Emeutes: «Certains craignent d'être exclus s'ils ne participent pas»
Cocktails Molotov, jets de cailloux, containers en feu, bus saccagés: Lausanne a vécu sa deuxième nuit d'émeutes ce lundi 25 août. Elles avaient débuté la veille dans le quartier de Prélaz suite à la mort de Marvin, 17 ans, décédé après avoir tenté de fuir la police en scooter le dimanche 24 août.
Une centaine d'émeutiers ont été recensés par la police le premier soir – des jeunes principalement, selon les déclarations des autorités –, contre près de 200 le deuxième soir. Comment expliquer cet embrasement rapide? Christian Python est expert en sécurité. Aujourd'hui consultant, il a été pendant neuf ans chef de la sécurité au stade de Genève et de Servette et a notamment participé à l'organisation de l'Euro 2008. Il nous apporte son éclairage.
Pourquoi la situation s'est-elle embrasée à Lausanne?Christian Python: Un drame, comme celui survenu ce dimanche 24 août, agit comme un détonateur pour ces jeunes. Un sentiment d'injustice collective est déclenché et c'est le quartier qui réagit.
Et puis, c'est l'occasion de défier la police, de se venger symboliquement et de montrer qu'ils peuvent inverser le sentiment de peur. J'imagine que des tensions devaient déjà exister – la jeune fille de 14 ans décédée en scooter cet été, des policiers dédouanés par la justice dans d'autres affaires, une défiance accrue envers les forces de l'ordre –, que ces jeunes en discutaient et qu'ils en ont eu marre. Ils étaient prêts à exploser.
Les émeutiers étaient équipés: cagoules, feux d'artifice, mortiers. Comment expliquer cette organisation rapide?
Une partie d'entre eux avaient probablement déjà ce matériel. La réaction est intuitive, héritée d'expériences vues ailleurs, à Paris par exemple.
De plus, dans ce genre de scénarios, d'autres groupes viennent se greffer. Ils sont souvent plus radicaux et font usage de tactiques violentes. Les réseaux sociaux, TikTok ou Snapchat par exemple, agissent quant à eux comme amplificateurs.
Vous parler d'injustice collective, de ras-le-bol, de tensions et de jeunes prêts à exploser. Quel est le fond du problème?
Selon moi, ces émeutes sont le départ de quelque chose qui risque de se généraliser. De plus en plus de jeunes sont marginalisés. Ces groupes s'organisent, grossissent, prennent de l'ampleur. Comme en France, la situation peut également exploser en Suisse, même si l'intégration se fait différemment chez nous. A ceci s'ajoute le fait que l'image de la police et de l'autorité s'est détériorée ces dernières années. Cela peut déteindre sur certaines personnes.
Ce lundi, au lendemain de la première nuit d'émeutes, la police lausannoise a tenu une conférence de presse dans laquelle elle révélait l'existence de messages racistes, sexistes et discriminants partagés par des policiers ou anciens agents sur WhatsApp. Que pensez-vous de ce timing?
J'estime que la conférence de presse aurait dû avoir lieu plus tard. Ce n'était pas le bon moment. Comment voulez-vous que celles et ceux qui la regardent ne réagissent pas ensuite?
Peut-on envisager un retour au calme prochainement ou doit-on s'attendre à une nouvelle nuit d'émeutes?
Je ne suis pas Nostradamus. Ce que je peux dire en revanche, c'est que si la colère reste vive, le risque de tensions sera toujours présent. Il ne faudrait pas qu'un nouvel incident survienne. Mais lorsqu'un jeune voit les émeutes comme un jeu d'adrénaline ou de vengeance envers la police, la flamme peut se rallumer très vite. Ce qu'il faut éviter actuellement, c'est de diviser la société en employant une philosophie de diabolisation de l'autre – de la police, des jeunes. La situation commence à déborder et c'est maintenant que les politiques doivent réagir en rassemblant les gens.
