L’Europe à l’époque de l’absolutisme? Un continent fait d’empires et de royaumes, de princes et de ducs. Parmi eux, les princes de Liechtenstein, dotés de richesses mais pas du droit de vote à la Diète du Saint-Empire romain germanique.
Charles Iᵉʳ de Liechtenstein avait certes déjà été élevé au rang de prince d’Empire en 1620 par l’empereur Ferdinand II (1587-1637), mais il fallait posséder un territoire jouissant de l’immédiateté impériale (un privilège accordé par l’empereur) pour avoir voix au chapitre à la Diète d’Empire. Bien que les princes de Liechtenstein possédaient de nombreux territoires en Bohême, en Moravie, en Silésie et en Autriche, ceux-ci ne relevaient pas directement de l’empereur, mais de la maison des Habsbourg.
En quête d’un territoire «immédiat», le prince Jean-Adam Iᵉʳ Andreas de Liechtenstein (1657-1712) découvrit, le long du Rhin alpin, des terres qui remplissaient ce critère. La seigneurie de Schellenberg et le comté de Vaduz se trouvant dans une situation économique désastreuse, ils étaient à la recherche d’un acheteur. En acquérant ces deux territoires, estima le prince, la maison de Liechtenstein remplirait son objectif, à savoir siéger à la Diète d’Empire et disposer du droit de vote.
Le XVIIe siècle constitue l’une des périodes les plus difficiles de l’actuelle principauté du Liechtenstein. La peste se répandit en faisant un grand nombre de morts, la guerre de Trente Ans provoqua des famines, et plus de trois cents condamnations à mort furent exécutées pendant la chasse aux sorcières.
Les seigneurs à cette époque étaient les comtes de Hohenems, dont le comportement accéléra le déclin économique de la région. Au XIXe siècle déjà, l’historien Peter Kaiser décrivait en ces termes le comte Ferdinand Charles de Hohenems:
Son frère Jakob Hannibal, qui lui succéda en 1668, était tout aussi impopulaire, ce qui donna lieu à une plainte auprès de l’empereur. Celui-ci démit le comte de ses fonctions, plaça la seigneurie sous tutelle et chargea le prince-abbé de Kempten, Rupert von Bodman, d’administrer la seigneurie de Schellenberg et le comté de Vaduz.
Une commission présidée par le prince-abbé parvint à la conclusion que seule la vente de ces deux domaines pouvait encore sauver la situation. Des négociations furent alors entamées pour rembourser les dettes des comtes de Hohenems.
L’affaire intéressa des représentants laïcs comme ecclésiastiques, dont le prince-abbé de Saint-Gall et l’évêque de Coire. Le 12 juin 1697, le prince Jean Adam Iᵉʳ Andreas de Liechtenstein écrivit à l’empereur afin de manifester son intérêt pour la seigneurie de Schellenberg. Le prince, qui était à la recherche d’un territoire «immédiat», offrit la somme la plus importante et l’emporta. Le prix d’achat de 115 000 florins était largement supérieur à la valeur économique de ce domaine ravagé par la guerre, la peste et la chasse aux sorcières.
Le prince ne se rendit pas à la cérémonie de l’hommage organisée le 16 mars 1699, préférant envoyer un représentant de sa cour. Il décéda en 1712 sans jamais avoir vu en personne le modeste territoire de 35 km² dont il avait fait l’acquisition. Ses successeurs directs non plus, puisque ce n’est qu’en 1842 qu’un souverain, en l’occurrence le prince Alois II, visita ses possessions du Rhin alpin.
L’acquisition de la seigneurie de Schellenberg ne suffit pourtant pas à ouvrir les portes du collège des princes d’Empire de Ratisbonne au Liechtenstein, car ce territoire était jugé trop insignifiant. Le prince Jean Adam Iᵉʳ Andreas s’y attendait manifestement, puisqu’il avait judicieusement inclus dans cette transaction un droit de préemption sur le comté de Vaduz. Il ne put toutefois l’exercer que 13 ans plus tard, lorsque ce comté fut mis en vente à la suite, là encore, de graves problèmes économiques. Le prix d’achat relativement élevé de 290 000 florins avait cependant déjà été négocié au moment de l’attribution du droit de préemption.
Une fois la vente conclue, la date de l’hommage fut fixée au 9 juin 1712. Les sujets masculins en âge de porter les armes rencontrèrent le nouveau bailli du prince, qui avait été envoyé de la lointaine ville de Vienne à la place du souverain. La cérémonie ne se déroula pas sans heurts, comme cela avait déjà été le cas en 1699 dans la seigneurie de Schellenberg. Les sujets n’étaient en effet disposés à prêter serment au nouveau souverain que lorsque ce dernier leur eut garanti les anciens droits et libertés dont ils jouissaient sous les comtes de Hohenems.
Avec l’acquisition de la seigneurie de Schellenberg et du comté de Vaduz, la maison princière de Liechtenstein se trouva en possession de deux domaines certes modestes, mais jouissant de l’immédiateté impériale. Il fallut toutefois encore attendre plusieurs années avant qu’ils ne soient unifiés.
Cette situation s’explique avant tout par un changement de propriétaire au sein de la maison de Liechtenstein: le prince Joseph Wenzel, qui avait hérité de Schellenberg et Vaduz alors qu’il était mineur, reçut en échange le domaine de Rumburk, tandis que le prince Anton Florian devint propriétaire des territoires rachetés aux Hohenems. Un nouvel hommage fut organisé à cette occasion le 5 septembre 1718, où le nouveau souverain brilla lui aussi par son absence.
L’objectif fixé par la maison de Liechtenstein fut atteint peu de temps après, lorsqu’un décret de l’empereur Charles VI unifia les anciens domaines des Hohenems pour en faire une principauté impériale baptisée «principauté du Liechtenstein», du nom de la famille régnante.
Etablie en 1719, elle devint le 343ᵉ Etat du Saint-Empire romain germanique. Lorsque Napoléon fonda la Confédération du Rhin en 1806, une union de 16 anciens États du Saint-Empire, l’empereur français garantit leur indépendance. Le Liechtenstein devint ainsi un État à part entière. Le maintien de cette souveraineté jusqu’à nos jours y est une source de fierté.