Selon le dernier rapport sur l'antisémitisme, une vague sans précédent d'incidents antisémites a eu lieu en 2023. Que s'est-il passé?
Ralph Lewin: L'attaque terroriste du Hamas contre Israël et le conflit qui s'en est suivi au Proche-Orient ont agi comme des déclencheurs extrêmement puissants. Alors qu'entre janvier et septembre, les incidents antisémites se situaient à peu près au même niveau que les années précédentes, leur nombre a fortement augmenté après le 7 octobre, notamment en ce qui concerne les incidents plus graves comme les agressions. Cela nous avait déjà beaucoup inquiétés avant l'attaque au couteau de Zurich du samedi 2 mars.
Pourquoi le conflit actuel au Proche-Orient alimente-t-il autant l'antisémitisme en Suisse?
Israël a par le passé déjà réagi militairement à des attaques du Hamas sous forme de tirs de roquettes. Ce fut le cas en 2009 et 2014. Ces précédents conflits ont agi comme des déclencheurs d'antisémitisme. Mais le phénomène était limité dans le temps. Aujourd'hui, les terribles massacres perpétrés par le Hamas remontent à cinq mois déjà et le conflit armé se poursuit. C'est le Hamas qui a déclenché cette guerre par son attaque terroriste. Une réalité souvent passée sous silence.
Donc, derrière l'augmentation des actes antisémites, il y a de la compassion pour les victimes palestiniennes?
Non, et notre rapport le montre de manière impressionnante. Premièrement, cette vague d'incidents antisémites a commencé dès les jours qui ont suivi l'attaque du Hamas. Donc à un moment où la réaction militaire d'Israël n'avait pas encore eu lieu. Deuxièmement, depuis le 7 octobre, ce ne sont pas seulement les incidents d'antisémitisme liés à Israël qui ont fortement augmenté, même si c'est là que l'augmentation a été la plus nette. Mais même dans ce cas, il n'est pas acceptable de rendre les Juifs responsables de la situation en Israël. Malheureusement, une évolution que j'avais prédite immédiatement après le 7 octobre s'est ainsi produite.
Quelle évolution?
La terreur du Hamas et ses victimes sont très vite tombées dans l'oubli ou du moins passées au second plan. Quelques jours seulement après les massacres, l'attention s'est portée sur la situation dans la bande de Gaza. La stratégie du Hamas, qui consiste à dissimuler sciemment des combattants et des infrastructures militaires au milieu de la population civile, est souvent passée sous silence. En revanche, on a souvent entendu l'accusation selon laquelle Israël commettrait un «génocide» dans la bande de Gaza, ce qui a énormément échauffé les esprits.
Immédiatement après le 7 octobre, la FSCI s'est prononcée contre l'autorisation de manifestations propalestiniennes. Comment cela se concilie-t-il avec la liberté de réunion et d'expression?
Nous avons salué la décision des autorités municipales et cantonales chargées de la sécurité de ne pas autoriser de manifestations dans les semaines qui ont suivi l'attaque – cela concernait en effet les villes abritant des institutions juives. A ce moment-là, la situation sécuritaire était extrêmement tendue. Mais nous attachons une grande importance au droit de manifester et à la liberté d'expression. Une critique légitime d'Israël et de son gouvernement n'est pas de l'antisémitisme, nous considérons cela de manière très différenciée.
Malgré cela, il y a toujours des pancartes ou des chants antisémites lors des manifestations.
Le code pénal contient une norme pénale antiraciste. Celle-ci s'applique également aux manifestations. Nous attendons des autorités qu'elles interviennent pour empêcher et poursuivre les affiches ou les chants clairement antisémites.
Les manifestations en faveur de la partie palestinienne ont attiré beaucoup plus de monde dans les rues que les manifestations de solidarité avec Israël ou les veillées contre l'antisémitisme. Comment le percevez-vous?
J'ai également assisté à ces veillées et j'ai dû constater que par rapport aux manifestations propalestiniennes, il y a beaucoup moins de monde. On se rend alors compte que nous n'avons pas autant d'alliés. Cela me préoccupe, ainsi que de nombreux autres membres de la communauté juive. Nous souhaiterions que davantage de personnes s'élèvent contre l'antisémitisme. Je me demande parfois pourquoi la guerre de Bachar el-Assad contre la population civile syrienne a attiré si peu de monde dans les rues, comparée à la réaction militaire d'Israël au terrorisme du Hamas.
Comment expliquez-vous ce manque de soutien?
Difficile à dire. Beaucoup de gens ici, y compris dans la communauté juive, sont en désaccord avec le gouvernement israélien actuel et sa politique. Mais malgré toutes les critiques justifiées à l'encontre de ce gouvernement, il s'est développé dans certains cercles, notamment dans les universités, une vision totalement faussée d'Israël. Le pays y est considéré, dans l'ignorance de l'histoire de sa création, comme un projet raciste et colonialiste. Son droit à l'existence en tant qu'État juif, créé après l'Holocauste avec l'accord de l'Onu, est remis en question.
Suite à une décision du Parlement, les institutions juives recevront en 2024 environ 4,5 millions de francs pour des mesures de protection, soit deux fois plus qu'auparavant. Quel est l'impact de cette mesure?
Elles ont dû en partie économiser cet argent sur leurs tâches principales, comme la pratique religieuse ou les manifestations culturelles. Bien que la protection de tous ses citoyens soit une mission essentielle de l'État, nous avons dû nous battre pendant des années pour obtenir davantage de soutien. Aujourd'hui, cette année, nous disposons enfin de suffisamment d'argent pour toutes les demandes déposées. C'est un grand soulagement.
Quel soutien espérez-vous au niveau politique?
Nous saluons la décision prise la semaine dernière par le Conseil national en faveur d'une stratégie nationale contre l'antisémitisme. Il ne faut pas en attendre de miracle, mais c'est un signe important de reconnaissance.
La Confédération et les cantons doivent maintenant fournir davantage d'efforts pour recenser et combattre l'antisémitisme et soutenir davantage les projets existants de la société civile, par exemple pour les écoles. Il est également important de disposer de meilleurs moyens juridiques pour lutter contre les discours de haine sur le web et les réseaux sociaux. Nous espérons que le Parlement avancera rapidement sur le dossier du Hamas et l'interdiction des symboles nazis.