International
Donald Trump

La Trump Organization risque «la peine de mort»

Donald Trump open his new building at 1 Center Park West- The new Trump International Hotel and Tower.
(Photo byJames Hughes/NY Daily News via Getty Images)
Donald Trump devant son emblématique Trump Tower, en 1983. Image: New York Daily News

La Trump Organization risque «la peine de mort»

De la petite boîte familiale née dans le New York des années 20, à la société tentaculaire et mondiale qu'elle est aujourd'hui, retour sur l'extraordinaire saga de la Trump Organization, dont le procès pour fraude débute lundi.
30.09.2023, 08:0130.09.2023, 16:06
Plus de «International»

«Trump Organization». Derrière ce nom un brin nébuleux, qui n'évoque guère que celui de son égérie Donald John Trump, une toile d’araignée. Plus de 22 000 employés en 2015, dans quelque 515 sociétés réparties à travers le monde. Autant d'entités qui gèrent, possèdent, exploitent, investissent, développent. Dans l'immobilier, mais pas que. La Trump Organization a touché à tout.

Après les hôtels, les buildings, les casinos et les terrains de golf, il y a eu les steaks et les matelas haut-de-gamme. Sans oublier les parfums, la vodka premium, les concours de beauté, la télé-réalité, les vêtements pour hommes vendus chez Macy's, les jeux de société de type Monopoly, les livres, les magazines, l'aviation et même une université.

Un empire tentaculaire, immense, éclectique, éclaté, dont la valeur réelle fera, dès la semaine prochaine, l'objet d'un procès retentissant à New York. Un procès au civil auquel Donald Trump ne devrait, cette fois-ci, pas échapper. Le coup de grâce, peut-être, pour la Trump Organization, cette vieille dame qui doit souffler sa centième bougie en 2027.

Aux origines, une veuve

Son histoire a débuté dans le New York des années 20, sous un autre nom. «Elizabeth Trump & Fils».

En effet, c’est à une femme que l'on doit les bases du futur royaume. Elizabeth Christ Trump, une immigrée débarquée d'Allemagne, motivée par ses rêves de fortune et son cher et tendre Frederick. Loin de se laisser abattre par sa mort des suites de la grippe espagnole, en 1918, la grand-mère paternelle de Donald, forte de sa «détermination extraordinaire», embauche un entrepreneur. Objectif: bâtir des maisons sur un terrain, histoire de vivre confortablement des hypothèques payées par les nouveaux propriétaires. C'est un succès.

Elizabeth Christ Trump, la grand-mère de Donald, a érigé les bases de la future Trump Organization.
Elizabeth Christ Trump, la grand-mère de Donald, a érigé les bases de la future Trump Organization.wikipédia

La veuve n'entend pas s'arrêter en si bon chemin. Pour faire prospérer l'entreprise immobilière familiale, elle enrôle son fils Fred Trump, sitôt majeur, pour en reprendre les rênes. A la barre dès 1929, le jeune bâtisseur se lance alors dans l'achat de maisons plus chères, sur les domaines voisins.

La base du succès

35 ans plus tard, par un froid après-midi de novembre 1964, Fred Trump et son fils aîné bravent la bise pour assister à l'ouverture du pont Verrazano-Narrows. L'homme d'affaires, désormais multimillionnaire, est une figure qui compte dans le paysage new-yorkais. Pas seulement parce qu'il a bâti un véritable royaume d'immeubles d'habitation pour la classe moyenne, estimé à 40 millions de dollars, dans la banlieue de la ville. Le magnat a également noué de fructueuses amitiés dans la sphère politique. Le maire fait partie de ses amis.

ATLANTIC CITY, NJ - JANUARY 22: Businessman Donald Trump's Father Fred Trump at Tyson vs Holmes Convention Hall in Atlantic City, New Jersey January 22 1988. (Photo by Jeffrey Asher/ Getty Images ...
Fred Trump. L'homme d'affaires est une figure importante dans le New York des années 1960.Image: Archive Photos

Au milieu de la cérémonie, son fils, Donald John Trump, 18 ans est frappé par un détail. Pas une seule fois le nom du concepteur de ce gigantesque pont suspendu, qui relie Brooklyn à Staten Island, n'a été prononcé. Le maire l'a tout bonnement oublié. «J'ai réalisé à ce moment-là une chose que je n'oublierai jamais», confiera Donald Trump quelques années plus tard.

«Je ne veux jamais être le pigeon de qui que ce soit»
Donald Trump en 1980, au New York Times.

En 1968, fraîchement diplômé, l'Adonis au visage poupin, yeux bleus, tignasse et cils blonds, rejoint la société à son tour, fin prêt à marcher sur les traces paternelles. Après tout, «peu de fils ont eu la chance d'échapper à leur père», admet-il. Et même s'il aime à se présenter comme un selfmade man, un milliardaire autodidacte qui n'a jamais eu besoin de personne, sa réussite doit beaucoup à ce père exigeant.

UNITED STATES - NOVEMBER 06: Donald Trump and father Fred Trump at opening of Wollman Rink. (Photo by Dennis Caruso/NY Daily News Archive via Getty Images)
Donald Trump doit une grande partie de son succès à Fred, son père.Image: New York Daily News

L'arrivée de Donald Trump dans la société familiale va tout changer. A commencer par son nom: la Trump Organization, comme nous la connaissons, qui acquiert son nom officiel en 1973.

L'Adonis de Manatthan

Le changement est loin de s'arrêter à ce nouveau nom. Donald Trump nourrit de grandes ambitions. Qu'importe si la plupart des gens ne voient en lui qu'un gosse de riche qui profite des dollars de papa. Ce jeune loup affamé et impétueux, en costume marron et mocassins assortis, constamment flanqué d'une top-model et de son garde du corps-chauffeur armé, sillonne la ville à bord de sa Cadillac argentée à ses initiales, DJT. Avide de gloire et de la possibilité de développer ses projets.

Image

La banlieue? Non merci. Donald, lui, jette son dévolu sur Manhattan, beaucoup plus glamour que Brooklyn ou le Queens. Fred a été dur, Donald le sera plus encore. Son bagout, son sourire éblouissant et ses relations assurent une partie de son succès. D'immenses baisses d'impôts et des prêts avantageux, encore jamais accordés à un promoteur immobilier jusque-là, feront le reste.

«C'est un mâle alpha. Il est fort. Il est compétitif. Extrêmement compétitif»
Phil Ruffin, à Forbes, dont le partenariat avec Trump à Las Vegas a rapporté à chacun 96 millions de dollars.

Quelques transactions très médiatisées à Manhattan plus tard, et voilà le statut de Donald Trump et de sa société ancrés dans le bitume dès le milieu des années 70.

Photograph dated 1982 of Donald John Trump (born 1946), American politician, media personality, and businessman who served as the 45th president of the United States from 2017 to 2021. He became the p ...
Désormais, à New York, Donald Trump est un homme avec lequel il faudra compter.Universal Images Group Editorial

La méthode Trump

Enivré du succès du Commodore, cet hôtel délabré qu'il a métamorphosé en hôtel de grand standing, le Grand Hyatt, Donald Trump se lancera bientôt dans la construction de son œuvre emblématique. Un palais à son nom, inscrit en grandes lettres dorées à l'entrée, comme un rappel à qui pourrait l'oublier. La Trump Tower.

Le hall de la 'Trump Tower' à New York, en juillet 1989, Etats-Unis. (Photo by Gérard SIOEN/Gamma-Rapho via Getty Images)
«Entrer dans le monde Trump, c’est comme prendre un long bain, ou respirer une odeur de voiture neuve, ou faire les deux en même temps», écrit Bloomberg en 2015.Image: Gamma-Rapho

Pour ouvrir les portes de cet univers, des portiers en uniformes écarlates et hauts chapeaux de fourrure noire, similaires à ceux des gardes de Buckingham Palace et fabriqués sur mesure à Londres. Pour mieux pénétrer dans un autre monde où dégoulinent luxe, démesure, diamants, dorures, boiseries et cuir parfumé.

Donald Trump in his office, at his desk, in Trump Tower, circa September, 1987.
Donald Trump dans son antre doré, au 26e étage de la Trump Tower, en 1987.Image: Archive Photos

C'est au sommet de ce mince gratte-ciel, tout de bronze et de verre, de 58 étages (et non 68, comme il l'a toujours affirmé) que le magnat installe sa petite famille, Ivana et leurs trois enfants. Sans oublier le siège de la Trump Organization, au 26e étage, relié par un ascenseur privé.

«C'était censé être une salle de conseil d'administration, mais à quoi ça sert quand il n'y a qu'un seul membre? Nous l'avons transformée en salle de conférence»
Donald Trump, en 1983, lors d'une visite de ses locaux au New York Times.

Dans ces bureaux qui dominent la ville, où il prend plaisir à accueillir les journalistes pour des portraits encenseurs, le «promoteur immobilier numéro 1 de la ville» travaille, vit et règne en maître. Dans la Trump Organization, il est partout. Incrusté dans les moindres détails, de la fontaine aux marbres des sols du hall de la tour. Il s'entoure d'employés qu'il connait personnellement. Ses secrétaires s’adressent à lui par son prénom.

«Très peu de choses sont mises sur papier ici. Donald fait le travail de 50 personnes dans sa tête»
Louise M. Sunshine, une ex-collaboratrice, en 1983.

De même qu'il n'a pas été un président comme les autres, Donald Trump ne sera jamais un promoteur comme les autres. Plutôt que des immeubles ou des entreprises, le milliardaire a compris qu'il possédait quelque chose de bien plus précieux: sa marque.

«Tout est à l'image de Donald»
Wayne Barrett, journaliste et auteur de nombreux ouvrages sur Trump.

Donald Trump a un don. Pas seulement celui de la négociation, qu'il a érigée en art. Ni même celui de faire gonfler ses actifs, négliger ses passifs et d'obscurcir ses participations au gré de son humeur. Non, tel Midas avec l'or, tout ce que touche le New-Yorkais finit par porter son nom de famille. De Hawaï à Las Vegas, en passant par les Philippines, le Panama, l'Inde, l'Uruguay, le Brésil ou le Canada. Même si la plupart des lieux ont été cédés à des promoteurs immobiliers, ils resteront marqués au vif de ce T-R-U-M-P ineffaçable.

Trump Tower, Las Vegas, Nevada, USA, 2022. The Golden Trump Tower building, gleaming in the sun, Las Vegas, Nevada, USA. Creator: Ethel Davies. (Photo by EMD/Then and Now Images/Heritage Images via Ge ...
Ouvert en 2008, le Trump International Hotel de Las Vegas a été intégralement vendu depuis, mais conserve son nom.Image: Hulton Archive

La folie des grandeurs

«A 37 ans, personne n'a réalisé plus que moi au cours des sept dernières années», clame celui qui, au milieu des années 1980, pointe effectivement dans le top 400 des plus grandes fortunes de Forbes. En pleine ascension, Donald Trump veut se maintenir durablement au-dessus des nuages. C'est peut-être pour cette raison qu'il tente de bâtir la plus haute tour du monde, un gratte-ciel de 150 étages, sur une décharge d'East River. Avant de s'offrir sa propre compagnie aérienne.

00/02/1999. MAR-A-LAGO, RESIDENCE DE DONALD TRUMP. (Photo by Art SEITZ/Gamma-Rapho via Getty Images)
Mar-a-Lago, son bijou, acquis dans la foulée.Image: Gamma-Rapho

Des dépenses mirobolantes auxquels s'ajoute bientôt Mar-a-Lago, son domaine de Palm Beach, ainsi qu'un yacht de 29 millions de dollars, si grand qu'il rivaliserait avec le Britannia, celui de la Reine d'Angleterre. Sans oublier le célèbre «Trump Taj Mahal», le casino le plus cher jamais construit au monde, à Atlantic City.

«J'ai toujours voulu un bateau plus grand que celui de la Reine»
Donald Trump.

Après une décennie de dépenses mirobolantes, la Trump Organization affiche un déficit terrifiant de 3,4 milliards de dollars. De quoi faire défaillir les comptables et avocats les moins impressionnables de la Grosse Pomme. Et pousser la société à déposer le bilan pour la première fois de son histoire. Donald Trump perd dans la foulée son Trump hôtel Plaza, son yacht, sa compagnie aérienne, ainsi que ses trois casinos à Atlantic City.

Il en faut plus pour achever le milliardaire qui a fait du «come-back» une religion. Un nouveau royaume renaîtra sur les décombres du premier. Une renaissance qu'il doit en partie à son statut de célébrité, mais aussi à sa vision du monde des affaires. Simple, binaire. Il suffit d'y croire pour que ça existe. La pensée magique.

Donald and Ivana Trump (Photo by Bob Sacha/Corbis via Getty Images)
Donald et sa première femme, Ivana, dans leur triplex de la Trump Tower, où un pied carré coûte 2170 dollars (environ 21700 dollars le mètre carré) ou 10 580 dollars, si vous prenez le chiffre de Trump). Image: Corbis Entertainment

Les mots, les chiffres, les gens: Donald Trump manipule tout et tout le monde à sa guise. Forbes et Bloomberg estiment sa fortune à 3 ou 4 milliards de dollars? Lui, il clame peser au moins 10 milliards. Pardon: DIX MILLIARDS DE DOLLARS. Quelle différence, après tout. Pour les investisseurs, les promoteurs et les électeurs, ces sommes sont aussi abstraites qu'une étoile du système solaire, qu'elle soit à 4 ou 10 milliards d’années-lumière.

Plus proche que jamais

Un siècle d'existence, et la Trump Organization a résisté à tout. A la conjoncture, aux crises - et même aux excentricités de son fantasque président. Fantasque, certes, mais taraudé depuis longtemps par la question très sérieuse de sa succession. Alors, pour s'assurer que son empire reste en mains Trump, le milliardaire a donné naissance à trois CEO et héritiers sur pattes. Donald Junior, Ivanka et Eric. Tous issus de son premier mariage, chacun formé dans un domaine différent du secteur immobilier. Par pure commodité.

TORONTO, ON - APRIL 16: Donald Trump, Ivanka Trump, Donald Trump Jr. and Eric Trump attend the Grand Opening Ribbon Cutting Ceremony at the Trump International Hotel and Tower Toronto on April 16, 201 ...
Acquisition pour l'une, développement et construction pour l'un, évaluation et image de marque pour l'autre.WireImage

S'il n'oublie pas que «la succession est généralement un désastre, que ce soit à cause de la jalousie ou pour autre chose», le patriarche n'a jamais caché son ambition: partager équitablement l'empire entre ses trois enfants. Tel un Charlemagne américain.

«Mes enfants sont traités de manière très égale. Je pense et j'espère, pour leur propre bien, qu'ils pourront s'entendre... Ce n'est pas un accord dans lequel il n'y aura qu'une seule personne pour me succéder»
Donald Trump au Wall Street Journal.

Depuis cette interview de 2013, ils sont pourtant deux à avoir quitté la Trump Organization. L'un pour devenir président des Etats-Unis. L'autre, désolidarisée du clan, pour mener une vie familiale paisible en Floride.

Autant de rebondissements qui n'empêcheront pas les quatre Trump de défiler sur le banc des témoins, ces prochaines semaines à New York, pour défendre leur nom et répondre des accusations de fraude généralisée. Leur dernier espoir de sauver l'entreprise, plus menacée que jamais par la destruction. Si elle n'est pas déjà condamnée à la «peine de mort», comme l'affirment des experts judiciaires.

«En finance, une fois que les dominos commencent à tomber, il devient pratiquement impossible de les sauver»
William Black, criminologue, au Guardian.

A supposer que les appels des avocats de Donald Trump échouent, certains des biens les plus précieux du milliardaire menacent d'être liquidés à prix bradés. La Trump Tower de New York. Son golf de Bedminster. Et même son précieux club de Mar-a-Lago. Les chances de sauvetage sont minces. «Entre zéro et rien», estime carrément David Cay Johnston, auteur d'un livre sur Trump, dans DC Report. Soit.

Mais alors que plus de cinquante jours de procès attendent la Trump Organization dès lundi, force est de constater que le magicien Donald Trump, au fil de ces longues années d'affaires et de magouilles financières, a prouvé qu'il excelle dans l'art du come-back.

Et s'il fallait encore une preuve, une certaine «Trump Organization II», a vu le jour dans l'Etat de New York, le 21 septembre 2022. Le jour même où la procureure générale, Letitia James, annonçait l'imminence du procès contre l'ancien président et son entreprise. La magie, sans doute.

Donald Trump dédicace la poitrine d'une jeune femme
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
La guerre de l’ombre pour «punir les Russes» ne fait que commencer
Les services de renseignement ukrainiens ont récemment infligé de lourds revers militaires à la Russie. Leur rôle dans le conflit ne cesse de gagner en importance. Jusqu'où peuvent-ils aller?

Le lendemain de l'opération réussie à l'encontre de l'aviation russe, Vassyl Maliouk, le chef du Service de sécurité d'Ukraine (SBU), affichait sa satisfaction:

L’article