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Mon téléphone m'écoute, même en veille, et ce n'est pas de la paranoïa

Est-ce que les téléphones nous écoutent?
Image: Montage watson

Mon smartphone m'écoute, même en veille, et cet espionnage me gave

Dernièrement, je revenais d'une virée à Bienne avec un ami quand, en ouvrant mon application Facebook, j'ai eu un haut-le-cœur: la montre Swatch dont nous avons causé en voiture m'était proposée en pub... Cette (énième) fois, c'est sûr: mon téléphone m'écoute. Et ça me gave. J'ai donc tenté d'en savoir plus.
17.04.2022, 16:0121.04.2022, 15:05
Jonas Follonier
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Comme beaucoup d'entre vous, j'ai eu plusieurs fois la désagréable impression que mon iPhone m'écoute quand je discute avec des potes, puisque droit après, une application me propose quelque chose en lien avec le sujet dont on vient de parler. Il a fallu une nouvelle anecdote personnelle, que je vais vous raconter maintenant, pour que je vérifie ce que l'on sait actuellement sur le sujet. Et c'est assez effrayant.

Mon histoire (banale):

Un samedi matin, à Neuchâtel. Je reviens d'une virée à Bienne avec un ami amateur de montres. Sur place comme en voiture, on a discuté de beaucoup de choses... entre autres de montres Swatch et Omega (et Omega-Swatch 😉). Arrivé chez moi, à peine après avoir fermé la porte de mon appartement, j'ouvre mon application Facebook (parce que je suis accro). Et qu'est-ce que je vois? La pub d'une montre Swatch pour filles absolument ignoble qu'on a commentée une heure plus tôt devant une vitrine. Or, je me souviens avec certitude que mon téléphone était en veille dans ma poche quand on a parlé de cet objet. Depuis, la pub est revenue à de nombreuses reprises sur mon fil Facebook. Alors: une coïncidence?

J'ai d'abord été conforté dans ma suspicion en découvrant sur le NET l'expérience de Sam Nichols pour le média VICE:

«Il y a deux, trois ans, une chose étrange m’est arrivée. J’étais avec un ami dans un bar, nos téléphones dans nos poches, et on a parlé de nos voyages au Japon [...]. Dès le lendemain, on a tous les deux commencé à voir des publicités de billets d’avion pour Tokyo à bas prix sur Facebook. J'ai [alors] décidé de faire une petite expérience. Deux fois par jour pendant cinq jours, j’ai essayé de prononcer des phrases qui pouvaient théoriquement être des déclencheurs. Des phrases comme "Je pense à retourner à l’université" ou" J’ai besoin de chandails pas chers pour le travail". Ensuite, j’ai porté une attention particulière aux publications commanditées sur Facebook [...]. On m’annonçait des cours dans diverses universités, des marques m’offraient des vêtements abordables.»

Disons-le tout de suite, oui, «nos smartphones nous écoutent». Même quand aucune application n'est ouverte. Mais spécifions-le aussi d'emblée: c'est un peu plus compliqué que ça, en vérité. D'où les guillemets. C'est ce que j'ai pu constater en faisant ma revue de presse depuis cette affaire qui m'a troublée. Toute une série d'éléments techniques et juridiques entre en compte.

Les assistants vocaux attendent notre signal

L'existence même des assistants vocaux suffit à prouver que nos téléphones nous écoutent en permanence. C'est tout à fait logique et transparent: puisque nous pouvons solliciter les services de Siri, Alexa ou encore OK Google en les appelant («Dis, Siri», «Alexa», «OK»...), ceux-ci attendent notre signal. Pour pouvoir savoir si nous disons les mots magiques, ils doivent avoir des oreilles: les micros de nos appareils. Les mêmes qui servent à nos appels téléphoniques.

Mathieu Cunche, enseignant-chercheur à l'Insa-Lyon et l'Inria, spécialisé dans la protection des données personnelles, l'a confirmé au journal Les Echos. Mais ce qui est plus flou pour cet expert, c'est ce qu'on appelle les «faux positifs»: les mots que nos micros interprètent, à tort, comme étant «Dis Siri» ou «Alexa» (parce que ce sont des sons proches) et qui déclenchent l'enregistrement. Et il y en aurait beaucoup. En ce qui me concerne, il m'arrive par exemple d'évoquer la Syrie, une scierie et l'absurde phrase «Dis, Siri» en disant que je ne la dis jamais.

Notre intimité analysée par des robots... et des humains

Ce qui m'inquiète potentiellement, ce n'est pas tant cette «attention» des microphones à l'égard de notre bla-bla, mais plutôt ce qui en est fait par la suite. Mes discussions de bistrot, de boulot, de dodo sont-elles conservées? Oui, selon Mathieu Cunche. Comment sont-elles utilisées? On ne sait pas, on suppute:

«Il est probable qu'elles soient traitées en local, c'est-à-dire par le système du téléphone, puis écartées mais également qu'elles soient analysées par les serveurs de l'entreprise»
Mathieu Cunche, expert en protection des données personnellesLes Echos

Le but de ces analyses effectuées par des robots, mais aussi par des humains? Améliorer le service de reconnaissance vocale et ainsi réduire le volume de «faux positifs», justement. Me voilà rassuré. Or, en 2019, Apple, Google et Amazon ont affirmé avoir renoncé à ces pratiques, que ce soit temporairement et localement (Google) ou définitivement (Apple), rappelle Les Echos. Mathieu Cunche se permet de nuancer:

«Il est difficile de savoir exactement ce qui se trame dans ces écosystèmes informatiques en vase clos»
Mathieu Cunche, expert en protection des données personnellesles echos

Mais même avec les assistants vocaux désactivés...

Alors, Siri m'aurait-elle écouté sans que je le susse? Possible, mais il y a une autre piste plus probable, bien que moins documentée. Celle des applications. Car le fait est qu'elles aussi ont le pouvoir de nous écouter, du simple fait que nous pouvons y envoyer des messages vocaux. Et justement, si aucune étude scientifique n'a réussi à le prouver pour l'instant, il reste, selon Mathieu Cuche, que les témoignages se multiplient: même quand l'assistant vocal est désactivé, les fameuses «coïncidences» surviennent.

Facebook m'aurait-il donc espionné durant ma balade saturnale? C'est plus général et plus perfide que ça, selon l'expert. «Légalement, pour avoir accès à d'autres applications ou à des éléments du téléphone, comme le micro, une appli doit demander l'autorisation à l'utilisateur, mais c'est là encore très compliqué de vérifier.» D'après lui, «il est possible que par des subterfuges bien enfouis dans l'architecture de nos applis préférées, des sociétés malveillantes ou avides de profit, aspirent nos données pour ensuite nous profiler et cibler leurs offre.»

J'en conclus ceci:

Peut-être qu'une application un peu «cow-boy» était active au moment où je discutais de cette fichue Swatch (même si mon iPhone était en veille et sans application ouverte!). Et si en plus elle fait des affaires avec Facebook...

Autre exemple réaliste donné par Les Echos: «Gmail [...] a accès au contenu de nos courriels. Résultat, Google peut croiser ce contenu avec les documents déposés sur Drive (son application en ligne de bureautique) et les vidéos que l'on regarde sur YouTube (propriété de Google).» Et c'est là que je me suis dit: mince, j'en envoie des trucs via Gmail... Vous et moi oublions souvent cette réalité résumée dans le magazine NEON par Olivier Tesquet, journaliste spécialisé dans le numérique:

«Nous semons beaucoup de petits cailloux derrière nous à travers nos achats, nos navigations et nos échanges avec nos proches»
Olivier Tesquet, journaliste spécialisé dans les questions numériquesNEON

Soyons clair: je ne connaissais pas cette montre Swatch avant ma promenade amicale. Je n'ai donc pas pu la mentionner par écrit dans un autre contexte. Idem pour mon camarade. Sans doute ai-je cité la marque Swatch dans une ou deux de mes correspondances, mais ce serait quand même curieux que l'adéquation du contenu sponsorisé avec la montre rencontrée une heure avant soit un hasard. D'autant que ce n'est pas ma première expérience du genre.

La boîte de Pandore est d'ores et déjà ouverte

Vous l'aurez compris, le fait que cette montre soit apparue sur mon téléphone me taraude et me révolte, quelle que soit l'explication technique. Déjà, si c'est pour améliorer le système technique d'assistance vocale que mes discours (présidentiels) de tous les jours sont enregistrés, conservés et traités, il y a deux conditions qui me paraissent couler de source si nous tenons un tant soit peu à la protection de la sphère privée:

  • Ces enregistrements doivent être détruits directement après utilisation.
  • Ces enregistrement ne doivent servir aucun autre but que celui d'améliorer le gadget qui est à notre service.

Que notre discussion – anodine – sur cette pauvre Swatch soit réinvestie dans la publicité ciblée a quelque chose de révulsant. Que les annonceurs du Web connaissent un peu de ma vie pour pouvoir adapter leurs offres à mes intérêts n'est pas un problème en soi (d'ailleurs, toute pub a une cible). Sur le plan pratique, cette sorte de «tri d'office» est même salutaire – elle me permet d'éviter de voir passer des réclames pour des objets qui ne m'intéresseront jamais: des mangas, des ballons de football, du gel pour les cheveux, des steaks végans.

Le problème se situe ailleurs: éplucher nos conversations privées, transmettre ces données à des partenaires, c'est ouvrir la boîte de Pandore. Qui est assez naïf pour croire que ce commerce, faisant de nous des produits, s'arrête à la publicité? Les hackers se font un plaisir de profiter du faible degré de sécurité de cette masse de biens impalpables. Certains, bienveillants, pointent par leur action notre propre négligence – et ils ont raison. Mais les individus, organismes et Etats malveillants, ça existe aussi, et l'argent n'est pas la seule motivation en ce bas monde. Le pouvoir en est une autre.

L'espionnage camouflé dans nos engins présente un deuxième souci – bien connu: l'hyper-personnalisation de ce qui nous est présenté sur nos mini-écrans nous enlève paradoxalement de la personnalité. Tout comme les algorithmes nous enferment dans des bulles d'opinions très homogènes, très convenues et très polarisées, les publicités qui suivent nos obsessions – ou croient les suivre – nous détournent de ce que nous pourrions découvrir par inadvertance, en tombant sur quelque chose plutôt que l'inverse. Malheureusement, c'est de plus en plus la baguette qui choisit son sorcier.

Ce qui est scandaleux, c'est notre propre passivité

Or, que faisons-nous, et moi le premier? On s'en fiche! On se dit choqué, au détour d'un article comme celui-ci, puis on passe à autre chose. On continue d'acheter des smartphones sans avoir totalement confiance en leurs développeurs, à télécharger des applications sans lire les conditions générales. Et même si une relative prise de conscience a émergé au niveau mondial, nous avons déjà trop donné de pouvoir aux GAFAM pour les penser honnêtes.

Cette situation révèle notre goût perdu pour les fondamentaux: le respect de l'individu, incluant la séparation entre la sphère publique et la sphère privée. Les Etats-Unis d'Amérique, cet Occident devenu fou, ce monde libre qui se retourne contre lui-même, nous ont habitués au sacrifice volontaire de notre intimité. Il est temps de nous déniaiser. En commençant par désactiver notre assistant vocal, désinstaller des applications douteuses et éteindre nos téléphones dès que c'est opportun.

Et ce n'est pas mon collègue Sven qui me contredira:

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