Une décennie s'est écoulée depuis le cinquième opus de la licence la plus lucrative du monde du jeu vidéo. Le teaser officiel de Grand Theft Auto VI est devenu, la nuit suivant sa diffusion, la vidéo de gaming la plus vue de l’histoire de YouTube en seulement 24 heures. C'est dire l'engouement que procure cette série.
GTA VI, de son petit nom, marque les 28 ans d’existence d'un jeu vidéo dont les volets ont toujours attiré à la fois un immense succès commercial et un concentré de critiques.
La série a été initialement lancée en 1997 par DMA Design, devenu Rockstar Game par la suite, une petite société de développement située en Ecosse. Bien que depuis le premier épisode plus d'une quinzaine de jeux soient sortis, il n'existe dans les faits que cinq générations distinctes de la série, chacune ayant apporté son lot de nouveautés. La politique de Rockstar est en effet d'attribuer un nouveau numéro à un épisode si celui-ci constitue un réel tournant dans la série et apporte de nettes améliorations.
Et autant dire qu'il y en a eu du changement depuis plus de 20 ans. En effet, la série GTA a toujours été universellement acclamée pour son aboutissement. Chaque volet a su apporter un véritable changement de paradigme, devenant ainsi le marqueur d’une époque au sein de l'industrie vidéoludique.
Les premiers volets de GTA avaient comme particularité d'être représentés avec une vue des scènes depuis le dessus (dite «à vol d'oiseau»). Les débuts étaient bien différents de ce que la série connaît depuis son passage à l'univers HD, où la complexité, le réalisme et l'écriture ont été poussés un peu plus loin à chaque génération.
Initialement pensé comme un Pac-Man urbain, Grand Theft Auto doit son nom au terme légal pour désigner un vol de voiture aux Etats-Unis et consiste en un jeu du chat et de la souris entre un malfrat et la police. Evidemment, le jeu s'est avéré être un vrai défouloir décérébré, permettant d'écraser des piétons et d'affronter les forces de l'ordre, ce qui lui vaudra une réputation sulfureuse.
Une structure que la saga a toujours gardée, y compris lors de son passage à la 3D avec GTA III (2001), précurseur des jeux en monde ouvert. Cet opus a d'ailleurs reçu les honneurs du livre Guinness des Records qui lui a décerné le titre de jeu vidéo le plus controversé au monde en 2009.
Les autorités auront d'ailleurs tendance à se référer à cette licence au moindre fait divers impliquant des adolescents, s’interrogeant quant au risque que les jeunes reproduisent ce qu’ils voient à l’écran.
Aujourd'hui, de très nombreux jeux vidéo présentent une classification qui les déconseille aux moins de 18 ans. Mais dans la pratique, les adolescents, voire les préadolescents, ont déjà goûté à GTA, tout simplement parce qu’ils ont des grands frères, des amis qui y jouent, ou des parents qui ne daignent pas contrôler les activités vidéoludiques de leurs enfants.
Au même titre que d'autres contenus pour adultes, la jeunesse a, de tout temps, mis la main sur des contenus interdits. Une part de joueurs n'ont jamais vu dans GTA autre chose qu'un défouloir transgressif, alors que, dans les faits, rien n'oblige le joueur à céder à la violence gratuite au-delà des missions scénarisées.
La licence s'est imposée comme l'un des pionniers des jeux vidéo destinés aux adultes sur un médium trop souvent associé aux enfants et aux adolescents à cause de son côté ludique. Des univers violents, incluant du sexe, des meurtres et des braquages: voilà des thématiques avec lesquelles la série a su se réinventer dans sa narration, en proposant des immersions dans différents milieux de la pègre. Par exemple, le Miami des eighties dépeint dans le film Scarface avec GTA: Vice City (2002) ou encore le milieu des gangs de la West Coast dans GTA: San Andreas (2004).
GTA est profondément influencé par les films de gangsters, notamment ceux de Martin Scorcese, Quentin Tarantino ou Michael Mann. Les doublages sont également assurés par des acteurs de cinéma comme Ray Liotta (Les Affranchis), Michael Madsen (Reservoir Dogs), Kyle MacLachlan (Twin Peaks) ou encore Samuel L. Jackson (Pulp Fiction).
Dans la plupart des épisodes, le joueur incarne une petite frappe qui fait le sale boulot au sein de la pègre. Un pas si mauvais bougre enclin à atteindre une vie riche et facile, souvent inatteignable. Les studios Rockstar ont toujours eu pour parti pris de se moquer clairement du rêve américain.
Si GTA ne parle que de l’Amérique, il est bon de rappeler qu'il s'agit d'une licence créée en Europe par les frères britanniques Dan et Sam Houser, qui n'ont jamais vu autre chose dans leur création qu'un pastiche des Etats-Unis, dans ce qu'il a de plus violent et absurde. Une satire qui, au fur et à mesure, s'est avérée de plus en plus développée et assumée.
Ainsi, par le biais de son scénario ou des multiples stations de radio que le joueur peut écouter lorsqu'il est au volant, GTA a abordé des thématiques particulièrement justes concernant la montée de la xénophobie, de l’extrême droite, des réseaux sociaux ou encore la soif d’argent et de célébrité. Il semble évident que ce sixième opus, après une décennie marquée par de nombreuses tensions politiques et sociales, devrait continuer à écorcher la société américaine.
Si la saga GTA est apparue comme un défouloir durant ses premières années d'existence, les ambitions du jeu vidéo étaient surtout limitées par la technologie liée à chaque génération d'appareils. Une technologie que les studios Rockstar ont toujours portée un peu plus loin. Et s’il y a une œuvre qui permet de juger ce que sera l'avenir de la licence, c'est du côté d'un autre jeu du même studio qu'il faut se tourner: Red Dead Redemption II.
Ce jeu de western sorti en 2018 fait suite à un premier volet paru en 2005. Ce jeu immersif qui mettait le joueur dans les santiags d'un bandit du Far West avait été salué par la critique, et considéré par la communauté des joueurs comme un des meilleurs jeux vidéo de l'histoire, avec une note de 97 sur Metacritic.
La force de Red Dead Redemption II réside dans un univers persistant, des paysages vivants dans les moindres détails et surtout un réalisme à couper le souffle, où les PNJ semblent avoir leur propre vie. En effet, les réactions face aux actions des joueurs en avaient scotché plus d'un, apportant une immersion rarement vue dans un jeu vidéo.
GTA VI devrait donc légitimement bénéficier de l'expérience de Red Dead Redemption II pour renforcer son réalisme. Certains parlent même de l'intégration de l'intelligence artificielle afin que les personnages puissent interagir encore plus spécifiquement avec le joueur. Le réalisme au travers de la satire, c'est bien ce qui ressort des 91 secondes qui composent la bande-annonce de GTA VI, avec son écosystème organique qui regorge de vie.
Si la licence portera probablement toujours les stigmates d'un jeu faisant l'apologie de la délinquance – au même titre que le rap –, les gamers, eux, y verront toujours un pastiche fun et dénonciateur de la misère sociale et des dérives de la société occidentale poussant au vice.