Divertissement
streaming

Nommé aux Oscars, «American Fiction» sort en catimini sur Prime

Jeffrey Wright incarne un écrivain et professeur fatigué par l'hypocrisie de milieu de l'édition.
Jeffrey Wright est brillant dans le rôle d'un écrivain aigri et harassé. Image: Orion Pictures

Le film que vous devez voir

Pas de sortie en salle pour American Fiction, qui a pris la direction de la plateforme Amazon. Même si perfectible, le film mérite deux heures de votre temps.
06.03.2024, 18:5007.03.2024, 08:31
Plus de «Divertissement»

Avec American Fiction, Amazon a misé sur le streaming pour l'Europe, évitant les circuits de distribution habituels dans les salles. Aux Etats-Unis, le film a profité d'une sortie nationale (limitée), puisque le studio annonce avoir compilé 20,8 millions de dollars - pour un budget estimé à environ 10 millions.

Sans injecter une tonne de fric pour une promo en grande pompe, une grosse hype n'a cessé d'enfler autour du film. Adapté d'un bouquin intitulé Effacement (Erasure) de Percival Everett et paru en 2001, American Fiction surfe sur la vague depuis son triomphe au Festival de Toronto et son fameux Prix du Public, qui envoie souvent le gagnant droit aux Oscars. Une nouvelle fois, la tradition perdure: le film décroche 5 nominations, dont celui du meilleur film.

Coiffant pour la première fois la casquette de réalisateur, Cord Jefferson profite de la fameuse «Awards season», si cher à l'industrie du cinéma pour écouler des tickets, qui lui permet de trôner en ce moment au sommet des téléchargements aux Etats-Unis. Un succès à tous les étages qui, comme l'analyse le site spécialisé Indiewire, suggère que «le film rapportera beaucoup plus que sa sortie en salles, reflétant une stratégie intelligente».

En Suisse et même en France, pas de promo, rien, nada, niet. Amazon n'a rien communiqué et le voilà disponible depuis le 26 février sur la plateforme.

Que vaut «American Fiction»?

Tout ce pataquès marketing nous aurait même détournés du sujet central: ça vaut deux heures devant son écran? Spoiler alert: il est pas mal.

Seulement «pas mal»?

Dès l'entame, loufoque et révélatrice de notre époque, il y a un humour grinçant qui infuse le film. Les pérégrinations de Thelonious «Monk» Ellison (campé par le toujours excellent Jeffrey Wright), professeur d'anglais et auteur afro-américain, vont faire rire le premier écrivain en herbe. A l'école à mi-temps, en plein syndrome de la page blanche à plein temps, le destin de Monk pue la déception.

Il se casse les dents face à ce puritanisme propre aux Américains, qui l'envoie tout simplement en congé après des échanges musclés avec une étudiante. La raison: choquée de lire sur le tableau le mot «nègre», l'étudiante se sent offensée. Difficile à croire, surtout pour Monk, qui perd ses moyens...

La coupe est pleine lorsqu'on lui reproche de ne pas écrire dans un style «assez black». La dernière chose qui l'achèvera sera le succès phénoménal d'un roman médiocre consacré à la réalité des ghettos. Pour y remédier, l'écrivain aigri pond un texte, flanqué de son pseudonyme Stagg R. Leigh, un repris de justice imaginé de toute pièce, qui emprunte les traits habituels de la communauté noire.

Boom! Le succès lui arrive en pleine face et le voilà pris à son propre jeu; son texte vengeur, déployé telle une charge féroce contre le milieu américain de l'édition, est promis à devenir un best-seller en puissance.

Le milieu de l'édition mord à l’hameçon et le caresse (dans le sens du poil) pour en faire un phénomène littéraire. Monk voit défiler une poignée d'éditeurs, de marketeurs et même un cinéaste qui en font des caisses pour se montrer à la page. Des manières qui ulcèrent l'intéressé - et nous avec.

L'intelligentsia blanche est caricaturée, exagérément appuyée, lorsque Monk rejoint un jury pour décerner le meilleur roman de l'année. Des individus totalement sous le charme d'un texte voué à... les tourner en dérision. Jubilatoire.

Cette blague littéraire déverse un torrent d'opprobre sur ces «sachant» qui ne connaissent rien de la culture afro-américaine, qui se félicitent de leur inclusion et de leur ouverture d'esprit. Pris à leur propre piège, tous et toutes accourent pour adouber un texte pour le moins forcé sur la condition difficile des Noirs. Le film (comme son livre) est une blague cynique qui dégomme le prêt-à-penser.

Et nous, face à cette satire, de sortir les boissons et nous goinfrer de popcorn.

Un frangin en roue libre dans American Fiction.
Cliff (Sterling K. Brown).Image: Orion Pictures

Une famille dysfonctionnelle

Derrière la mascarade littéraire, c'est surtout un vrai chemin de croix personnel que va vivre le protagoniste, écrasé par une famille dysfonctionnelle. La mère qui fléchit sous le poids d'un Alzheimer envahissant, le frangin chirurgien, Cliff (Sterling K. Brown), qui a pris le large depuis l'annonce de son homosexualité, mais aussi une sœur médecin, Lisa (Tracee Ellis Ross), divorcée.

American Fiction perd un peu de son mordant à portraiturer l'homme derrière l'écrivain, que Jeffrey Wright assume à merveille. Excellent dans la peau d'un homme usé par le temps et dont l'âcreté inonde son quotidien. Désenchanté et capable de dénonciations à la mitrailleuse, Wright s'en sort nettement mieux dans ce registre que dans celui de l'homme, sans sa plume, aux prises avec une existence scabreuse. Un choix de narration qui entache la subtilité du propos. La dernière partie, qui aurait mérité mieux, devient trop lisse et moins percutante.

American Fiction n'épargne personne, pas même les membres de la communauté afro-américaine, placés face à leurs propres biais. Tout ce paquet de cynisme qui nous explose à la face est, avouons-le, fichtrement plaisant.

«American Fiction» est disponible sur Prime depuis le 26 février.

«American Fiction» - Bande-annonce

Vidéo: youtube
Une IA a créé des couples de stars et leurs enfants
1 / 30
Une IA a créé des couples de stars et leurs enfants
source: jérémy pomeroy
partager sur Facebookpartager sur X
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Ça pourrait bien être le film d'horreur de l'année
Weapons, le prochain film de Zach Cregger (Barbare), se montre dans une bande-annonce qui fout vraiment les jetons.

Dans la belle tradition du cinéma, il y a deux saisons propices à la sortie d'un film d'horreur. On trouve évidemment la « spooky season » de l'automne, autour d'Halloween, et contre toute attente, l'été. Eh oui, le public amateur de frissons étant principalement composé de jeunes adultes de 16 à 24 ans, quoi de mieux que les vacances d'été pour aller au cinéma et rassurer son rendez-vous qui sursaute à chaque apparition effrayante?

L’article