête» (éditions Odile Jacob), note que «les néoféministes musulmanes ont effacé la dimension religieuse du voile pour ne garder que sa dimension identitaire et son côté mode pudique, un attrape-nigauds».

«On est en plein dans la théorie post-coloniale et déconstructionniste américaine centrée sur la justice sociale, le wokisme, si l’on préfère. Les fréristes, qui sont des religieux islamistes, se servent de l’antiracisme déconstructionniste pour faire avancer leur programme, qui consiste à saper les fondements des sociétés démocratiques pour installer à leur place un régime théocratique.»
Florence Bergeaud-Blackler

«Un discours d’inspiration frériste»

La Suissesse d’origine tunisienne Saïda Keller-Messahli suit avec attention l’évolution de la doctrine islamiste en Suisse. En 2018, elle publiait «La Suisse, plaque tournante de l'islamisme. Un coup d'œil dans les coulisses des mosquées» (éditions Alphil).

«Ce que j’observe en prenant connaissance du programme de la semaine antiraciste de l’UNIL, c’est que le discours est d’inspiration frériste. Avec ses procédés récurrents, comme celui qui consiste à dire que la société est islamophobe. Il faut bien voir que les mouvements islamistes s’accrochent à des mouvements de gauche tiers-mondistes et anti-impérialistes. Je constate que, comme à l’Université de Berne, où s’achève une semaine antiraciste, c’est le Gender Campus, avec ses représentants et représentantes en études de genre, qui donne sa caution à l’exact contraire du féminisme.»
Saïda Keller-Messahli

Co-organisatrice du l'exposition dont le débat du lundi tire son thème, la militante genevoise des Foulards violets Inès El-Shikh dément «toute proximité avec les mouvements islamistes».

«En tant que groupe féministe et inclusif, militant pour les droits des minorités sexuelles ou de genres, nous sommes au contraire le cauchemar de ces mouvements»
Inès El-Shikh, militante des Foulards violets

Concernant son opposition à l'interdiction de la burka en Suisse lors de la votation du 7 mars 2021, Inès El-Shikh tient à dire que sa position n'avait rien de «sulfureux». «Elle était la même que celle exprimée par le PLR, Le Centre, le PS ou Ensemble à gauche. Seule l'UDC faisait campagne pour l'interdiction de la burka.»

«Ce n'est pas un débat pour ou contre le voile»

Enfin, sur l'exposition elle-même, «Invisibles/Survisibles. A nos histoires», Inès El-Shikh précise qu'«elle a été conçue bien en amont des événements actuels au Proche-Orient, et qu'avant d'être présentée à l'Université de Lausanne, elle l'avait été à Genève en 2022». Quant à la «table ronde» de lundi, «ce n'est pas un débat pour ou contre le voile, c'est un moment qui réunit les artistes concernées, qui réfléchissent en tant que femmes musulmanes à l'invisibilité et à la survisibilité du regard social posé sur les femmes voilées.»

La réaction des collaboratrices de l'UNIL opposées à «la dérive islamiste» de la semaine antiraciste de l'Université de Lausanne, est peut-être une première dans le monde universitaire romand.

«Il y a de tels non-dits, un tel tabou, une telle omerta, une forme de paranoïa, aussi, car nous avons jusqu'ici toujours eu peur de faire entendre notre voix, lorsque nous n'étions pas d'accord avec des orientations nous paraissant contraires à l'idée d'une pensée universitaire humaniste»
Une collaboratrice de l'UNIL

Ce refus du «fait accompli» essaimera-t-il dans d'autres universités?

Les réponses du rectorat

«Il s’agit d’ouvrir des espaces d’échanges sur des discriminations spécifiques»
Nous ajoutons ici les réponses de la vice-rectrice de l'UNIL, Liliane Michalik, aux questions de watson envoyées jeudi. En charge du secteur «Egalité, diversité et carrières», la professeure Michalik doit prendre la parole, lundi, après la conseillère d'Etat Isabelle Moret, lors de l'inauguration de la Semaine d'actions contre le racisme à l'UNIL.

Qui a piloté le programme de la Semaine d'actions contre le racisme à l'UNIL?
Liliane Michalik: La Semaine d’actions contre le racisme fait partie des projets menés par la Direction de l’UNIL. Comme chaque année, le racisme se déclinant sous diverses formes, elle est organisée sur un thème spécifique avec plusieurs partenaires de notre communauté universitaire et valorise les recherches qui sont menées à l’UNIL.

Le rectorat a-t-il été mis au courant de ce programme? Si oui, quand? Comment y a-t-il réagi? Y a-t-il des voix dont vous auriez connaissance qui s'élèvent à l'UNIL pour s'étonner du contenu de ce programme, de sa pertinence? Le rectorat connaît-il le parcours des personnes intervenantes?
Le rectorat a été informé du programme et soutient, comme chaque année, la mise en œuvre d’une semaine d’action contre le racisme en lien avec une thématique spécifique. Comme pour tous les évènements scientifiques d’envergure, celui-ci a été prévu une année avant sa tenue, soit au printemps 2023, afin d’en assurer la bonne réalisation. A ce jour, deux personnes ont souhaité commenter le programme directement vers nous et reçoivent une réponse individuelle de notre part.

Il y sera question de religion, en l'occurrence d'islam, dans une perspective antiraciste. La religion a-t-elle sa place dans une semaine contre le racisme? Le voile est-il un vecteur d'émancipation féministe? A l'inverse, est-il une marque de sexisme, de domination masculine?
Il n’y sera pas directement question de religion, ni d’opinions, mais de discriminations spécifiques vécues par les femmes visiblement musulmanes, qui sont souvent victimes de racisme, discriminées et/ou marginalisées en raison des stéréotypes qui prévalent encore dans la société. L’enquête sur le climat de travail et d’études menée en 2022 à l’UNIL a montré que ces discriminations sont aussi présentes à l’UNIL. Notre objectif étant d’agir à l’échelle de la communauté UNIL, la thématique retenue cette année pour la semaine d’actions contre le racisme est centrée sur l’expérience et le vécu des femmes musulmanes. Il s’agit d’ouvrir des espaces d’échanges sur ces discriminations spécifiques, comme nous le faisons régulièrement pour d’autres discriminations.

Le jeudi 21 mars, il sera question dans un atelier de la lecture du Coran, de manière à discuter de ses «interprétations féministes». Est-on encore ici dans la thématique antiraciste?
L’atelier fait partie de l'offre d’activités scientifiques de l’UNIL. Il est conçu et animé par des chercheur.e.s UNIL. Le racisme se décline de différentes façons dans la société et touche aussi les femmes. Cet atelier génère un espace de discussion et de formation sur des thématiques qui les impactent en particulier, et qui s’intègre aussi dans une perspective de promotion de l’égalité femmes-hommes.

Le vendredi 22 mars, il doit y avoir un atelier ouvert aux «racisé.exs», donc en principe fermé aux Blancs ou personnes perçues comme telles. Ce biais est-il conforme à la mission de l'université?
Comme indiqué précédemment, l’enquête sur le climat de travail et d’études de 2022 a montré que des discriminations sont présentes à l’UNIL. Des études ont aussi démontré qu’il existe un besoin pour chaque groupe minorisé de bénéficier d’espaces dans lequel il est possible d’aborder sereinement leurs problématiques spécifiques, d’acquérir des outils concrets et de partager des bonnes pratiques pour pouvoir faire face aux discriminations au quotidien. Offrir des espaces d’échange pour les étudiantes et étudiants qui vivent de la discrimination répond aux mesures du plan d’action pour l’égalité, la diversité et l’inclusion 2022-2026, visant à améliorer l'accueil, la visibilité, l'inclusion et les conditions d'études de la communauté étudiante. Cet atelier est ouvert aux membres du corps estudiantin concernés.

Le présent article a été modifié lundi 18 mars avec l'apport de déclarations de la militante genevoise des Foulards violets Inès El-Shikh, que watson avait contactée jeudi 14 mars, mais qui n'a pu répondre que lundi 18.

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Video: watson
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