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Sans Trump, le débat des républicains a sombré dans le chaos

Sans Trump, le débat des républicains a sombré dans le chaos
Nikki Haley, la «dame de fer» des républicains, a su émerger de la cacophonie puérile que fut le débat de cette nuit.images: getty, montage: fred valet
Analyse

Sans Trump, le débat des républicains a sombré dans le chaos

Cette nuit, les adversaires de Donald Trump avaient une maigre chance de prouver qu'ils sont capables de renverser des sondages que le milliardaire écrase sans gène. Dans une cacophonie puérile, ils se sont acharnés sur lui... en vain. Seule Nikki Haley s'en sort avec les honneurs.
28.09.2023, 06:5928.09.2023, 09:41
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Pendant que vous dormiez, «les autres républicains» qui briguent la Maison-Blanche ont sans doute rêvé très fort qu'ils pouvaient imiter les primes maladies des Suisses. Que leur prestation sur Fox News les ferait enfler d’un seul coup de 8 à 12% dans les sondages.

On parle des «autres républicains» car, vous l'aurez compris, Donald Trump avait, une nouvelle fois, mieux à faire. Avec plus de 40 points d'avance sur un Ron DeSantis noyé dans un grand bain d'impopularité, l'accusé-candidat a sans doute raison de snober toutes les boums du parti. Et puis, il eût été stupide de s'offrir comme une fleur à des questions embarrassantes sur les fraudes, la prison, le Covid-19, la guerre en Ukraine (qu'il assure pouvoir résoudre en vingt-quatre heures) ou son âge avancé. Enfin... comparé à la vivacité des boxeurs alignés sur le ring cette nuit.

Un petit rappel de l'épisode précédent, ça vous dit?

Lors du premier débat du Grand Old Party, Trump brillait non seulement par son absence, mais par ses déboires judiciaires: sur scène et dans leurs petits souliers, six de ses rivaux, qui plafonnent à même pas 5%, avaient alors estimé que le milliardaire mérite, peinard, de briguer le Bureau ovale malgré ses multiples inculpations.

Le 23 août, on avait aussi découvert l'agilité oratoire du Barack Obama ultra-conservateur, Vivek Ramaswamy, et l'inexistence crasse de Ron DeSantis. Mike Pence et Chris Christie, qui s'étaient montrés les plus critiques envers leur ex-mentor Donald Trump, sans pour autant émouvoir les courbes. Seule Nikki Haley, ferme mais nuancée (pour une ancienne gouverneure de Caroline du Sud, hein) avait su tirer profit du débat. Anti-avortement, mais contre la criminalisation des femmes, l'ex-ambassadrice à l'ONU affichait un grand oui au soutien américain à l'Ukraine.

Malgré tout, personne n'eut, ce soir-là, le talent ou le poids de se rendre impitoyable, indispensable, présidentiable.

Le match retour

Jeudi, trois heures du matin (en Suisse), Fox News sort enfin l'argenterie, le buffet républicain peut démarrer. Notons que notre équipe d'outsiders a déjà perdu un joueur entre les deux rounds: l'ancien gouverneur de l'Arkansas, Asa Hutchinson, n'est pas parvenu à se qualifier, faute de donateurs et d'intentions de vote suffisants. Restaient donc une femme et six hommes pour tenter de faire oublier le grand blond à l'avenir noir.

SIMI VALLEY, CALIFORNIA - SEPTEMBER 27: Republican presidential candidates (L-R), North Dakota Gov. Doug Burgum, former New Jersey Gov. Chris Christie, former U.N. Ambassador Nikki Haley, Florida Gov. ...
Getty Images North America

Ron DeSantis, gouverneur de Floride, jouait sa dernière carte, cette nuit, dans l'enceinte majestueuse de la Fondation Ronald Reagan, à deux pas de Los Angeles. Autrefois le nouveau chouchou de Fox News et le canasson favori du GOP, il s'est très vite pris les pieds dans une campagne maladroite et mal calibrée. Si plus grand-monde ne compte sur lui, tous les yeux étaient néanmoins rivés sur celui qui s'est fait connaître en déclarant la guerre aux mouvements LGBT et à Disney.

Pour mieux le regarder mourir?

D'autant que deux heures, c'est maigre pour convaincre les donateurs de ne pas fermer définitivement le robinet à fric. Et DeSantis l'a bien compris, en s'attaquant immédiatement à Donald Trump, ce «porté disparu» qui aurait dû avoir eu «le courage» de «se montrer sur scène». Christie le prend au mot et rajoute qu'il «se planque derrière ses clubs de golf», avant de se croire dans un comedy club:

«Donald, je sais que tu regardes. Tu ne peux pas t'en empêcher. Tu as peur d'être sur cette scène pour défendre ton bilan. Tu esquives, on va t'appeler Donald Duck»
Chris Christie s'est jeté sur le verbe esquiver (to duck) pour offrir un jeu de mots qui fera date dans cette primaire républicaine.

Durant les cinquante premières minutes, Tim Scott, plutôt sage, sera plus volontiers dans un récit écrit à l'avance. Nikki Haley se montrera précise et incisive et Mike Pence agira comme s'il faisait campagne en 2012, tout en branlant son propre bilan de vice-président de Trump. Notamment au sujet de l'immigration.

Tous ont au moins réalisé qu'il fallait gainer le verbe, se montrer beaucoup plus agressifs et s'acharner sur des cibles communes. Le jeune entrepreneur Vivek Ramaswamy continue de cristalliser l'agacement des plus expérimentés. Nikki Haley ira même jusqu'à lui avouer qu'elle «se sent plus bête» à chaque fois qu'il «ouvre la bouche». Surtout, Joe Biden et son bilan économique en prendra (enfin?) plein la tronche, avec les grèves des cols bleus en toile de fond.

Mais c'est le grand foutoir et la modération des trois marionnettes de Fox News est faiblarde. Pratique pour balancer des punchlines, comme Mike Pence, qui prouve qu'il en connait un rayon en politique éducative en balançant qu'il «couche avec une prof depuis trente-huit ans». Christie Christie doublera cette gaminerie quelques minutes plus tard:

«Lorsque le président des États-Unis couche avec un membre du syndicat des enseignants, il n'y a aucune chance que vous puissiez retirer l'étau du syndicat des enseignants.»
En parlant de l'enseignante Jill Biden.

Hélas, le brouhaha est plus compliqué pour une Nikki Haley qui en jette. Autrement plus factuelle que ses voisins de pupitres (entre deux piques bien trouvées), elle ne dira que la stricte vérité.

Par exemple:

«Le Fentanyl a tué plus d'Américains que les guerres en Irak, Afghanistan et Vietnam réunies»
Nikki Haley a raison. La «drogue du zombie» a fait 150 000 morts par overdose aux US, contre 65 114 aux fronts.
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capture d'écran

La santé a d'ailleurs recousu tous les candidats cette nuit. Au centre de la cible, l'Obamacare et le nombre alarmant de citoyens américains non-assurés. Nikki Haley a rappelé l'importance de «renforcer la concurrence du marché» et de «remettre le patient aux commandes». Si, pour tous, la main lourde de l'Etat fédéral, chère à Barack Obama et aux démocrates, ne sera jamais la solution, personne n'a sorti de solution franche de son veston.

«Oh, j'avais oublié que vous adoriez la Chine!»

Dans un long couloir sur la Chine et «son emprise» sur les Etats-Unis, Nikki Haley, vaillante, s'en prendra à tous ceux qui tentent de la ménager. Alors que Vivek Ramaswamy considérait TikTok comme un «Fentanyl numérique», le riche entrepreneur a récemment retourné sa veste en y créant un compte de campagne. Et il en est fier, même s'il dit avoir retiré ses entreprises du pays: «Hey, j'ai un scoop, les républicains doivent remporter cette élection et il faut atteindre la nouvelle génération d'Américains où ils sont!»

Enfin, cette nuit, le pouvoir d'achat et l'inflation, pourtant chevillés au cœur et aux bourses des Américains, se sont faits curieusement terrassés par des questions que les républicains (et Fox News) n'ont pas souvent dans leur assiette: violence armée, garde des enfants, possibilité d'accorder la citoyenneté aux immigrés sans papiers et préoccupations des Latinos-Américains.

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capture d'écran

Il faut dire merci à la présence de la redoutable présentatrice du journal télévisé nocturne d'Univision, Ilia Calderón. Si aucun républicain n'ira jamais jusqu'à remettre en jeu le deuxième amendement de la Constitution, un renforcement du contrôle des armes a fait son petit bonhomme de chemin sur le plateau.

Trump est intouchable

Après deux heures de cacophonie, il faut se faire une raison: seule l'ancienne gouverneure de Caroline du Sud tire son épingle du jeu. Malgré la grappe de vannes qu'elle s'est réjouie de balancer à ses adversaires, Nikki Halley est la seule qui s'est montrée un tant soit peu impitoyable, indispensable, présidentiable. Entourée de vieux nostalgiques et des deux girouettes de l'extrême que sont DeSantis et Ramaswamy, la «dame de fer» a maîtrisé sa ligne et fait sérieusement de l'œil aux ténors du parti républicain, comme les donateurs.

Mais à quoi bon?

Pile pendant que les outsiders de la primaire républicaine se hurlaient dessus, Donald Trump était dans le Michigan pour faire ce que Biden a entrepris un jour avant lui: consoler les cols bleus, en se rendant sur un piquet de grève d'un secteur automobile en crise. Devant les travailleurs de Drake Enterprises, un fabricant et fournisseur de pièces, le milliardaire a fait le beau, conscient que la classe ouvrière l'avait hissé à la Maison-Blanche en 2016.

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getty

Mais il y a plus grave: son avance est telle que tout débat paraît affreusement vain. Rendez-vous compte: selon le dernier sondage de NBC News, le 45e président des Etats-Unis concentre pour l'heure davantage d'intentions de vote que tous ses adversaires réunis. C'est dire le pouvoir qu'il trimballe encore entre les casseroles. A quatre petits mois des premières primaires, Trump étouffe toute possibilité d'alternative, sous la protection poltronne des vieux portiers du GOP.

Si Nikki Haley veut pouvoir se poser en alternative solide à un candidat qui risque la prison, il faudra que le parti fasse des choix. A commencer par forcer certains concurrents à abandonner la course, histoire d'éviter que les républicains ne s'éparpillent trop longtemps. Cette nuit, lorsque les modérateurs ont demandé aux sept nains des sondages de nommer le voisin qu'ils soutiendraient en cas d'abandon, personne n'a voulu se mouiller. Ce n'est pas gagné.

Donald Trump dédicace la poitrine d'une jeune femme
Video: watson
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