Yves Saint Laurent proposerait ses costards à vingt balles qu'on les snoberait fissa. Le luxe, désolé les pauvres, déambulera toujours sur une corde économique un poil plus épaisse et moins rationnelle que celle de la Coop Pronto. Tout comme un sac à main ne sera jamais un médicament (quoique), une tranche de cake n'a jamais ambitionné de devenir une tranche d'impôt. Alors si on arrêtait, pour une fois, de comparer les biens de première et de dernière nécessité?
Cédric Grolet, «meilleur pâtissier du monde» en 2018, remplit goulûment les panses fortunées des clients du Meurice. Ses oeuvres sont donc autant de Rolex qui font grossir, de tailleurs Vuitton flanqués d'un glaçage à la fraise, vendus dans un arrondissement parisien qu'il serait ridicule de confondre avec la réception d'une antenne Pôle Emploi. En d'autres termes, personne n'a jamais été traîné dans sa boutique de l'avenue de l'Opéra, le canon d'un flingue sur la tempe, pour y avaler un croissant à quatre euros et 12 000 calories.
Ceci étant dit, a-t-on le droit de dégueuler sur le prix et la tronche de la bûche de Noël que le pâtissier le plus aimé et détesté de la planète vient de dévoiler? Evidemment. C'est même indispensable. Pire: c'est fermement attendu par le coupable, ce charmant trentenaire aussi bien peigné que ses célèbres fruits en trompe-l'oeil.
Depuis mercredi, c'est bien simple, Bonhomme des neiges est l'individu le plus commenté de France. Pour dire, même Emmanuel Macron et le prochain fait divers politisé sont jaloux de cette prise subite de lumière. Que lui reproche-t-on, en somme? Sa gueule bouffée par un essaim d'abeilles et un corps qui serait passé sous un bus. Encore que, si ce pauvre coco au coco était fourgué gratuitement, personne n'aurait l'idée de lui faire subir un tel contrôle au faciès.
Mais à 95 euros, il paraît que «c'est un tel niveau d'arnaque qu'il faudrait inventer un nouveau mot», selon une journaliste française qui a notamment publié Mangez les riches, la lutte des classes passe par l’assiette, aux éditions Nouriturfu. Et pas certain que Nora Bouazzouni soit aussi «morte de rire» qu'elle le promet sur internet.
je suis morte de rire. c'est un tel niveau d'arnaque qu'il faudrait inventer un nouveau mot.
— nora bouazzouni (@norabz) November 27, 2023
(et je sais même pas comment décrire ce truc en ALT) pic.twitter.com/yyyopbepnT
La déflagration est d'ailleurs partie de ce message publié sur X, qui manie l'art du passif-agressif aussi habilement que Grolet sa pâte feuilletée. En commentaires, Bonhomme des neiges s'en prend littéralement plein le glaçage, malgré quelques rares fantassins se risquant à tenter de ralentir la chute de la guillotine. Semblerait pourtant qu'ils soient déjà trop nombreux, ces esclaves du roi du Mont-Blanc à 17 balles.
La journaliste avoue tout de même ne pas avoir croqué dans le coupable. Nous non plus, remarquez.
En revanche, il est plus que temps de le défendre contre ce body shaming qui déboule en flux continu. Et dégainons l'emphase, si vous le voulez bien. Car Bonhomme des neiges est digne des plus grands coups de crayon d'un Tim Burton. Il réunit Mister Jack, Wall-E, Totoro, un Ewok, Violet Parr des Indestructibles dans un dessert. C'est Baymax qu'on aurait trempé dans un grand pot de confiture de mirabelles au vin jaune.
Privé d'yeux, d'oreilles et de bouche, il parvient à dégager cette douce mélancolie enfantine que l'on se doit d'accueillir dans le coeur, pour traverser cette période des bûches sans trébucher.
Et sa dégaine maladroite, c'est précisément celle qu'on rêve d'apercevoir dans le jardin, par la fenêtre d'une chambre encore enrobée par la chaleur des duvets, à l'aube des premiers flocons. Discret, dodu, mignon et cabossé par l'existence, Bonhomme des neiges est sans aucun doute la bûche la plus jolie et la plus pertinente de l'année. Face à ses congénères fringuées comme des camions de livraison Desigual et maquillées comme des sapins de Noël américains, la bûche de Cédric Grolet est un petit miracle de lyrisme comestible.
95 euros pour un peu de poésie, c'est ce qu’on appelle un cadeau. Et ça tombe plutôt bien: demain, c'est la première case de ces calendriers de l'Avent qui contiendront éternellement des chocolats dégueulasses.