La découverte des corps de plus de 300 civils abandonnés dans les rues de Boutcha, dans un décor rappelant fortement une exécution sommaire, a horrifié le monde. Les premiers témoignages, analyses et enquêtes semblent indiquer, de manière de plus en plus convaincante, que la Russie doit être tenue pour responsable.
Ce qui soulève la question suivante: pourquoi ces cadavres n'ont pas été cachés? Autrement dit: pour quelles raisons les auteurs du massacre ont laissé derrière eux les preuves de leur crime, avec tout ce que cela implique sur le plan politique et diplomatique? N'était-il pas préférable de faire tout disparaître?
Selon Marcel Berni, de l'Académie militaire à l'EPF de Zurich, les faits de Boutcha sont tout sauf le fruit du hasard ou le résultat de décisions hâtives. Au contraire, ils répondent à une logique précise que l'expert appelle «violence stratégique».
«Les auteurs de la tuerie ont délibérément fait usage d'une violence excessive et interdite afin d'évacuer les frustrations accumulées et de s'assurer la domination de l'escalade», énumère-t-il.
Tout d'abord, il s'agit de faire peur. La brutalité manifeste de l'acte doit «choquer et dissuader l'adversaire ainsi que la population civile», détaille Marcel Berni. Et d'ajouter:
Deuxièmement, la situation «frustrante» vécue par les forces russes sur le terrain, confrontées à d'importantes difficultés logistiques et à la résistance acharnée des soldats ukrainiens, a probablement joué un «rôle décisif», selon l'expert militaire.
«En entassant les cadavres, les auteurs voulaient se venger des troupes ukrainiennes qui avançaient et leur faire comprendre qu'ils n'étaient pas en mesure de protéger leur propre population», explique-t-il.
Troisièmement, un acte d'une telle brutalité envoie un message très clair:
Ainsi, «seule la transgression flagrante des lois de la guerre peut encore servir de communication non verbale dans cette situation extrême».
Les exécutions arbitraires de civils sont tout sauf une nouveauté. «Malheureusement, nous connaissons ce comportement des criminels de guerre», confirme Marcel Berni, qui cite notamment le massacre de My Lai, perpétré par les soldats américains au Vietnam en 1968. Plus largement, «dans d'autres conflits également, le champ de bataille a été élargi et la violence s'est étendue à la population civile».
Il s'agirait même d'une spécialité russe. C'est ce qu'affirme à France Inter, l'expert de défense et de stratégie militaire, Pierre Servent, qui parle d'une «pratique classique de la part des soldats russes».
Cela s'explique par une absence de respect du droit de la guerre et de formation au respect des civils. Mais le problème est plus profond. Selon plusieurs experts, l'armée russe est confrontée à un gros problème de violence interne.
Alcoolisme, exercices meurtriers, bizutage, harcèlement: les conscrits sont constamment soumis à la brutalité. Dès lors, poursuit Pierre Servent, une fois lâchés sur un théâtre de guerre, ils passent plus facilement à la violence. Bien qu'atroces, les images de Boutcha ne sont dès lors «pas une surprise».
Cela signifie-t-il que ce massacre va être toléré par les cadres de l'armée? Pour Marcel Berni, c'est encore trop tôt pour répondre à cette question. Pourtant, l'expert de l'EPFZ n'est pas optimiste quant à la suite des événements: