D’une certaine façon, Eric Dupond-Moretti est soulagé de retrouver des foules acquises à sa cause. Pendant un peu plus de quatre ans, l’ancien garde des Sceaux aura vécu une parenthèse politique certes «enrichissante», qu’il nous a confiée jeudi matin à Paris, mais passablement turbulente. Autrefois simplement clivant, la star des assises n’a pas eu l’occasion de manœuvrer le ministère de la Justice sur une mer d’huile.
Dès sa nomination, en juillet 2020, par un Emmanuel Macron en manque de personnalités fortes, le pénaliste aux 145 acquittements a dû s’accrocher à la barre pour ne pas chavirer. Des journalistes charognards, au Syndicat de la magistrature, jusqu’à François Molins, son pire ennemi et ancien procureur général près la Cour de cassation, qui lui a «déclaré la guerre». En cause, notamment, des poursuites pour prise illégale d’intérêts, dont Eric Dupond-Moretti sortira blanchi.
La vengeance théâtrale a sonné.
Le président de la République va d’ailleurs défendre sans faillir son poulain de 63 ans, jusqu’à la dissolution du gouvernement, peu avant l’été 2024. Raison pour laquelle, sans doute, Eric Dupond-Moretti ne le citera jamais nommément dans son nouveau seul en scène. Et l’épargnera volontairement. Ce n’était pas «l’objet de ce retour sur les planches».
Une histoire de «loyauté», aussi.
Alors que Gérald Darmanin ou Jean-Michel Blanquer, alors ministre l’Education, se prendront quelques crampons dans les genoux, Macron restera simplement celui à qui «J’ai dit oui!», titre de son nouveau spectacle qu’il présente à Lausanne les 22 et 23 mars prochain.
Sur scène, le décor est dépouillé. Un fauteuil, une petite table et un cendrier, dans lequel le fumeur à la voix caverneuse jettera une cigarette au début des hostilités, pour ne plus y toucher durant un peu plus de nonante minutes. Un accessoire de théâtre, tout comme ce pupitre Marigny 2027, du nom du théâtre planté dans le très chic 8e arrondissement et derrière lequel il fera «peur» à son public. Dans la salle, mercredi soir, de belles fringues, des personnalités parisiennes et de jeunes pousses du barreau venus se frotter à l’expérience du patron. Ambiance centre droit.
Si l’heure est aux règlements de comptes, on rit aussi beaucoup. Avec l’éloquence qu’on lui connait, Eric Dupond-Moretti revient sur ce grand moment d’émotion et de solitude lorsqu’il foulera pour la première fois son prestigieux bureau de la place Vendôme. Cette assistante qui proposera un café à «Monsieur le ministre» et qu’il ne se retournera pas tout de suite. Ses revenus aussi, qui ont été «divisés par quatorze» en acceptant sa mission politique.
Durant la moitié de ce deuxième one-man-show, les anecdotes et les piques gentillettes fusent, la star se fout de lui-même, du drama politique et du protocole. La salle se bidonne. Les ressentiments vont ensuite venir peu à peu étouffer l’humour. L’ex-ministre en a gros sur la patate. Il égratignera les magistrats qui se sont ligués contre lui à sa nomination. Libération et Le Monde, avec leurs Unes consacrées à ses déboires judiciaires qui ne «respectent pas la présomption d’innocence» affichées sur l’écran géant derrière lui. Un pilori.
L’éloquence de «l’ogre des assises» est terriblement efficace, mais cette plongée dans sa propre affaire va finir par assommer une partie du Théâtre Marigny. Qu’en sera-t-il une fois à Lausanne, où le pénaliste a ses supporters, mais face à des Romands qui n’ont pas tous le pedigree de François Molins à l’esprit? Eric Dupond-Moretti nous a confirmé que si le spectacle, mis en scène par le comédien Philippe Lellouche (oui, le frère de Gilles), sera le même une fois déployé en Suisse, de «petits ajustements sont prévus».
Une chose est sûre, le rebelle a retrouvé «sa liberté» et c’est plutôt une bonne nouvelle.
* «J’ai dit oui!», spectacle d’Eric Dupond-Moretti, les 22 et 23 mars 2025, à la Salle Métropole de Lausanne.