«L'arnaque du carburant continue...», s'est récemment insurgé le journal Bild, qui pensait avoir découvert l'«arnaque» suivante: le prix du pétrole brut a certes baissé, mais les «géants du pétrole» ne répercuteraient pas entièrement cette baisse des coûts dans les stations-service. L'association des automobilistes allemands (Adac) est citée comme témoin principal, elle a constaté:
En effet, les marchés mondiaux du pétrole brut ont connu un revirement surprenant. Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février, le prix du pétrole brut a grimpé en flèche. Mais entre-temps, l'or noir est devenu moins cher: le pétrole brut coûte à nouveau à peu près le même prix qu'avant l'invasion russe. A savoir moins de 100 dollars le baril.
Après ces hauts et ces bas, on peut effectivement se poser des questions:
Beat Niederhauser, suppléant du Surveillant des prix, déclare à CH Media:
Le Surveillant des prix mène actuellement une enquête visant à déterminer si des marges excessives sur les carburants ont été encaissées en Suisse. Même si cette enquête est encore en cours, il est clair pour Niederhauser qu'une plus grande transparence pourrait inciter les stations-service à répercuter plus rapidement les baisses de prix. Car plus il y a de visibilité, plus les compagnies pétrolières adaptent rapidement leurs prix à la baisse, car elles ne veulent pas être distancées par la concurrence.
Aux Etats-Unis aussi, l'essence occupe les esprits. Les exploitants de stations-service ont récemment été interpellés par le président Joe Biden en personne:
My message to the companies running gas stations and setting prices at the pump is simple: this is a time of war and global peril.
— President Biden (@POTUS) July 2, 2022
Bring down the price you are charging at the pump to reflect the cost you’re paying for the product. And do it now.
L'économie a réagi par des contre-attaques virulentes. Jeff Bezos, fondateur du magasin en ligne Amazon, déclare entre autres que le président fait preuve d'une «profonde ignorance des mécanismes du marché». Bezos est ensuite lui-même accusé d'«ignorance» pour cette attaque, par un prix Nobel d'économie.
Un coup d'œil sur les chiffres du Touring Club Suisse (TCS) montre que le prix de l'essence réagit certes tout à fait à l'évolution du prix du pétrole brut. En l'espace d'un mois, le prix du litre de sans-plomb 95 à la pompe a baissé de 10 centimes pour atteindre 2,14 francs. Mais il reste nettement supérieur au niveau d'avant le début de la guerre. S'il existait un lien direct entre le prix du pétrole brut et celui des carburants, l'essence devrait à nouveau coûter 1,89 franc le litre, soit le même prix qu'en février de cette année.
Pour le diesel, le prix a baissé de manière nettement moins importante au cours des quatre dernières semaines, à savoir de 3 centimes seulement, pour atteindre 2,33 francs le litre. En février, avant le début de la guerre, le prix du diesel était encore de 1,94 franc. Il y a donc une différence. Mais l'explication n'est pas forcément une augmentation des marges. Il y a d'autres raisons possibles.
Ainsi, le pétrole brut et les carburants sont des produits totalement différents. Des étapes complexes sont nécessaires pour transformer le pétrole brut en essence ou en diesel pour les voitures. Et pour les prix à la pompe, c'est finalement moins le prix du pétrole brut que celui des carburants finis à la bourse qui est déterminant.
Les cotations dites «Platts» à Rotterdam sont importantes à cet égard. Une forte augmentation de la demande ou les capacités limitées des raffineries peuvent y faire grimper les cours. «La spéculation accentue souvent les fluctuations des bourses, même pour les prix des produits», explique Sarah Wahlen, porte-parole du TCS.
Le prix de l'essence n'est donc pas directement lié à celui du pétrole brut et il est influencé par d'autres coûts tels que le transport maritime et la distribution à l'intérieur du pays, dont les prix peuvent également fluctuer.
Les niveaux records de la navigation sur le Rhin font actuellement grimper les coûts de transport. Le prix d'une tonne de carburant transportée par bateau jusqu'à Bâle est passé de 30 à 260 francs depuis début juin. La raison? Le fleuve est bas et les navires ne peuvent actuellement charger qu'un tiers de leur capacité, raison pour laquelle moins d'essence et de diesel arrivent en Suisse.
Il n'est donc pas facile de prouver qu'il y a effectivement des «acidifications de réservoir». Il faut déjà des évaluations minutieuses. En Suisse, il faut attendre l'enquête du Surveillant des prix. Des études internationales montrent que de tels «désordres» se sont déjà produits. En Autriche, il existe une enquête de l'autorité de la concurrence datant de 2008, selon laquelle les stations-service ont répercuté les prix plus élevés en bourse pour un litre de super dès «le 1er ou le 2e jour suivant, alors que la baisse de prix n'a eu lieu que le 4e jour».
Ce phénomène a également été démontré depuis longtemps aux Etats-Unis. L'économiste Paul Krugman a fait référence à de telles études après que le fondateur d'Amazon Bezos ait accusé le président américain de «profonde ignorance». Sur le marché américain de l'essence, on observe souvent une succession de «fusées et de plumes». Si le prix du pétrole brut monte, le prix de l'essence fait de même – comme une fusée. Si le prix du pétrole baisse, le prix de l'essence fait de même, mais beaucoup plus lentement – il descend comme une plume.
Les fusées et les plumes s'expliquent par le pouvoir de marché, comme le montrent des études. Ce sont surtout les stations-service qui n'ont guère de concurrence dans leur environnement qui en profitent lorsque le prix du pétrole s'envole. Non seulement elles répercutent leurs coûts, mais elles augmentent en même temps leurs marges. Si les prix augmentent de toute façon partout, il n'est guère possible de déceler une telle surenchère. Si le prix du pétrole baisse à nouveau, ces stations-service maintiennent leurs marges élevées pendant un certain temps encore.
L'exemple de l'Autriche le montre: la transparence aide. Les stations-service doivent intégrer quotidiennement leurs prix dans une application. On peut ainsi voir en permanence où se trouve l'essence la moins chère et les fournisseurs sont incités à faire partie des stations-service les moins chères qui se trouvent en tête de liste. Le suppléant du Surveillant des prix Beat Niederhauser déclare:
Pour la Suisse, le Surveillant des prix espère qu'une telle application de comparaison aura un effet positif analogue en cas de baisse des prix. (aargauerzeitung.ch)