Réaliser un film adapté de Dune, fut longtemps une arlésienne pour de nombreux réalisateurs tant les tentatives furent chaotiques pour tous ceux qui s'y sont essayés. Le premier à s'y casser les dents fut le réalisateur Alejandro Jodorowsky avec un projet démesuré dans lequel aurait dû jouer Mick Jagger et Salvador Dali dans les années 1970. Une adaptation finira tout de même sur les écrans, celle de David Lynch en 1984. Ce blockbuster réalisé pourtant par ce cinéaste singulier sera un échec critique et commercial, ainsi qu'un film renié par son propre réalisateur.
Il aura fallu attendre une cinquantaine d'années après la sortie du roman Frank Herbert pour avoir une adaptation digne de ce nom, des mains du Québécois Denis Villeneuve (Blade Runner 2049). Un réalisateur acclamé, dont le style, très identifiable, lui vaut parfois l'attribut de visionnaire au même titre qu'un Christopher Nolan ou un James Cameron.
Denis Villeneuve est le garant d'une mise en scène exigeante et d'une image magnifiée par le talent du son directeur de la photographie Greig Fraser. Une vision qui fait de ses deux volets de Dune un ensemble singulier, à l'allure confinant au grandiose, tout en faisant preuve d'une certaine sobriété.
En effet, point de couleurs criardes et d'effets visuels dans tous les sens chez Denis Villeneuve. Dune est un objet monochromatique implanté dans des décors naturels, ceux du désert de Wadi Rum en Jordanie. Un écrin sublime qui a parfois des allures du pub pour le parfum Shalimar de Guerlain, certes, et cela sera encore plus marqué dans ce deuxième opus, mais fichtre, qu'est-ce que c'est beau !
Si le premier volet de Dune avait été repoussé et chamboulé par l'épidémie de Covid-19, le film a bénéficié d'un véritable enthousiasme à sa sortie en 2021, étant une des premières œuvres à faire revenir les spectateurs dans les salles. Cette première partie était une longue introduction qui se serait à jamais terminée sur une fin ouverte si le succès n'avait pas été au rendez-vous.
Une suite enfin visible sur les écrans, «enfin», car Dune: Deuxième Partie s’est aussi fait désirer à cause de la grève des scénaristes et des acteurs ayant frappé Hollywood en 2023, décalant sa sortie de plusieurs mois.
Dune: Deuxième Partie débute là où la première partie s'arrêtait. Une suite directe d'un film dont le visionnage (ou le revisionnage) s'avère indispensable pour saisir les tenants et les aboutissants de cette histoire tirée d'un monument littéraire.
De cette fresque complexe, Denis Villeneuve en a fait un spectacle démentiel aussi prestigieux que son casting. Car Dune: Deuxième Partie brille par de nombreuses étoiles, comme Timothée Chalamet, Zendaya, Josh Brolin, Rebecca Ferguson ou encore Javier Bardem. L'on y trouve également de nouveaux visages connus, notamment ceux de Léa Seydoux, Florence Pugh Christopher Walken ou encore Austin Butler.
Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… Un empire interstellaire aristocratique appelé «Imperium» est dirigé, sous la tutelle d'un empereur, par plusieurs maisons qui s'affrontent pour le contrôle de la planète Arrakis.
Cette planète est un vaste désert inhospitalier où vivent des vers gigantesques et monstrueux qui avalent à peu près tout ce qui fait du bruit. Ces vers géants laissent sur leur passage de l'Epice, une drogue rarissime nécessaire à la navigation spatiale puisqu'elle permet d'entrevoir l'avenir - et de ce fait, les destinations dans l'espace-temps. Cette poudre dorée que l'on retrouve dans le sable est la ressource la plus précieuse de l'univers.
Dans cet empire, existe un ordre religieux appelé Ben Gesserit. Un ordre matriarcal où des femmes aux pouvoirs mystiques et aux doigts longs ont infiltré chacune des maisons de l'Impérium, notamment en mariant certaines de ses membres à des dirigeants des grandes familles.
De ses mariages, elles espèrent qu'en découle un jour un être aux capacités de divination bien supérieures à la moyenne et pouvant servir leurs intérêts. Comme dans toute bonne religion, cet ordre aura durant des siècles mis en place une prophétie annonçant l'arrivée de ce messie.
Le premier long métrage débutait par Paul Atreides (Timothée Chalamet) accompagnant ses parents, le Duc Leto (Oscar Isaac) et dame Jessica (Rebecca Ferguson) sur la planète Arrakis. En effet, la maison Atreides s’est vu confier par l’empereur l’exploitation de l’Epice au détriment des Harkonnen, une puissante maison qui se chargeait de cette tâche auparavant. Une maison dotée d'une culture guerrière et sanguinaire dirigée par le baron Vladimir Harkonnen (Stellan Skarsgård), qui ne compte pas laisser ce crime de lèse-majesté impuni.
Ainsi, les Harkonnen, durant une attaque sur Arrakis, massacrent la maison Atreides, ne laissant que des cadavres sur leur passage, y compris celui du Duc Leto. Dans leur fuite éperdue, Paul et sa mère se retrouvent finalement seuls dans le désert où ils sont recueillis par le peuple Fremen, autochtone d'Arrakis. Ceux-ci vivent en osmose avec le désert et sont en lutte contre les colonisateurs venus piller leurs ressources. Ils font la rencontre du chef Stilgar (Javier Bardem) et de la guerrière Chani (Zendaya) et sont acceptés au sein de la tribu.
Cependant, Paul est en proie à d'étranges visions prémonitoires et ses péripéties correspondent à de nombreuses prophéties Fremen. Ainsi le peuple du désert commence à voir en lui le «Lisan al Gaib», censé sauver les Fremen et faire d'Arrakis un paradis. Une position divine qui pourrait permettre à Paul de mener une guerre vengeresse contre les Harkonnen.
Maintenant que vous êtes à jour, parlons de ce qui va suivre. Ce qui était auparavant une histoire de trahison et de fuite laisse place à un récit d'initiation qui se mêle à une épopée guerrière d'un peuple colonisé désirant son émancipation. Si l'œuvre aurait pu avoir des allures de Star Wars dans le désert, Dune fait le choix d'un récit intimiste et exigeant, reprenant des thématiques terriblement contemporaines de notre société, telles que le capitalisme, l'écologie et surtout la religion utilisée comme arme de pouvoir. Un pouvoir qui corrompt, détruit et fait des héros leur propre Némésis.
Tout comme dans le premier Dune, les plans larges de Denis Villeneuve nous emprisonnent toujours dans l’immensité de cette planète dans laquelle l'homme parait bien peu de chose. Un jeu de zoom et dé-zoom qui en fait un contraste parfait entre scène épique et récit intimiste, marquant une forme d’apothéose. Les panoramas gigantesques et les scènes d'actions grandiloquentes contrastent à merveille avec des scènes de conciliabules, qu'elles soient de l'ordre du complot, de la foi ou encore de l'amour qui lie Paul Atreides (Timothée Chalamet, et le personnage de Chani (Zendaya).
Si le casting fait des étincelles, ce blockbuster reste porté par les frêles épaules de Timothée Chalamet qui s'en sort avec des lauriers dans un rôle qu'on imaginerait pourtant incarné par un physique plus proéminent. Il est pourtant brillant dans l'interprétation de ce personnage complexe d'aristocrate avide de vengeance et de figure biblique dont la légende a été fabriquée de toutes pièces depuis des siècles. L'actrice suédoise Rebecca Ferguson tire également son épingle du jeu dans son rôle de matriarche implacable. Fierté locale et pas des moindres, la présence à l'écran de la Genevoise Souheila Yacoub qui incarne ici une guerrière Fremen au cynisme rafraichissant.
Autre personnage impressionnant, Austin Butler (Elvis), méconnaissable dans son personnage de Feyd-Rautha. L'acteur interprète un psychopathe terrifiant, dont la scène d'introduction marque la rétine par des images qui touchent au sublime. Une superbe séquence en noir et blanc qui présente l'esthétique Harkonnen, où se côtoient une architecture brutaliste et des éléments organiques.
Dune: deuxième partie est un vertige pour tous les sens. La musique d'Hans Zimmer met les potins à fond, frôlant l'assourdissement. Une puissance sonore qui s'accompagne d'une direction artistique touchant au sublime, avec des choix visuels audacieux rarement vus au cinéma. Tout n'est que gigantisme, où l'infiniment petit côtoie l'infiniment grand. Ce travail d'orfèvre sur la forme, se ressent également sur le fond. Le récit fait preuve d'une maturité et d'une noirceur dans ses enjeux politiques, militaires et religieux qui ne laisse pas indifférent tant on peut y ressentir une forme de similitude avec notre propre monde.
Dommage pour l'émotion, aussi absente que l'eau sur Arrakis, n'existant qu'au travers du lien affectif entre Paul et Chani. Cependant, les défauts se comptent en grains de sable tant Dune est grandiose et propose de la science-fiction d'un acabit qui n'arrive qu'une fois par décennie. A voir sur le plus grand écran possible, quitte à en perdre l'audition et vous brûler les rétines.
«Dune: deuxième partie» de Denis Villeneuve sort sur les écrans romands le 27 février 2024. Durée: 2h 46min.