Martin Scorsese, 80 ans et l'un des derniers monstres sacrés du nouvel Hollywood, est de retour ce 18 octobre avec Killers of the Flower Moon, quatre ans après le trop long The Irishman sur Netflix.
Financé par Apple et destiné à sa plateforme, le film trouve néanmoins le chemin des salles de cinéma. Le réalisateur y réunit ses deux acteurs fétiches, Robert De Niro et Leonardo DiCaprio pour narrer un épisode sombre de l’histoire américaine: les meurtres, perpétrés par des Blancs, de membres de la tribu indienne Osage, afin de s'approprier leurs terres riches en pétrole.
En véritable autocritique de l'histoire des Etats-Unis, le film se vit comme un devoir de mémoire de la part du réalisateur, miroir d'un pays qui s'est bâti sur un génocide. De cette hécatombe silencieuse en sort une grande oeuvre, de laquelle rayonne une actrice, Lily Gladstone, 35 ans, d'origine autochtone.
Avec une durée de 3h26, Martin Scorsese continue d'affirmer sa conception du cinéma et livre avec Killers of the Flower Moon une œuvre d’une maîtrise absolue qui tient à la fois de la fresque historique, du western romantique et du polar.
Les Osages forment une tribu d'Amérindiens originaire d'Oklahoma. Ils sont l'une des rares nations amérindiennes à avoir acheté leur propre réserve. Par conséquent, ils ont conservé plus de droits sur leurs terres ainsi que leur souveraineté, bénéficiant également des droits miniers. Ainsi, lorsque des gisements de pétrole ont été découverts au début du siècle, la tribu a pu en profiter, devenant richissime au passage. Durant l'année 1923, les Osages ont gagné 30 millions de dollars en redevances sur l'exploitation de l'or noir.
Le film débute ces années-là, alors que Ernest Burkhart (Leonardo Dicaprio), de retour de la Grande Guerre, débarque par le train dans la ville de Fairfax. Ce vétéran, qui n'est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, vient y rejoindre son oncle William Hale (Robert De Niro), un important éleveur local.
Sous couvert de bienveillance, ce patriarche surnommé «Le Roi des Collines», se présente comme un protecteur et un ami des Amérindiens, au point de parler leur langue et de se mêler à leur culture. Or, ce philanthrope autoproclamé organise en cachette une sordide et insidieuse spoliation d’héritage en mariant des membres de sa famille à des demoiselles Osage - lesquelles mourront à petit feu dans des circonstances mystérieuses.
Le film prend le point de vue d'Ernest Burkhart et de Molly Kyle (Lily Gladstone), jeune héritière Osage et diabétique. De cette rencontre jailliront une histoire d'amour et un mariage marqué par les deuils incessants de Molly qui verra ses proches tomber un à un dans une hécatombe silencieuse.
Ce massacre enseveli par l’histoire a été remis à jour suite à l'enquête du journaliste David Grann, compilé dans son livre éponyme sorti en 2017 et traduit en français sous le titre de La Note américaine. Un écrivain visiblement dans les petits papiers du réalisateur, puisqu’il envisage de porter à l’écran Les Naufragés du Wager, qui vient de paraître, toujours avec Leonardo DiCaprio devant la caméra.
Certaines tribus amérindiennes, dont les Osage, appelaient la pleine lune de mai la «Lune des fleurs», en raison des champs colorés qui fleurissaient à travers l'Amérique du Nord, signalant l'abondance après un hiver froid et rigoureux. Un titre qui sert de métaphore à cette tragédie américaine où, pendant près d'une décennie, une soixantaine de personnes furent assassinées, avant que le FBI daigne s'en mêler.
Au cœur de ce massacre, la tribu des Osage. Et au centre du récit, le personnage de Molly incarnée par la grâce de Lily Gladstone. Elle est la véritable âme du film. Une figure féminine silencieuse et mélancolique, dont la détermination à chercher la vérité apportera un peu de lumière dans toute cette noirceur.
En planchant son récit au cœur de la mixité du couple de Molly Kyle et Ernest Burkhart, le film capture ainsi toute la violence de ces meurtres et du choc des civilisations qui en découle. Bien qu'Ernest soit amoureux de Molly, il participe à la conspiration contre sa propre famille, sans qu’on sache vraiment s’il en a totalement conscience.
Alors que le film explore la traîtrise d'Ernest manipulé par son oncle, il se focalise également sur la déchéance de Molly, affaiblie par la maladie et la mort de ses proches. À travers l'intimité de ce couple, c'est une partie de l'histoire de l'Amérique qui se manifeste, celle d'un capitalisme cupide qui se nourrit d'une culture vouée à disparaître et invisibilisée au fil du temps.
Martin Scorsese a vécu toute son enfance dans le quartier new-yorkais de Little Italy, un quartier aux allures de ghetto qui fut contrôlé par la fameuse mafia italienne. S’inspirant de son quartier et de sa vie, ses films ont développé des thématiques communes, dont un goût certain pour le crime organisé, des personnages à la dérive, la confusion du bien et du mal et une forme de violence cathartique.
Martin Scorsese diagnostique avec Killers of The Flower Moon les stigmates de son propre pays en signant une grande tragédie américaine. Là où l'histoire est généralement contée par les vainqueurs, les autochtones sont ici ceux qui racontent leur propre vécu, dénonçant un capitalisme avide d'appropriations et de domination. Martin Scorsese signe un parallèle troublant avec notre époque.
Si le film n'aura probablement pas le succès grand public de l'historique Oppenheimer, Killers of The Flower Moon a de quoi prétendre aux Oscars dans toutes les catégories, tant il est marqué par une absolue maitrise du cinéma. Un film nécessaire et un aboutissement de 50 ans de carrière d'un des plus grands cinéastes en activité. Est-ce un chef-d'œuvre? À vous de juger, mais ce qui est certain, comme dirait Martin Scorsese lui-même: «This is cinema».
Killers of The Flower Moon sort sur les écrans romands le 18 octobres 2023.