Une cul-terreuse par procuration, cette Karine Le Marchand. En 2010, l'animatrice acceptait bêtement un nouveau boulot. Aidée d'un casting redoutable et de quelques lignes de scénario, elle devait labourer les cœurs, cultiver les coups de foudre télégéniques et semer de l'amour dans les prés de France. La même année, cet étrange Tinder de la cambrousse, fomenté par la chaîne M6, s'offrait un record d'audience.
Catapulter une entremetteuse à quatre épingles dans la rugosité de la solitude paysanne, il fallait oser. Surtout, elle y connaissait quoi à l'agriculture, cette bobo du Tout-Paris élevée sur le macadam de la ville de Nancy? Rien. Strictement rien. Une fois ses deux pieds dans la terre, elle en mettait autant dans le plat. «Les vaches sont nourries au crabe?» Non, au tourteau agricole. Au moins, elle en pose des questions. Et l'amateurisme est plus digeste quand il s'avance avec humilité.
A vrai dire, l'émission aurait pu s'immiscer dans les turpitudes sentimentales des monteurs en sanitaires, des hygiénistes dentaires ou des employés de fast-food, que Karine Le Marchand aurait signé quand même. Toute sa vie, cette femme a animé tout un tas de trucs. C'est son job.
Alors quand un agriculteur, alpagué sur le périph' parisien par un journaliste de BFMTV, commence sa phrase par «ce n'est qu'une animatrice, mais...», elle est la première à lui donner raison. Karine Le Marchand a beau s'occuper désormais d'un petit hectare de terrain et ne jamais sortir sans sa croix d'Officier du mérite agricole, la puissante égérie des producteurs en colère ne sera jamais une fermière. Et c'est bien pour ça qu'elle a été accueillie telle une «Michelle Obama des paysans de France», cette semaine, sur les lignes de blocages et les piquets de grève aux abords de Paris.
En début de semaine, tout méfiants que l'on est, on a pensé à une entourloupe politique, un coup monté, une opération de charme. On a imaginé Gabriel Attal, suant de panique, se ruer sur son téléphone pour dégainer le joker Karine, l'arme de séduction massive susceptible de calmer les agriculteurs. Il n'en est rien. Les croissants, l'arrivée à moto, les mots tous chauds et les tapes dans le dos ont été imaginés à l'américaine. Un soutien sincère, planté dans le premier degré et le respect mutuel.
Malgré quelques slogans balancés dans un mégaphone, l'animatrice a d'abord fendu l'asphalte pour distiller du courage aux mécontents. En amie, en alliée, en Marianne. Et une fois sa frimousse entre les tracteurs, pas l'ombre d'un détracteur. Karine Le Marchand, consciente de sa formidable influence, sait pertinemment qu'elle est une arme à double emploi. En l'espace de quelques croissants distribués sur l'autoroute, elle a été la citadine adoubée par les agriculteurs et la campagnarde préférée des citadins. Le message est chuchoté, mais crédible et redoutable: les Français sont avec vous.
Savoir ne jamais en faire trop, c'est souvent bien assez.