Jeudi dernier a eu lieu la séance d'information de la Commission d’Helsinki sur la prétendue coopération de la place financière suisse avec le Kremlin. Ignazio Cassis s’en était plaint en début de semaine auprès du ministre américain des Affaires étrangères, Anthony Blinken. Cette séance n’a toutefois pas apporté l’éclairage nécessaire.
La «rumeur» selon laquelle la justice suisse se trouve à la botte du gouvernement russe n'a pas été étayée davantage.
Cela ne veut pas dire pour autant que la Commission d'Helsinki a brossé un beau tableau de la Suisse pendant 60 minutes. Au contraire, l'investisseur Bill Browder, aujourd'hui l'un des principaux critiques du président russe Vladimir Poutine en Occident, n'a pas manqué une occasion de décrire les péchés présumés de la Suisse.
Il a ainsi mentionné les aventures russes de l'ancien procureur général de la Confédération Michael Lauber, au cours de la dernière décennie. Il est également revenu sur la manière dont les autorités pénales suisses prendraient régulièrement parti pour les oligarques russes.
Le principal reproche de Bill Browder reprenait le fait que la justice suisse est soit «corrompue», soit «totalement incompétente».
Today I testified to Congress about the Russian interference and bribery in the Swiss justice system connected to the Magnitsky case. Here’s the detailed presentation on what happened https://t.co/Ya8Jy65Jt5 https://t.co/T1qnidI28o
— Bill Browder (@Billbrowder) May 5, 2022
Figure centrale de l’affaire de Magnitsky, Bill Browder s’en est également pris à Stefan Blätter, le successeur de Michael Lauber. L’actuel procureur général de la Confédération a récemment déclaré lors d'une conférence de presse que son autorité fonctionnait bien et était bien gérée. Une réforme fondamentale n'était donc pas indiquée. Mais le financier britannique a alors répondu:
Browder a fait référence aux deux adjoints du procureur, qui avaient déjà travaillé avec Michael Lauber. Le service de presse du Ministère public de la Confédération a alors fermement rejeté ces accusations dans une longue prise de position.
Browder a également proposé de revoir la coopération des autorités d'enquête américaines avec l'Office fédéral de la justice et l'Office fédéral de la police. «Peut-être que les autorités suisses ne méritent plus la confiance que leur accorde Washington», a-t-il déclaré.
Il a ensuite ajouté: «La Suisse appartient peut-être à une autre catégorie d’Etats que le Canada», pays avec lequel les Etats-Unis entretiennent des liens d’amitié étroits.
Dans un autre contexte, Browder a évoqué les listes noires avec lesquelles l'Amérique et l'Europe ont régulièrement menacé la Suisse dans le passé sur des questions financières. Mais tout cela s'est déroulé avant l'introduction de l'échange automatique d'informations.
Les remarques du participant suisse, Mark Pieth, étaient constructives. L'expert bâlois en matière de corruption a évoqué la réforme de la loi sur le blanchiment d'argent qui a échoué en 2021 en raison de l'opposition des avocats. Il a déclaré qu'il était indispensable qu'à l'avenir, les avocats soient également soumis à ces règles en Suisse. Un porte-parole du Secrétariat d'Etat aux questions financières internationales, qui fait partie du département d’Ueli Maurer, a déclaré à ce sujet jeudi:
Mark Pieth s'est également dit favorable à ce que l'administration Biden fasse pression afin que la faille suisse soit fermée pour les oligarques russes sanctionnés. Une solution proposée serait que Berne se joigne aux groupes de travail occidentaux. Ces derniers cherchent à geler les avoirs des alliés de Poutine dans le monde entier.
A l’issue de la manifestation, l’expert a déclaré à CH Media que la solution proposée pourrait causer des maux de tête en Suisse. En effet, Washington ferait preuve de peu de compréhension si la Suisse freinait le processus en invoquant le secret bancaire et juridique.
L'audition de jeudi, aussi sec qu'ait été le ton employé à l'égard de la place financière suisse, n'aura donc probablement pas de conséquences directes sur les relations bilatérales entre Washington et Berne.
Un membre important de la Commission d'Helsinki, le sénateur républicain Roger Wicker, a toutefois annoncé qu'il mettrait le sujet sur le tapis lorsqu'il se rendra au WEF à Davos.
Il ne trouvera peut-être pas beaucoup d’auditeurs. Le porte-parole du Conseil fédéral André Simonazzi a déclaré jeudi que la Suisse était «très désagréablement surprise» que cette réunion d'information ait eu lieu.