Un divorce, deux stars qui s'accusent de violences conjugales, un tribunal qui accueille un Johnny Depp vieilli, caché derrière ses lunettes, et une Amber Heard acculée. Une fois les strass et les paillettes envolés, le vernis craque et ces deux célébrités qui nous font fantasmer deviennent terriblement banales.
Entre les murs de la cour de Fairfax, dans l'Etat de Virginie, les premières minutes sont tendres, où leur romance est contée et traversée; une rencontre sur le tournage de The Rum Diary et un coup de foudre réciproque. Johnny Depp voit à travers Amber Heard «sa» Lauren Bacall, la femme de sa vie, et lui se glisse dans le costume d'Humphrey Bogart. Depp en a 20 de plus et rêve d'une union à la Bogart et Bacall.
En se rapprochant du passé, l'amour s'est démantelé, une romance écartelée par l'alcool et les drogues - l'oxycodone comme démon. Des doses et des verres, comme la fameuse «megapinte» qui a fait tant réagir les réseaux sociaux, ont débordé pour noyer le couple dans la haine viscérale.
Johnny Depp vs Amber Heard, racheté par Netflix à la chaîne Channel 4, relance le grand déballage. Quoi de mieux de voir deux stars cracher des vilenies face à des caméras. Du pain béni pour des blogueurs, des internautes, des tiktokeurs qui s'amusent à abreuver leurs abonnés de grandes théories, se découvrant des talents de sociologue chevronné. Ces petits malins ont généré des millions, sur le dos de deux personnes malades. Voilà, ces «créateurs de contenu» ont profité de la situation et s'en sont mis plein les poches à force de rappeler qu'il faut« écraser le bouton pour s'abonner».
Un business juteux qu'Emma Cooper, la réalisatrice de la série-docu, scrute: une machine médiatique qui s'emballe et sans prendre position pour Heard ou Depp.
Johnny Depp vs Amber Heard est une illustration cruelle de notre époque. Ces internautes vocifèrent et encrassent le débat de leur avis sans fondement. Ils ne font qu'appuyer Umberto Eco et sa citation limpide:
Le dispositif sériel mis en place par Cooper, entre images du procès entrecoupées de différentes réactions sur les réseaux sociaux, irrite, mais éclaire sur l'ampleur du cirque. Les saillies que s'adressent les deux anciens amoureux peuvent devenir lassantes, redondantes, nous gavant de diatribes et virant à l'indigestion. Amber Heard pleure et Johnny Depp esquive. La série adopte une posture, qui place le spectateur comme capturé dans les filets de la frénésie des réseaux sociaux. L'angle n'est pas de trouver où se niche la vérité, mais plutôt de mettre un point d'honneur à souligner le fracas qu'engendre les réseaux sociaux.
C'est un déversement de fiel qu'a essuyé l'actrice américaine, à force de voir ses témoignages détournés, parodiés et moqués. Une horde d'internautes qui cherchait à prendre parti, surtout pour encaisser du fric à foison - des demandes de dons ont rapidement fleuri. La journaliste NBC, Kathryn Tenbarge a analysé que de nombreux youtubeurs de jeux vidéo, d'art, de musique ont commencé à diffuser des vidéos du procès - souvent pro Depp - pour faire le buzz et gagner de l'argent.
Dans le deuxième épisode intitulé «la déferlante Internet», les défenseurs qui soulevaient la position victimaire d'Amber Heard, nourrissaient les flammes de l'enfer. Emma Cooper a par ailleurs confié qu'elle avait eu beaucoup de difficultés à trouver des commentaires positifs concernant Amber Heard.
Un halo s'était formé autour de Depp, le pirate maladroit et charmeur, par le simple timbre de sa voix. Emma Cooper capte cette ambiance de match de boxe, où l'opinion publique assoiffée de sang s'abreuve des coups assénés - ça se frotte les mains et ça prépare les premières parodies.
Surtout, c'est le premier (et véritable) procès à la sauce TikTok. Le tribunal des réseaux sociaux a grondé et bavé son incompétence. Pire, le combat judiciaire entre Heard et Depp est aussi un doux retour au poison que sont les bots, comme une réminiscence de l'élection de Donald Trump en 2017. Une force de frappe si puissante que le raz-de-marée virtuel emporte tout sur son passage.
Johnny Depp vs Amber Heard, sociologiquement, oppose le spectateur à une réelle réflexion sur l'instinct et la vision biaisée des fans de Depp - les figures sur grand écran qu'il a incarnées fonctionnent comme un totem de protection. Un autre problème, toujours sociologique, est cette lecture concernant ces effusions de joie, ces cris, ces pleurs qui ont quelque chose de terriblement malsain. Pourquoi la population s'est prise de passion pour ce procès? Car ce procès est devenu un divertissement, une manière d'investir l'intimité d'un couple de stars; du voyeurisme pur et simple.
Ce grand battage médiatique a ressemblé à une opération de comm' vulgaire et déséquilibrée, voyant une société malade se délecter d'un face-à-face entre deux personnes malades. Ce procès pourrait interroger les organes de contrôle de ces plateformes, à limiter ces forums, voire censurer ces poisons (les internautes) derrière leur écran. La liberté d'expression a ses limites.
«Johnny Depp vs Amber Heard» est disponible depuis le 16 août sur Netflix.