Autant être claire tout de suite: je suis là pour rôtir au soleil moi. Merde. On frôle ENFIN les 25 degrés, après un hiver à -3º (quand on avait de la chance). On a bravé le froid et la pluie en terrasse depuis avril, alors rouvrir les salles des restos maintenant, c'est comme Jean Castex en France qui rouvre les remontées mécaniques le 19 mai. Bravo, quoi.
Les restos nous ont pondu des plats à l'emporter pendant des mois (temps ressenti: mille ans), ils ne savent plus que balancer des trucs en vrac dans des boîtes en carton recyclé. On se croirait dans une épicerie bio, c'est laid. Et à 36 balles le vol-au-vent, on aimerait bien ne pas avoir l'impression que quelqu'un l'a déjà mangé une première fois.
Avouons-le, c'était chiant ce froid de connard de canard en terrasse en avril (ouais, j'insiste, je suis une forceuse). Mais au moins, on pouvait fumer. Cloper, torailler, se goudronner les bronches. Cette odeur de tabac 💛, ce goût de liberté 💚. Maintenant, Berset veut qu'on s'entasse dans les restos, sans le soleil qui tape, sans le bruit des voitures qui passent à 50 centimètres des terrasses, sans les coups de vent qui font voler les sets de table et les parasols, sans la table qui brûle les coudes. Et sans pouvoir cloper, en plus?
Limite le moisi après ces longs mois sans le moindre courant d'air. Et je vous parle pas des restos qui ont des rideaux aux fenêtres, l'odeur a imprégné les voilages. En même temps, ils allaient pas utiliser les prêts Covid pour payer des gens à nettoyer des salles vides. On n'adhère pas, mais on comprend: en home office, on s'est pas lavé les cheveux non plus.
Boire l'apéro après le job, ça se fait sur une terrasse ou ça ne se fait pas du tout. Personne ne va se terrer dans la pénombre d'une salle par choix, alors qu'il fait tiède, que la lumière en fin de journée est sublime et qu'on a soif de liberté (mais pas que) après des mois enfermés. Boire en salle, c'est comme arriver deuxième à un concours: on nous fait croire que l'important, c'est de participer. C'est bien une phrase de deuxième ou de gens qui boivent leurs pintes en salle.
Comme tout le monde est en terrasse (sauf les gens sur la deuxième marche du podium), dans les salles, on entend les mouches voler. Pire: on entend le bruit de la chasse d'eau. Et seuls les gens qui acceptent d'être médaille d'argent trouvent que ça rappelle le bruissement d'une cascade. C'est les mêmes qui disent «y avait plus de maisons dispos dans le sud, mais trois semaines de vacances dans le Jura, c'est pas si mal». TU MENS.
Les restaurateurs perdent de la thune à jouer à Tetris avec leurs tables. Et dans ces labyrinthes de plexis et de parois en contreplaqué, je suis encore plus claustro que dans ma cuisine à télé-travailler dans quatre mètres carrés. Je suis pas une chèvre dans un enclos, merde.
C'était mieux quand c'était interdit. «Ouais, j'ai des adresses de restos clandestins, ouais, le patron est un ami, je connais du monde, ouais.» Aujourd'hui, ça résonne, ça pue, c'est sombre, c'est nul. Et j'aime pas faire tout comme Alain Berset il a dit, je suis pas un mouton (ni une chèvre, ni rien du tout).
En vrai, hier soir, j'ai voulu tenter une incursion dans mon resto préféré. Mon QG, celui où j'allais souvent, avant. Il est tout petit, dans une ruelle, il faut connaître. J'y suis allée en me disant «solidarité avec les restos, allons remplir leurs caisses». Et au lieu du traditionnel «salut gamine, je te mets la table du fond, près de la cour?», j'ai eu droit à «bonsoir, vous avez réservé?». C'était plus le patron. Il a fait faillite. Il est parti. 💔