Il ne s'est jamais vendu autant de logements à la montagne
Daniel Guinnard n’articule aucun montant et ôte d’emblée toute équivoque: «Je ne voudrais pas parler comme Christian Constantin et prétendre que je n’ai pas la mémoire des chiffres. Simplement, j’attends des données exactes. Tout ce que je peux dire, c'est que le marché immobilier, dans nos montagnes, est en plein boom.»
Le boom vu des grandes stations
Plus qu'à sa mémoire des chiffres, Daniel Guinnard fait appel à ses souvenirs de courtier: «On n’a jamais aussi bien travaillé que cet hiver.» Le constat vaut pour Verbier, où l’agence fondée par son père (Guinnard Immobilier) a pignon sur rue, «mais c’est encore plus vrai pour les petites stations: là, tout part à une vitesse incroyable». Une phrase vaut mieux que de longues études: «Depuis novembre, oui, on cartonne.»
Le boom vu des petites stations
Cet enthousiasme résonne dans toutes les vallées environnantes. Installé au pied du télésiège des Masses, dans le Val d’Hérémence, François Pitteloud (agence ALM) évoque une année record. «Quand je parle avec mes collègues, je constate que c’est partout pareil: les gens se réfugient à la montagne, dans des endroits où ils sont bien, où ils peuvent faire du home office. Certains vont skier le matin, pour deux ou trois heures, avant de commencer à travailler, fondamentalement, on observe un vrai retour à la nature. La montagne est prise d’assaut.»
Le boom vu des alpes vaudoises
Patron d'Opt-immo.net, Jean-Luc Clerc est omniprésent dans les alpes vaudoises. Il partage le même constat: «C'est très net, les Suisses fuient la plaine et les centres urbains pour s’établir à la montagne. Avant, on cherchait un bel appartement à Montreux avec vue sur le lac. Mais depuis le Covid, on réalise qu’on est enfermé dans un 2,5 pièces au troisième étage d’un immeuble, avec vue sur Madame Lopez et le balcon d'en face. Aux Mosses, notamment, nous avons de nombreux clients issus de l'Hôpital de Rennaz, qui préfèrent rouler 30-35 minutes en voiture pour retrouver une vie qu’ils aiment, un cadre dans lequel ils oublient leurs soucis.»
Pour la seule année 2020, «le Valais enregistre une augmentation de 36% de la demande pour l’achat de biens immobiliers en montagne», note Grégoire Schmidt dans sa chronique au Nouvelliste. «Le marché a connu un creux autour de 2015 (red: lié à la Lex Weber): les prix des résidences secondaires ont chuté d’environ 20% sur l’ensemble de l’arc alpin.»
Le dernier rapport Knight Frank montre une inversion de tendance presque brutale; pour le segment du luxe, certes, mais pas seulement.
Quelques conclusions du rapport Knight Frank:
- Les ventes ont progressé tout au long de la pandémie.
- Des habitants de Genève, Lausanne et Montreux se sont établis dans leur résidence secondaire, le télétravail étant devenu la norme.
- Les Alpes, déjà synonymes d’espace, de liberté et d’aventure, répondent à un besoin grandissant de bien-être. De plus en plus de citoyens suisses élisent domicile à la montagne.
- Les acheteurs internationaux sont enclins à envisager la Suisse comme base permanente grâce à sa gestion de la crise sanitaire et au style de vie qu’elle offre.
- En ces temps incertains, le franc suisse est la devise la plus sûre au monde.
Le boom vu du Val d'Illiez
«Le Covid a accéléré une tendance de fond: le retour au localisme, estime Maxime Délez, à la tête de MDK Immobilier et d’un vaste catalogue dans le Val d’Illiez. D'un phénomène sous-jacent, nous sommes passés à une nouvelle norme sociale.»
Les analyses bancaires n’indiquent encore aucune surchauffe. Les stations historiquement chères se maintiennent à des niveaux stratosphériques (environ 20 000 francs le mètre carré à Verbier et à Zermatt) tandis que d’autres subissent les effets d’une offre pléthorique (Crans-Montana, 10 500 francs le mètre carré).
«Il ne faudrait pas que cette situation crée une bulle mais je n’ai pas l’impression que nous assistons à une flambée des prix, évalue prudemment Maxime Délez. L’offre correspond peu ou prou à la demande. Ceux qui ne montaient plus au chalet et hésitaient à le vendre profitent du contexte pour tester le marché. Dans notre région, à l'heure actuelle, il n'y a pas de pénurie.»
«Je ne voudrais pas paraître vindicatif mais ceux qui ont voté en faveur de la Lex Weber pourraient tout de même s’en mordre les doigts», nuance Daniel Guinnard, rappelant qu'il a bonne mémoire. «Si la demande reste forte et que l'offre ne suit pas, les prix grimperont fatalement.»
Qui peut prédire l'avenir? Avant le 13 mars 2020, les stations de ski souffraient du réchauffement climatique et semblaient vouées à devenir désertiques. Les voilà brusquement repeuplées.