Supposons qu'un voyageur du temps des années 30 arrive aujourd'hui à Moscou. Il constaterait immédiatement plusieurs points communs avec l'Allemagne nazie d'alors: le symbole Z, la propagande médiatique ou encore la violente oppression des opposants au régime autocrate.
Pour l'historien et professeur de Yale, Timothy Snyder, les parallèles sont évidents. Dans une tribune publiée récemment dans le New York Times, il a affirmé:
L'expert poursuit: «Le Kremlin décrit l'Ukraine comme un Etat artificiel dont le président juif n'en est pas un. Une fois l'élite éliminée, selon le raisonnement de Poutine, les masses reconnaîtront joyeusement la domination russe.»
Hitler, on le sait, voulait transformer l'Ukraine en un immense grenier à pain et ses habitants en esclaves pour le compte de la «race supérieure» allemande. Aujourd'hui, Poutine fait obstacle à l'exportation de céréales ukrainiennes.
Les Russes prétendent libérer l'Ukraine des «nazis». Comment y parvenir s'ils imitent eux-mêmes les fascistes? «Lorsque les fascistes traitent les autres de "fascistes", ils étendent le culte de la déraison à l'extrême», constate Snyder. «C'est le moment ultime où la réalité est renversée par la propagande. (...) Traiter les autres de fascistes et être soi-même un fasciste est l'essence même du comportement de Poutine.»
Peter Pomerantsev est un journaliste russe qui a grandi en Grande-Bretagne. Dans les années 2000, il a travaillé comme producteur de télévision à Moscou. Là-bas, il a pu constater de ses propres yeux les pratiques de la propagande de Poutine. Il a décrit ces pratiques en détail dans son livre Rien n'est vrai et tout est possible (2014).
Peter Pomerantsev souligne également les contradictions flagrantes de la propagande russe. Il explique dans une tribune publiée dans le New York Times: «Vladimir Poutine veut faire croire au monde que son pays est guidé par une conception unitaire de la fierté de sa culture et des valeurs conservatrices - par la croyance en l'exceptionnalité et l'isolement volontaire. En réalité, la Russie n'a pas d'idéologie cohérente, elle n'est qu'un ensemble chaotique de contradictions, de nostalgie soviétique et d'arrogance culturelle qui glorifie l'empire russe.»
Peter Pomerantsev souligne également le rôle important que joue l'humiliation des gens dans le système du président russe. «Poutine aime jouer sur les deux tableaux du dramatique et de l’humiliant, constate-t-il. Cela lui permet de faire appel au ressentiment profond des Russes d'avoir été humiliés et d'être en même temps dédommagé pour cela. Poutine puise ainsi dans ces deux sentiments, qui sont prédominants en Russie.»
De ce fait, les atrocités de Boutcha et les récits de viols systématiques par des soldats russes sont tout sauf des exceptions. Les soldats, auparavant eux-mêmes humiliés, renforcent ainsi leur confiance en eux.
Le roman Anna Karénine de Léon Tolstoï commence par cette phrase légendaire: «Toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse est malheureuse à sa manière». Peter Pomerantsev parle de l'empire russe comme d'une famille, une «famille profondément malheureuse et violente, dans laquelle les traumatismes s'empilent les uns sur les autres».
Ces traumatismes ne peuvent être surmontés qu'en torturant sadiquement d'autres personnes. «La manipulation à travers le cercle de l'humiliation et de l'agression par Poutine fait partie intégrante de la méthode psychologique qu'il utilise pour garder la Russie sous contrôle», a déclaré Peter Pomerantsev. «Cela lui permet à la fois de criminaliser l'opposition dans son propre pays et d'en appeler au sentiment de solidarité dans la lutte contre l'Occident.»
Dans sa dernière édition, The Economist se penche également sur le fascisme russe. Il cite Boris Nemtsov, le politicien d'opposition russe assassiné en 2015. Celui-ci avait prévenu peu avant sa mort: «La Russie se transforme rapidement en un Etat fasciste. Nous avons déjà une propagande d'Etat qui s'inspire de l'Allemagne nazie. Ce n'est que le début.»
Boris Nemtsov devrait obtenir gain de cause. Aujourd'hui, Poutine laisse se répandre les écrits d'Ivan Ilyine, un ardent fasciste russe décédé en 1954 en exil en Suisse et dont la dépouille a été rapatriée en Russie en 2014. Le président russe laisse aussi faire Alexandre Douguine, un théoricien politique russe, qui plaide ouvertement pour un fascisme moderne.
Poutine ne voit aucun inconvénient à ce que Dmitri Medvedev - qui l'avait remplacé à la présidence pendant quelques années - diffuse sur les médias sociaux des messages tels que:
The Economist tire une conclusion affligeante de son analyse du fascisme russe: «Une fois la guerre terminée, certains en Occident voudront reprendre le business aussi vite que possible». «Mais une véritable paix ne sera pas possible avec une Russie fasciste.»