Ça y est, jour-J. J’ai fardé mes paupières, épilé mes zones forestières, pschitté Hypnôse de Lancôme partout. Mon chéri m'emmène au Chedi Andermatt, «l'un des plus beaux hôtels perchés dans les alpes suisses» selon Vogue. Alors oui, c'est un peu cher mais c'est pas le moment de faire les râpes, c’est la Saint-Valentin, merde.
J'ai hésité avec le W à Verbier, sacré «meilleur hôtel de ski du monde», mais Le Nouvelliste, c'est pas Vogue, quoi.
Seule dans la salle de bain, je réfléchis au cadeau qu’il pourrait m’offrir. Dans Madame Figaro, ils disent que cette année, il faut miser sur les valeurs sûres: bijoux, fleurs, foulard… Ils proposent aussi un «chargeur en forme de coeur Saint Laurent qui visera sans doute juste». Mouais. J’espère au moins qu’il a lu l’article de GQ qui dit ce qu’il ne faut pas offrir à une femme, genre un fer à repasser. Quelle idée! J’ai un steamer, moi.
En me lissant les cheveux (Grazia et Biba ont disserté sur les couleurs à la mode cet hiver et comme j'étais à la bourre sur mes lectures, je n’ai pas su me décider entre Mousy Hair et Smoky Hair, ça sera donc Natural Hair en attendant), je réfléchis. Ai-je bien choisi son cadeau? L’article de Elle dit qu’il faut sortir des sentiers battus et éviter les vêtements et les objets high-tech mais oser quelque chose d’audacieux, comme un objet de déco.
L'hebdomadaire fait même des suggestions, comme un terrarium, une statuette ananas ou un arrosoir, «surtout si celui-ci est en métal doré». J’ai donc choisi l’arrosoir. Au bureau, Amour a un ficus.
On descend au bar, je demande un Coeur de MAM. Le serveur me demande de quoi il s'agit. Je rosis en lui expliquant que c'est un cocktail à base de gin. «Nous n'avons pas cela à la carte». Mon chéri me regarde, dubitatif. «Bah quoi? C'est Paris Match dans son dernier article sur la Saint-Valentin qui en parle. Quand même!»
À table, on regarde la carte des vins. Je me rappelle avoir lu un article sur les meilleurs vins transalpins dans Vogue mais impossible de citer un nom. Ici, les bouteilles se situent entre «cher» et «hors de prix». On choisit un peu au hasard un vin «cher mais sans hypothéquer nos organes vitaux».
Chou propose qu’on s’échange nos cadeaux. D’une voix chantante, je lui dis que le mien est en haut. Une étincelle illumine son regard. Flûte! Il doit penser que j’ai prévu une soirée coquine. J'ai bien acheté quelque chose, mais rien de scandaleux (c'est plus à la mode, non?). Je me suis offert un ensemble rose blush, collab' entre les marques Le Petit Trou et & Other Stories, «une expression puissante à la féminité», vu dans Vanity Fair.
Il me tend une boîte carrée et plate. Je découvre un collier avec un symbole infini. «Parce que je t’aime à l’infini». J'avais lu que les cœurs sont de nouveau tendances et «pas mièvre», et c'est quand même Grazia qui le dit. Du coup, le symbole infini, c'est une surprise. Mais je suis trop heureuse! Et ça ira bien avec ma bague infini, mon bracelet infini, mes boucles d’oreilles infini et mon petit tattoo infini.
Après le repas, enivrée par l’amour et le vin à 140 francs la bouteille, le serveur nous propose de profiter du fumoir pour un dernier verre. On vit un moment privilégié, c'est fou, on a l’impression d’être à Dubaï, le «nouvel eldorado de la jeunesse européenne» selon L'Illustré.
J'ai l'impression d'être dans un speakeasy avec du champagne! En vrai j'y suis jamais allée mais je suppose que ça ressemble à ça.