Ce dimanche, près d'un Turc sur deux a voté pour Recep Tayyip Erdogan malgré la crise économique, la corruption et l'échec du gouvernement dans l'aide aux victimes du tremblement de terre. Une opposition largement unie n'a pas réussi à renverser le président. Cette occasion ne se représentera pas de sitôt. Lors du second tour ce 28 mai, Erdogan aura l'avantage et pourra gouverner au moins cinq ans de plus en cas de victoire. Il se pourrait qu'il devienne président à vie.
Pour l'Occident, le succès d'Erdogan signifie qu'il n'y aura pas de nouveau départ dans les relations avec la Turquie jusqu'à nouvel ordre. En cas de victoire dans deux semaines, le président assouplira encore le lien de la Turquie avec l'Occident et consolidera la coopération avec Vladimir Poutine. Erdogan devrait certes approuver l'adhésion de la Suède à l'Otan avant le sommet de l'alliance en juillet, afin de ne pas dresser davantage l'alliance contre la Turquie. Mais les relations avec l'Europe et les Etats-Unis resteront difficiles.
Le succès d'Erdogan renforce-t-il le club des autocrates de la Russie à la Hongrie? A première vue, cela semble être le cas: l'élection n'a pas été équitable, car le gouvernement et l'opposition ne luttaient pas à armes égales. Erdogan contrôle en partie les médias, l'administration et la justice, et peut se servir dans les caisses de l'Etat pour s'assurer une partie des votes. S'il remporte le second tour, le président tentera de contourner les limites constitutionnelles. Il veut ainsi faire voter les Turcs sur une nouvelle constitution, elle pourrait alors lui permettre de se représenter en 2028. Ce qui lui est impossible pour l'heure.
Mais en y regardant de plus près, le résultat des élections de dimanche est davantage la conséquence de la forte polarisation de la société turque que des pressions des autocrates. Les élections en Turquie ont toujours été gagnées au centre-droit. Dimanche, le pays s'est encore plus tourné vers la droite. Le candidat de l'opposition, Kemal Kilicdaroglu, a certes fait voter plus d'opposants à Erdogan que d'autres challengers du président avant lui, mais cela n'a pas suffi pour autant.
L'opposition porte une part de responsabilité dans ce résultat. Dans sa certitude de victoire, elle était persuadée de pouvoir se passer des électeurs de droite. Et ça s'est retourné contre elle dimanche: le nationaliste de droite Sinan Ogan, critique envers Erdogan, a obtenu environ 5%. Ogan veut désormais amener Erdogan et Kilicdaroglu, avant le second tour, à reprendre à leur compte ses exigences concernant la mise hors-la-loi de tous les partis kurdes et le rapatriement des 3,6 millions de réfugiés syriens. Pour Kilicdaroglu, c'est impossible, car il ne peut pas gagner sans le soutien des Kurdes.
Erdogan, quant à lui, fera tout ce qui est en son pouvoir au cours des deux prochaines semaines pour rallier complètement le camp nationaliste à sa cause. Pour ce faire, le président mènera une campagne électorale anti-kurde et promettra le retour des réfugiés syriens. Pour ce faire, il accélérera les discussions avec le régime syrien. L'alliance gouvernementale d'Erdogan ayant défendu, dimanche, sa majorité au Parlement, il peut en outre faire campagne en arguant que le président et les représentants du peuple doivent aller dans le même sens.
L'élection n'a, toutefois, pas porté un coup fatal à la démocratie turque. Malgré la toute-puissance d'Erdogan, plus de 27 millions de Turcs ont voté contre le président. Même si nombre d'entre eux sont désormais démoralisés, il est clair qu'Erdogan est inéligible pour près de la moitié de la population. Si l'homme de 69 ans devait quitter le pouvoir, son parti, l'AKP, et de nombreux nationalistes perdraient leur figure d'intégration. Les cartes seront alors redistribuées, vraisemblablement pas avant. (aargauerzeitung.ch)
(Traduit et adapté par Pauline Langel)