Je me suis toujours demandée qui étaient les personnes qui achetaient de l’art contemporain à la montagne. Je parle de ces galeries qu’on voit dans des stations de riches comme Crans-Montana, Zermatt ou Verbier. Vous savez, celles qui sont remplies de sculptures d’animaux à vous faire saigner des yeux. Elles sont souvent monumentales, en résine et dans des couleurs aussi criardes que les combinaisons de ski des années 80. L’une des plus fameuses: le gorille de Richard Orlinski. Il y en a un sur le balcon d'un chalet à Crans-Montana, c'est terriblement disruptif. Nabilla aussi en a un dans sa maison à Dubaï. Ça donne une idée de la clientèle…
Je sais, l’art est subjectif comme me l'ont rappelé les galeristes que j'ai contacté. C'est pour ça que j'ai pris bien soin de mettre des guillemets au mot «moche» dans mon titre. Qu'est-ce que le beau? Vaste débat que je n’ai pas envie de traiter ici, d’abord parce que je n’ai pas trois mois devant moi mais aussi parce que je n’y connais rien. Tout ce que je sais, c’est que lorsque je passe devant l’une de ces galeries, je m’arrête, mon petit cœur de Genevoise protestante a des palpitations, je me rapproche à la recherche d’un prix parce que je sais que ça va me choquer et j’aime ça, être choquée.
Alors je m’interroge: qui achète un Mickey Mouse avec un cul à la place de la face pour mettre dans son chalet? Qui sont les gens qui acquièrent un poisson-lune incrusté de cristaux Swarovski pour égailler leur carnotzet? Qui se dit: «Tiens! Je vais mettre un casque de Dark Vador sur lequel on a graffé le logo Chanel, ça va faire ressortir le bois.»?
J’ai posé la question à un expert de Verbier. Luca Ricchi est directeur de la galerie Bel-Air Fine Art qui a des succursales un peu partout dans le monde, dont une à Crans-Montana, à Gstaad ou encore à Courchevel.
Je pensais qu’il allait me dire que la clientèle principale était les hôtels ou les chalets de luxe à louer mais sa réponse a été toute autre:
En gros, c’est un peu comme quand je suis en vacances au Mexique et que j’achète des attrape-rêves. C’est pas pour les mettre dans ma baraque à Tulum, c’est pour les ramener dans mon appartement à Genève (sauf que j’ai pas de maison à Tulum, parce que je suis journaliste et donc pauvre).
J’ai appelé une autre galerie d’une autre station huppée en Suisse et une collaboratrice qui n’a pas souhaité être citée a démontré que l’art est subjectif mais aussi touchy, car quand je lui ai demandé qui achetait ce type d’oeuvres, j’ai eu le droit à un glacial: «Cet art s’adresse aux gens qui y sont sensibles». Un court instant, j'ai eu l’impression d'enquêter sur les Panama Papers.
Ces œuvres ne coûtent pas le prix d’un attrape-rêves. Il faut péter dans la fourrure de chinchilla pour se les offrir. Les prix démarrent à 3000 francs et s’envolent jusqu’à 300 000 francs.
Et quand je provoque Luca Ricchi en lui demandant ce qu’il a envie de répondre aux gens qui passent devant sa galerie et disent que c’est moche, sa réponse est pleine de sagesse: «On ne peut pas plaire à tout le monde.» Mais très vite, il m’avoue que cet art est comme ma question, volontairement provocateur. «Certaines personnes tombent dans le piège. On a été critiqué pour avoir exposé certaines pièces comme l'œuvre d’un artiste qui jouait sur le photomontage des stars d’antan. Il avait photoshopé Audrey Hepburn avec des tatouages.»
Perso, je ne me suis toujours pas remise du Mickey qui a une paire de fesses à la place du visage mais je pense que c'est à cause de mon syndrome de Peter Pan. Disney, c'est sacré, on touche pas. Comme le dit très justement le galeriste: