Donald Trump n'est pas accusé de fraude électorale, de recel de documents classifiés, de complot contre les Etats-Unis, de paiements maquillés, de diffamation ou encore de montage financier. Il est accusé de tout cela, simultanément, au civil ou au pénal, avec ou sans complices, fédéral ou non, avec des risques plus ou moins grands selon les affaires et dans un agenda totalement labyrinthique.
Quel procès? Contre qui? Pourquoi? Quand? Sans oublier la question qui hante ses (nombreux) admirateurs et dont le candidat républicain se sert allègrement: pourquoi maintenant?
Au total, 91 chefs d'inculpation qui sont tombés dru, en à peine quelques mois. Disons-le franchement, il y a de quoi étourdir la meilleure boussole de chez Décathlon. D'ailleurs, un petit sondage autour de soi permet de réaliser le peu de bons élèves capables de (ré)citer les procès qui attendent l'ancien président.
D'autant que ce n'est pas tout: certains de ses plus fervents détracteurs ont récemment saisi la justice pour tenter de l'empêcher de se présenter à l'élection. Armés de la section 3 de l'article 14 de la Constitution, qui bloque (théoriquement) le passage à quiconque ayant «pris part à une insurrection ou une rébellion», ils comptent bien le faire disqualifier.
Hélas, et histoire de compliquer encore un peu le schmilblick, la Cour suprême des États-Unis a rejeté, lundi soir, l'une des trois requêtes, sans le moindre commentaire. On rappelle tout de même que la vénérable Constitution américaine n'a jamais jugé bon de prévoir un mode d'emploi, pour être en mesure d'appliquer concrètement l'article 14. Pour ceux qui suivent encore, sachez que deux autres procès de ce type, au Minnesota et au Colorado, menacent toujours le candidat républicain.
Cet embouteillage de rendez-vous avec la justice provoque deux réactions bien distinctes dans l'opinion publique: ses alliés crient à l'acharnement politique et au règlement de compte personnel, tandis que pour beaucoup d'autres, cette quantité d'inculpations n'est que l'énième preuve de sa dangerosité.
D'un côté, des groupies agressives, dévouées et prêtes à tout, de l'autre, une foule passive et fatiguée d'en entendre parler tous les jours. «Une ou deux inculpations pourraient lui nuire politiquement. Mais une fois toutes rassemblées, il se sent capable de viser la lune», disait le consultant républicain Liam Donovan, au New York Times.
Car si vous voyez le danger, Trump, lui, n'y voit (pour l'instant) qu'une formidable opportunité. Comprenez: si je suis accusé de tout, je ne suis accusé de rien. Non seulement la profusion crée la confusion, mais elle sème le doute, même parmi les plus modérés des ennemis de l'establishment et du pouvoir en place. C'est à eux que le candidat s'adressera de plus en plus, en meeting, sur son réseau social, dans certains médias et... pas plus tard que lundi soir, juste avant de faire irruption dans ce tribunal de Manhattan, où il sera jugé jusqu'à fin décembre pour avoir gonflé les actifs de la Trump Organization.
Si sa présence n'était pas requise, il a bien sûr fait personnellement le déplacement pour tenter de maîtriser le scénario et rester le personnage principal d'une fiction qu'il présente comme une machination. Car depuis lundi, même s'il a déjà été condamné la semaine dernière, c'est sa valeur qui est jugée, comme un thermomètre planté dans son coffre-fort.
Une véritable hantise pour Trump, qui a grandi avec l'objectif de devenir (et de rester) le plus riche et le plus influent de tous, en misant sur les cinq lettres de son nom.
Sur fond de guerre des chiffres (lui et ses fils risquent de perdre le contrôle de l'empire et jusqu'à 250 millions de dollars d'amende), il refusera que sa base d'électeurs puisse penser qu'il a tout perdu. Jouer la carte de la «destruction de l'entreprise familiale», comme une goutte d'eau dans un vase d'acharnements, lui permet de faire tomber quelques larmes de crocodile sur un dossier pourtant aussi émotionnel qu'une déclaration d'impôt.
Une manière de ne quitter ni le devant de la scène ni le sommet des sondages, tout en faisant de chaque attaque judiciaire une énième munition d'une arme tenue par Joe Biden et les démocrates.
Bien sûr cette demi-douzaine de procès contre lui est légitime, grave et, surtout, bien réelle. Bien sûr, une fois entre les quatre murs de chacun des innombrables tribunaux qu'il croisera sur sa route, Trump risquera gros. Très gros.
D'ailleurs, une condamnation pénale, tout en ayant les moyens théoriques de créer quelques remous dans les rangs de l'extrême droite et les rues du pays, est le seul événement susceptible d'isoler un crime et de ruiner son brouillage de pistes.
Mais tant que Donald Trump mettra, en parallèle, une déculottée électorale à tous les outsiders républicains, sa course à la Maison-Blanche lui permettra d'assurer les prochains épisodes de sa fiction judiciaire, dont la quantité est (pour l'heure) à son avantage.