Un bon moyen de comprendre le quartier de Prélaz, c’est de s’asseoir à l’arrêt de bus et de regarder les gens passer. Un abri comme il en existe des dizaines d'autres à Lausanne. A l'exception que celui-ci a assisté à la course-poursuite et à l’accident de scooter tragique de Marvin, ce dimanche. Suivi, quelques heures plus tard, d'une série d’émeutes où se sont mêlés jets de mortier, feux d'artifice, sprays de gaz lacrymogène et interpellations de la police.
Ce mardi, après une nuit agitée, l'abri de bus fait le dos rond, comme s'il attendait une nouvelle salve de coups. Autour de midi, une atmosphère paisible règne pourtant dans ce quartier situé à quelques minutes du centre-ville de Lausanne.
A croire qu'il ne s'est rien passé.
Des bandes de sécurité rouges et blanches, un trottoir brisé comme une lèvre après un coup de poing et du béton fondu sont les seuls stigmates des évènements de la veille.
Prélaz. Un quartier résidentiel paisible et coquet, où se mêlent toutes les origines, toutes les religions. Des immeubles d’habitation carrés et modernes tiennent compagnie à des bâtiments du 20e siècle. Une Coop fraîchement rénovée flanque la pharmacie et une garderie. Un coiffeur ici, un boucher là, des épiceries ouvertes toute la semaine, un magasin de vélos et un restaurant viêtnamien. Le Café de Prélaz, qui fait le délice des amateurs de brunch du dimanche, semble observer tout cela du coin de la rue.
C'est une avenue que l'on peut traverser pour un footing sans même y penser - ce n'est de loin pas le cas partout, à Lausanne.
On observe le ballet des ménagères aux bras chargés de courses, les ouvriers qui fument une clope en observant le trafic, les enfants qui jouent à la balançoire. Leurs éclats de rire flottent dans l'air.
Des grappes d'ados papotent en attendant le bus qui les ramènera en cours après la pause de midi. Evidemment, le nom de Marvin est sur toutes les lèvres. En particulier après les évènements de la nuit. Face à une journaliste, ils ne se montrent pas particulièrement loquaces. L'un d'eux grogne:
«Ceux qui ne parlent pas sont ceux qui savent le plus», nous glissera d'ailleurs une dame du coin, au détour d'un trottoir, en traînant son cabas.
Certains jeunes sont venus jeter un oeil aux émeutes qui ont agité leur quartier. D'autres se sont vus interdits par leurs parents de mettre le nez dehors. «J'aurais bien voulu. Mais ma mère, elle avait trop peur!» renchérit une collégienne en haussant les épaules, avant de sauter dans le bus n°18.
A deux pas de là, chez Coffee Corner, un café bobo lumineux où on peut grignoter un croissant fourré à la framboise accompagné d'un matcha, l'incompréhension se mêle à l'odeur de café. La serveuse, qui vit dans le quartier, nous livre un espresso et ses impressions sur le comptoir. «Je n'en reviens toujours pas.»
Au début, elle a pensé à des feux d’artifice. «Quelque chose lié au meeting d'Athletissima, comme la semaine passée», présume-t-elle. C'était avant que son petit copain ne traverse le quartier en voiture et ne l'informe de ce qui se passe.
A l'exception d'une marque dans un coin de la vitrine, aucun dégât à signaler chez Coffee Corner. Désormais, la barista espère que tout reviendra à la normale dans ce coin qu'elle aime beaucoup et où elle ne s'est jamais sentie en insécurité. Alors qu'on s'apprête à prendre le chemin de la sortie, notre café à la main, elle nous lance quand même: «Soyez prudente si vous repassez ce soir! On ne sait jamais.»
Prélaz. Un lieu où il ne se passe jamais rien... ou, plutôt, seulement des choses «positives», nous décrit Claude Ansermoz, ancien rédacteur en chef de 24 Heures et habitant du coin depuis une douzaine d'années. «Chaque année, une association organise une grande fête de quartier ouverte à tous, cela a un côté fête du village.»
«C'est aussi un quartier avec une immense mixité sociale. Des communautés qui ne se mélangent pas forcément, mais qui cohabitent en paix, mais aussi dans une certaine indifférence mutuelle», nous décrit-il par téléphone, mardi.
Pour lui, les émeutes ne sont pas forcément inhérentes au quartier de Prélaz.
Sauf que c'est ici que le jeune Marvin a perdu le contrôle de son scooter et la vie, à l'aube, dimanche.
Si Claude Ansermoz ne nie pas la gravité des évènements qui ont secoué le quartier et auxquels il a assisté de ses propres yeux, lundi soir, il constate que la masse assemblée sur les trottoirs était composée davantage de curieux et d'habitants du quartier que d'émeutiers décidés à mettre la pagaille.
L'ancien correspondant à Paris balaie les comparaisons avec les banlieues françaises qu'on a pu lire dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Prélaz, de son côté, est un quartier relié au centre-ville, qui n'est coupé de rien. «Tous les voisins que j'ai pu croiser ces dernières heures n'ont aucune intention de quitter ce quartier», affirme le journaliste.
«Lausanne n'est plus celle qu'elle était il y y a trente ans», stipule-t-il. «C'est une commune qui grandit, et qui est désormais confrontée aux mêmes problématiques que d'autres grandes villes. Et elle va devoir trouver des solutions. Sans renier son dynamisme.»