Connaissez-vous le point commun entre le fondateur de Facebook, le président russe et l'Etat ukrainien? Ces derniers jours, tous trois été marqués au fer rouge du mot «terroriste». Un qualificatif fourre-tout, glaçant, évocateur des heures les plus sanglantes de l'histoire, du 11-Septembre aux attentats de Paris, en passant par Nice. Un mot qui prend aux tripes et qui nous terrifie, à juste titre.
Nous sommes tous des terroristes potentiels. Pas besoin de brandir une kalache ou de poser une bombe sur la place publique. Liker la mauvaise publication sur Facebook en Russie, être Prix Nobel de littérature en Turquie ou cuire vos pâtes 2 minutes de trop en Italie peut vous valoir cette implacable sentence. Concept mal défini et subjectif, le terrorisme dépend de celui qui le qualifie comme tel.
On le voit avec les accusations mutuelles qui ont marqué l'actualité ces derniers jours et qui démontrent bien «la difficulté de donner une définition objective», confirme le linguiste, spécialisé notamment dans le langage en période de conflit.
Notre chère Confédération se prend, elle aussi, les pieds dans la définition:
Plus brièvement résumé par Wikipedia: «Le terrorisme est l'emploi de la terreur à des fins idéologiques, politiques ou religieuses.»
Pourtant, le terme n'a pas toujours été aussi mal connoté. Apparue en 1794, juste après la Révolution française, la «terreur» constitue un instrument de protection pour le pouvoir en place, fort utile pour réprimer les opposants et les ennemis de la révolution.
Les années et d'autres mouvements plus tard, «terrorisme» revêt des sens plus variés. «Sous l’Occupation et le régime de Vichy, les terroristes désignent les résistants», rappelle Salih Akin.
L'émergence du terrorisme islamiste achèvera de lui conférer une aura terrifiante et son ampleur internationale. «Il y a alors une adéquation entre le mot et la pratique qui en découle: la destruction des civils sans défense, des infrastructures, avec une violence aveugle». «Terrorisme» se retrouve ainsi propulsé dans le discours politique et médiatique. Un outil fort commode.
Plus puissant, plus symbolique, «terroriste» revêt un intérêt stratégique. «Cette catégorisation enferme dans des stéréotypes criminels», confirme notre analyste du langage.
Alors, forcément, le mot nous glace. «Et puisqu’il fait peur, certains régimes s’en servent à volonté pour réprimer leur population. Alors qu’il n’y a rien de terroriste dans certaines oppositions politiques.»
Pour certains régimes, en effet, c'est une arme: «Dès lors qu’on n’apprécie pas une voix dissidente, qu’on reste aveugle à des revendications, le "terrorisme" autorise la répression».
La preuve avec le géant Meta, venu garnir, ce mardi 11 octobre, la longue liste de «terroristes et extrémistes» établie par le Kremlin. Pratique pour pouvoir entamer ensuite des poursuites judiciaires contre ses utilisateurs en Russie.
Quitte à friser l'abus de langage. «Cette semaine, Poutine a qualifié de terroriste l’attaque contre le pont de Crimée, sans s’interroger sur ses propres pratiques. Quand il bombarde des hôpitaux, des écoles, des villes, on pourrait aussi potentiellement l'accuser de terrorisme d’Etat», conclut Salih Akin.
Il reviendra à un tribunal international d'en décider. Ces saillies qui fusent comme des missiles démontrent cependant une chose: loin de n'être qu'une affaire physique, la guerre, c'est aussi une question de mots.