Dès les premières pages, l'écriture est fluide, sans accro, vivante. Parfait pour embarquer le lecteur dans l'histoire de Mona, une jeune fille de 10 ans qui pourrait basculer dans l'obscurité totale - une cécité la guette après un diagnostic.
Cette œuvre est signée par Thomas Schlesser, écrivain, essayiste, historien de l'art et directeur de la Fondation Hartung-Bergman à Antibes. L'arrivée de l'auteur français a eu un effet comme rarement il s'en est déroulé dans la littérature francophone.
«Un phénomène rarissime!» avouait Nicolas de Cointet, l’éditeur de ce roman publié chez Albin Michel, dans Le Figaro. Si des dizaines de milliers d'exemplaires ont déjà été vendus et qu'un film est en discussion, c'est avant tout l'engouement que le livre a occasionné qui interroge. Comme le confirme l'éditeur, l'ouvrage a déjà été signé pour paraître en 32 langues. Il assurait au journal français que la bataille a été acharnée, «dignes de blockbuster de la littérature, pour emporter les droits du livre». A ce jour, Les Yeux de Mona est vendu dans soixante pays, dont les Etats-Unis et la Chine.
Une empoignade entre maisons d'édition qui en valait la chandelle, surtout après les premiers chiffres diffusés - le bouquin talonne le grand vendeur qu'est Sylvain Tesson et son best-seller Avec les fées. Le lecteur sera rapidement happé par cette relation privilégiée entre une petite fille et son grand-père. Une course à travers la beauté, des œuvres qui marquent toute une vie, choisies minutieusement par celui qui tire les ficelles.
Il y a la perte d'un sens et un déracinement. Mona va-t-elle basculer dans le noir? Il y a aussi le diagnostic d'un pédopsychiatre. Mais les parents de la petite, Camille et Paul, vont faire confiance à Henry, le grand-père, qui mise sur un tout autre dispositif: lui faire découvrir la beauté d'œuvres d'art qui ont traversé les époques.
Schlesser fait dire à Henry cette phrase:
La lecture s'enfonce dans une double appréciation, un double regard: celui d'une petite fille qui court après le temps pour tout apprendre, pour poursuivre les tourments et le grand vide qui se présente à elle. Les tourments se transforment en une relation profonde, tendre.
Thomas Schlesser en fait une odyssée qui se glisse dans les interstices de l'intime, mais aussi dans les couloirs des plus grands musées parisiens - le Louvre, Orsay et Beaubourg - en 52 œuvres.
A travers Botticelli, Klimt et consorts, c'est une tendance à la joie malgré les temps difficiles. Les Yeux de Mona est un roman qui fait du bien, comme diraient certains, qui charpente un dédale de beautés et d'éruditions pour armer une gamine qui s'apprête à étreindre la cécité. La petite fille doit regarder, regarder vraiment, laisser infuser l'art dans son esprit.
S'il lui faut faire la distinction entre un tableau et une fresque, sous l'œil avisé et passionné de son «Dadé», Schlesser délivre une leçon à travers chaque œuvre. La Joconde, par exemple, qui incite à sourire et évoque «le devoir envers les autres d’être heureux». Le lecteur est invité à ne plus analyser une fresque, mais à parler avec ses tripes. L'art est statique et vivant à la fois.
Un exercice nettement plus enrichissant que des visites chez un pédopsychiatre. Le duo observe et fait défiler les œuvres, il médite, sculpte une vision que la petite devra emporter avec elle dans l'ombre, sa propre ombre.
Une quête imprégnée d'une profonde dramaturgie et d'esthétisme qui cache un événement, une douleur silencieuse. Car derrière ce livre, sa genèse, une histoire térébrante pour évoquer l'origine du premier coup de plume. Le destin de Mona fait écho à son auteur. Un roman que Thomas Schlesser a démarré en 2013, alors qu'il traversait une période difficile. Il a vécu le non-avènement d'un enfant, comme il le confiait au Figaro. Le récit s'est donc charpenté à travers «le désir de s’inventer une fille imaginaire».
Un deuil exorcisé par la poésie de l'art pour Mona et par l'écriture pour Thomas. Près de 500 pages qui échafaudent une aventure où le temps est compté, avec pour objectif de lever le regard, d'apprécier et de n'avoir aucun regret. Il serait sot de regretter alors que la lumière va s'éteindre.