David Fincher est de retour avec The Killer, qui sort sur Netflix le 10 novembre, après avoir été projeté quelques semaines dans les salles obscures. C'est le grand retour du sombre réalisateur américain (Se7en, Zodiac, Gone Girl), après un passage réussi par le monde des séries (Mindhunter) et un film sorti uniquement sur la plate-forme américaine (Mank).
Michael Fassbender, toujours excellent, se met dans la peau du tueur — dont on ne connaîtra jamais le nom (Fight Club, anyone?). Un homme méticuleux, précis, avec ses habitudes, pour qui les problèmes «ne sont jamais qu'une question logistique». Pas de manières, pas de chichi, il ne s'agit pas de faire dans le spectaculaire ou le sophistiqué: on tue rapidement, en laissant un minimum de traces — «ne laisser aucune trace est impossible au 21e siècle» — et on dégage.
David Fincher semble réaliser à première vue un séduisant film noir pop et tarantinesque, son tueur dévorant des McDo au milieu de ses missions, écoutant des tubes des seventies dans ses écouteurs au moment de flinguer ses victimes. Et dont le faux style de touriste allemand négligé est en fait parfaitement stylé.
La longue scène d'introduction donne le tempo — lent — et nous fait comprendre que le film tient à imposer ses propres codes, ses propres règles. Beaucoup de voix off, des gestes maîtrisés pour un homme qui en a vu d'autres et des détails beaucoup trop précis que seuls les vrais tueurs à gages du monde des tueurs à gages peuvent connaître.
La suite de cet article contient nombre de spoilers. Vous êtes prévenus, les amis.
Oui, notre killer est un pro. En tout cas, jusqu'à ce qu'il manque lamentablement sa cible, alors que toutes les conditions pour un tir de sniping parfait étaient réunies. Diantre, il semblait pourtant très sûr de lui et très cool, ce tueur. Peut-être un peu trop, non?
C'est le début d'une quête sanglante dont personne ne sortira indemne. Et au cours de laquelle le tueur va briser toutes ses propres règles, qu'il nous répète pourtant encore et encore. Ne rien laisser au hasard et s'en tenir au plan? Il semble improviser à peu près toutes les cinq minutes. Ne pas faire preuve d'empathie et laisser les affects de côté? Sa vendetta personnelle est clairement motivée par l'agression de sa compagne — alors qu'il aurait pu déguerpir avec son argent à l'autre bout du monde, ce que son patron a d'ailleurs rationnellement pensé qu'il ferait, dix minutes avant de mourir.
Le film se regarde à travers les yeux de l'assassin, un solitaire cynique — pardon, sceptique — qui constate durement que l'expérience ne mène pas toujours au succès. Désormais faillible, il cherche à nous convaincre qu'il agit avec cohérence, mais il n'en est rien. Ses erreurs à répétition, qui sont d'abord l'exception, deviennent graduellement la règle. Elles le feront descendre dans une spirale d'hyperviolence qui trouvera son apogée parfaitement ironique dans la métaphore du chasseur qui n'arrive pas à tuer son ours — dans une superbe scène avec Tilda Swinton.
Aussi, notre homme s'écoute un peu trop parler et sera quelquefois interrompu dans sa — notre, en fait — narration à grand coup de baffes de réalité, qui couperont la voix off comme ses pensées. Des moments très ironiques, voire carrément drôles, qui laissent entrevoir en filigrane ce qu'est vraiment The Killer: un pastiche de film de genre, qui joue avec ses propres codes pour mieux nous dérouter.
Il n'empêche: pour terminer sa vendetta — et notre film, tout de même, j'ai payé mon ticket, moi —, notre Meursault façon Starbucks arrivera toujours à reprendre ses esprits à temps, histoire de survivre d'un chapitre à l'autre en laissant dans son sillage nombre de corps tièdes et de douilles fumantes.
Bref, David Fincher s'amuse avec les codes du film de tueur et les attentes des spectateurs plutôt que d'ancrer son récit dans le réel ou le réalisme, comme il a pu le faire avec Zodiac ou Gone Girl. Nombreux seront toutefois ceux qui se laisseront emporter par l'atmosphère et le rythme du film sans trop se poser de questions.
En termes de visuels et d'ambiance, c'est bien du Fincher tout craché: méticuleux, précis, efficace. (Tiens, ça me rappelle quelqu'un.) Les plans sont léchés et coupés au scalpel et les tons de couleur jaune moutarde et gris-vert angoissants à souhait.
The Killer, c'est l'étrange balade sordide d'un pro qui déraille, un polar viscéral bien foutu qui offre du fun et du suspense à foison et brouille habilement les pistes. Le scénario prétexte et la navigation entre les différents niveaux de lecture du film ne permettront peut-être pas d'en faire un Fincher majeur, mais l'exercice est réussi.
«The Killer» de David Fincher est actuellement en salles. Le film est aussi sorti sur Netflix le 10 novembre 2023.