Le quartier de Prélaz, à Lausanne est particulièrement calme ce mardi 26 août, après deux nuits d'émeutes. A 23h alors que les journalistes se préparent à quitter le quartier faute d'événements à couvrir, nous décidons de nous rendre sur le lieu de l'accident qui a coûté la vie à Marvin, lausannois de 17 ans. Là, nous avons rencontré des amis du défunt. Récit.
A l'avenue de Sévery, des bouquets de fleurs, des photos et des mots sont laissés sur un mausolée improvisé. Là, six jeunes se recueillent en silence devant les portraits du «petit» comme ils aiment à l'appeler. Le groupe s'enquiert de la famille, mais un prénom est sur toutes les lèvres, celui de Dayron, l'un des grands frères de Marvin. «Il va comment Dayron? Il tient le coup?», demande un jeune attristé: «ça va, mais il est tout seul dans sa chambre maintenant, il n'y croit toujours pas», répond un autre. Le silence s'installe avant qu'un autre groupe nous rejoigne. On remet en place quelques fleurs, on essaie de protéger le carnet de condoléances mis à disposition des amis du quartier.
Lorsque nous nous présentons en tant que journalistes, le groupe n'émet aucune réaction particulière, nous comprenons que l'heure n'est pas aux interviews et restons debout en silence. L'un d'eux, que nous appellerons François* nous interpelle:
Au milieu des fleurs, nous voyons une photo portrait de Marvin, micro à la main et des photos de famille. «Regardez-le bien, il a un visage de voyou, selon vous? C'est un gamin, il aimait la musique et ses copains, franchement j'ai plus les mots», lance un de ses amis avant de se murer dans le silence. Paul*, un proche de la famille, évoque la passion qu'avait Marvin pour la musique: «Son rêve était d'être rappeur, c'était un petit sans histoire, il enregistrait des sons, avait fait des clips, se produisait dans des fêtes, il était toujours joyeux, c'est pour ça que tout le monde l'aimait ici», notre voisin renchérit:
Le groupe discute à bâton rompu évoquant des souvenirs et des chansons écrites par l'adolescent, mais l'atmosphère est lourde, impossible de ne pas parler les émeutes qui se sont déroulées dans le quartier des deux derniers jours.
«On leur a dit d'arrêter leurs conneries, c'est pas comme ça qu'on fait un deuil mais, en même temps, on comprend leur colère», lance François* qui ajoute qu'au sein des jeunes émeutiers, «il y a des gosses de 14 ans qui ne savent pas comment exprimer leur colère».
Son ami Paul* nous explique que certains jeunes du quartier sont en total désaccord avec ces comportements et ont tenté d'éteindre les incendies des conteneurs: «Mais ça, vos collègues journalistes ne l'ont pas montré», lance-t-il en notre direction. La discussion s'oriente spontanément sur «le racisme de la police» et les contrôles au faciès qui légitiment en partie la révolte des jeunes du quartier, selon nos interlocuteurs.
Son ami Paul* rajoute qu'il ne fait aucun doute que la police est raciste, prenant pour exemple les dernières révélations des groupes WhatsApp contenant des propos discriminatoires👇🏽.
A l'évocation des contrôles au faciès, un autre jeune tient à se faire entendre: «J'ai un pote qui a un scoot depuis des années, il s'est fait contrôler deux fois, mois je viens de l'avoir et vous n'imaginez pas combien de fois je me suis fait arrêter par la police.» Il assène:
Quant à l'accident de Marvin, Paul est persuadé que «la police a quelque chose à cacher», expliquant que selon lui, il est impossible que l'adolescent de 17 ans ait pu fuir de la sorte pour un scooter signalé volé. Pour Paul*, «le petit» qui n'a jamais fait de «bêtises» et qui est inconnu de la police, a dû avoir «très peur». Il explique que l'adolescent a pu emprunter le scooter à des amis sans savoir qu'il était volé.
Il est bientôt minuit et le groupe d'amis reste debout sur le trottoir devant le mémorial, les clapotis de la pluie se font entendre sur les bouquets de fleurs. Nous sentons que le moment est chargé en émotion mais que les jeunes ont aussi envie de s'exprimer. «Vous avez vu que les médias ont dit que Marvin roulait à contresens? C'était un mensonge», relate Paul* en montrant au loin le panneau de signalisation qui annonce une interdiction de circuler à deux cents mètres.
Alors que nous lui expliquons que cette communication provenait de la police vaudoise et qu'elle s'est excusée de son erreur par la suite, il ne semble pas convaincu de la bonne foi des autorités.
«On a entendu dire qu'il n'avait pas de casque, qu'il était dans un sens interdit, tout cela était faux. Même en corrigeant, le mal est fait, on fait croire que c'était lui le responsable. On salit la mémoire d'un gentil gamin», explique François*. Il poursuit en dénonçant les articles «partiaux» des médias romands qui prennent au mot ce que dit la police. «Les journalistes auraient pu vérifier qu'il n'était pas dans un sens interdit, c'est facile à constater», rappelle-t-il. Quant à Paul, il explique que des journalistes sont allés frapper à la porte des parents de Marvin alors qu'ils n'étaient pas invités.
Evoquant ce qu'il considère comme un parti pris des médias, François nous explique que de nombreux jeunes n'auraient pas voulu nous parler ce soir et qu'il comprend cette méfiance. Il est 1h du matin, avant de quitter le groupe de jeunes, nous leur demandons combien de temps ils comptent encore rester devant ce mémorial. Le regard perdu, Paul nous répond qu'ils travaillent tous le lendemain, mais qu'il est difficile de s'en aller pour l'instant.
Il nous fait une dernière remarque avant que nous les quittions. «Si vous pouviez écrire une seule chose dans votre article, c'est que Marvin était un gamin aimé de tous, il nous manque énormément et personne ne mérite de mourir à 17 ans». Une marche blanche sera organisée ce samedi 30 août en mémoire de l'adolescent.