Si le début de cette décennie a été marqué par la crise du Covid et la guerre en Ukraine, technologiquement, c'est l'intelligence artificielle qui occupe le podium de l'actualité avec son développement exponentiel, au point qu'elle devient une menace pour l'emploi. Cette crainte pèse notamment dans l'industrie du divertissement où des outils peuvent désormais chambouler toute la chaîne d'écriture et où les acteurs se voient menacés par leurs doublures de pixels.
C'est donc au milieu de cet inconnu face au véritable grand remplacement numérique que sort The Creator. Ce film d'anticipation qui traite de l'intelligence artificielle aurait pu parler de cette terrible menace sur notre futur, mais fait le choix de suivre la direction opposée, en prenant le parti d'aller dans le sens des IA.
Dans les années 2060, les États-Unis mènent une guerre sans merci contre les intelligences artificielles dans un monde polarisée entre eux et la «Nouvelle Asie». Ayant connu une attaque nucléaire sur son sol dix ans plutôt dont la responsabilité incomberait à l'IA, l'Amérique a banni l'intelligence artificielle de sa société. Le pays a choisi la voie de la guerre pour «dérobotiser» le continent asiatique, devenue une terre de refuge pour les machines. Une purge menée en partie par les bombardements d'une arme céleste gigantesque et dévastatrice dont la menace est visible et permanente.
Au milieu de tout ça, il y a Joshua (John David Washington), un Américain anciennement infiltré en Asie, dévasté par la mort de sa femme et de son enfant cinq ans plus tôt. Son périple débute lorsque l’armée lui demande de revenir sur le terrain, craignant qu’une puissante intelligence artificielle n’ait créé une arme qui permette à l’Orient de gagner la guerre qu’elle livre à l’Occident. Durant sa mission, il va découvrir que l’arme en question n’est autre qu’une petite fille de 6 ans, ce qui va remettre en cause toutes ses convictions sur ce qu'est la notion d'humanité.
L'intelligence artificielle et la science-fiction ont toujours été une longue histoire d'amour au cinéma. Déjà en 1927 avec le Metropolis de Fritz Lang ou encore en 1968 avec le chef-d'œuvre de Kubrick 2001 l'Odyssée de l'espace. C'est véritablement avec l'avènement de l'informatique que la thématique s'est développée au sein du genre et a vu naître quelques films cultes durant les dernières décennies comme Alien (1979), Blade Runner (1982), Terminator (1984), Matrix (1999) ou plus récemment Her (2013) et Ex-Machina (2014). Si certains d'entre eux développaient une vision paranoïaque de l'intelligence artificielle, vue comme une menace pour l'espèce humaine, d'autres abordaient le sujet à l'inverse, en dotant la machine d'humanité.
Bien souvent dans la science-fiction, l’intelligence artificielle quitte le cadre de l’apprentissage mimétique et s'émancipe dans un système qui fait ses propres expériences et se pose des questions pour lesquelles il n’a pas été conçu, devenant ainsi des êtres doués de conscience. Une allégorie du divin où Dieu créa l'homme à son image qui pose bien évidemment des interrogations éthiques et philosophiques.
The Creator emprunte toutes les thématiques traitées depuis un siècle de fiction pour en faire une ultime déclinaison au cinéma. Le film brasse également de nombreuses références visuelles et surtout philosophiques, inspirées notamment de la spiritualité asiatique en abordant des concepts religieux qui se mêlent à ceux de la science.
Des références que le réalisateur britannique Gareth Edwards ne renie pas, puisqu'il assume avoir été inspiré par de nombreux classiques durant la genèse de son projet, citant notamment Apocalypse Now (1979), Blade Runner (1982) ou encore Akira (1988). En ressort un film qui ne paraît pas inédit, mais qui excelle dans ce qu'il a offrir.
Derrière la caméra, on trouve donc un véritable artisan d’une science-fiction thématique et visuelle. Gareth Edwards fait partie des cinéastes sur lesquels on peut compter pour nous offrir une vision futuriste aussi exigeante qu'esthétique. Il est d'ailleurs le seul à avoir réalisé un Star Wars «post-Disney» ayant su mettre tout le monde d'accord en faisant de Rogue One: A Star Wars Story un prequel à la hauteur de la franchise en 2016.
Huit ans plus tard, le réalisateur reproduit l'excellence puisque The Creator est un film de science-fiction épique doté d'une direction artistique époustouflante. Un fait d'armes relativement impressionnant compte tenu de son budget modeste de 80 millions de dollars. Une somme bien loin des 300 millions que nécessitent les blockbusters franchisés qu'Hollywood recycle depuis une quinzaine d'années.
Là où le film fait preuve d'une remarquable intelligence, c'est dans sa manière de se réapproprier l'histoire contemporaine pour dénoncer notamment les dérives guerrières de l'Occident et l'impérialisme américain.
Le monde de The Creator dépeint une Terre où les progrès technologiques de l'IA ont divisé le monde en deux factions: ceux qui tentent de l'effacer ainsi que les robots qu'elle a engendrés, et de l'autre, ceux qui se battent pour leur liberté. De notre côté du monde, le Créateur est l’ennemi public numéro un, à la manière d'un Oussama ben Laden qui serait traqué sans relâche. Du côté oriental, l'intelligence artificielle est vue comme un cadeau et son créateur comme un messie. Les robots sont traités au même titre qu'un être vivant et bénéficient d'un respect sans faille où les populations sont prêtes à se battre jusqu'à la mort pour les défendre.
Ainsi, de nombreuses scènes montrent des populations modestes d'Asie victimes de ces opérations de nettoyages. Un rappel de la stratégie militaire «search & destroy» mise en œuvre pour la première fois pendant la guerre du Viêt Nam et perpétuée par l'armée américaine lors des guerres d'Irak et d'Afghanistan.
La menace vient également du ciel, matérialisée par la présence de cette glaçante station de combat volante et son réticule de visée géant qui éclaire le sol, évoquant aussi bien la bombe d'Hiroshima que les drones utilisés de nos jours. Cette épée de Damoclès visuellement très impressionnante s'avère également être un pilier central de l’histoire.
Dans cette dystopie, le réalisateur voit l'obscurité dans le cœur des hommes plutôt que dans le microprocesseur de la machine et ne considère pas l'avènement de l'intelligence artificielle dans notre quotidien comme quelque chose de négatif.
Ainsi, au-delà du déluge d'action, The Creator est un film beaucoup plus humain et complexe qu’il n’y paraît. Il parvient à allier l’intime au spectaculaire et se veut surtout un étendard d'espoir face à la révolution de l'intelligence artificielle qui nous attend. Si le film souffre de certaines ellipses et de facilités scénaristiques sans doute marquées par des scènes coupées au montage, The Creator est assurément le meilleur film de science-fiction que vous verrez cette année.