Nikki Haley n'est pas vraiment la candidate républicaine type. Déjà, c'est une femme. Une fille d'immigrés, qui plus est. Et puis, la «dame de fer» de Caroline du Sud, 51 ans, cache bien sa dureté, sous son éternelle allure de petite fille sage, glissée dans un tailleur calibré.
C'est pourtant cette républicaine qui incarne les espoirs d'un parti lassé des frasques de Donald Trump. Nikki Haley a décidé que son heure était venue. Elle vient d'annoncer, ce mardi, sa candidature pour 2024. Insensible aux commentaires sceptiques qu'on lui serine depuis vingt ans passés à affûter ses armes et ses escarpins dans son Etat de Caroline du Sud.
Get excited! Time for a new generation.
— Nikki Haley (@NikkiHaley) February 14, 2023
Let’s do this! 👊 🇺🇸 pic.twitter.com/BD5k4WY1CP
«Nous l'avons vue dans des contextes où les gens pensaient qu'elle n'avait aucune chance. Et nous l'avons vue non seulement survivre, mais prospérer et gagner», glissait cette semaine le sénateur républicain Tom Davis à Politico.
A l'âge de cinq ans déjà, Nikki («petite», en pendjabi) est disqualifiée par les juges d'un concours de beauté de mini miss pour sa peau bronzée. Difficile de trouver sa place dans un Etat sudiste qui fonctionne sur un mode binaire: vous êtes blanc ou vous êtes noir.
Pourtant, la devise familiale laisse peu de place à l'auto-apitoiement. «Les enfants, faites avec», clament ses parents, professeur de biologie à l'université et gérante d'une boutique de mode, originaires du Pendjab. Les tout premiers immigrants indiens que la petite ville ouvrière de Bamberg ait jamais vus.
Aujourd'hui, la plus si petite Nikki mesure 1 mètre 68 et le quotidien The Economist la compare à Margaret Thatcher. Il faut dire qu'elle n'a rien à envier à la dame de fer britannique. Son libéralisme exalté, sa méfiance envers les intrusions du gouvernement, sa défense passionnée du libre marché et de la mondialisation, elle les travaille depuis l'âge de 12 ans, quand elle est engagée pour gérer la comptabilité de l'entreprise familiale.
Vingt ans et un diplôme d'économie plus tard, la comptable fait son entrée en politique par la porte de la Chambre des représentants. «La politique, c'est un sport sanguinaire», affirme-t-elle. C'est donc sans pitié que cette militante agile, aussi à l'aise parmi les PDG que les motards en denim, se présente au poste de gouverneur de son Etat conservateur, contre trois rivaux masculins plus connus et plus influents.
«Vous les gardez aiguisés?» s'amuse son interlocuteur. «Oui. C'est pour donner des coups de pied», conclut la jolie brune aux airs faussement candides, qui s’affiche sur Facebook avec le Beretta qu’elle a reçu pour Noël.
Outre des escarpins bien affûtés, c'est le soutien de pontes de l'alt right aussi clivants que médiatisés, comme la gouverneure de l'Alaska Sarah Palin, dont bénéficie la «nouvelle chérie» du mouvement Tea Party.
Il faut admettre que cette mère de deux enfants, mariée depuis 26 ans, se calque sans problème sur les fondamentaux de son parti - entre opposition à l'avortement, à l'Obamacare, au mouvement Black Lives Matter ou à l'accueil des réfugiés syriens. Une position apparemment pas contradictoire, pour celle qui aime à se présenter comme une «fille d'immigrants».
Nikki Haley est pourtant loin d'incarner une figure aussi radicale et caricaturale que Marjorie Taylor Greene, sa collègue de parti.
Cette première Indo-Américaine à occuper un poste exécutif dans cet Etat conservateur de Caroline du Sud a assimilé l'art subtil du positionnement. Entre sa politique favorable aux entreprises, chère à la droite et la défense d'un «programme d'égalité» pour les Afro-Américains, généralement prôné par la gauche, elle se trace une voie médiane.
Une posture d'équilibre mise à rude épreuve en 2015, après l'attentat de Charleston qui fait neuf afro-américains morts dans un temple méthodiste. L’assaillant est un jeune suprématiste blanc, armé d'un Glock et d'un drapeau des Confédérés.
A la demande de la gouverneure et après un débat passionné, la législature de l'Etat accepte de décrocher le drapeau confédéré, placé sur un spot bien en vue, devant le Capitole de l'Etat.
Nikki Haley acquiert une renommée politique nationale en 2016, en pleine campagne présidentielle, lorsqu'on susurre son nom comme possible vice-présidente. Aux côtés de Donald Trump? Pas du tout. La républicaine soutiendra deux candidats avant d'appeler, tièdement, à voter pour le magnat de l'immobilier, contre lequel elle ne mâche pas ses critiques.
L'intéressé réplique violemment sur Twitter: «Elle est très, très faible en matière d'immigration clandestine», argue-t-il. Puis c'est à elle, un mois plus tard, de réprimander le milliardaire pour ne pas avoir condamné les groupes de suprémacistes blancs comme le Ku Klux Klan, ou pour l'interdiction temporaire d'entrée sur le territoire des musulmans, que Nikki Haley juge «non américaine» et «inconstitutionnelle».
Mais comme le dit l'adage, qui aime bien, châtie bien. Malgré les désaccords et les tensions publiques, le 45e président des Etats-Unis propose à sa détractrice préférée un poste dans son cabinet. «Un choix étrange», tranche Slate.
Aux journalistes qui s'étonnent, Nikki Haley explique: «C'était un ami et un partisan, avant de se présenter à la présidence, et il était gentil avec moi à l'époque. Mais quand je vois quelque chose qui me met mal à l'aise, je le dis.»
Peu sensible aux critiques qui pointent son manque d'expérience en politique étrangère, la toute première fonctionnaire indo-américaine de l'administration démissionne de son poste de gouverneure. Direction le siège des Nations Unies, à New York, où elle embarque le mari, les enfants, le chien Bentley, les deux grenouilles à ventre rouge LeBron et Dwyane et le poisson rouge, Paige.
Deux ans au poste, solidement arrimée au milieu du tourbillon de démissions et de licenciements dans cette administration instable. L'ambassadrice contribue à atteindre certains des principaux objectifs diplomatiques de la présidence Trump.
Après quelques années à l'écart des projecteurs et de la politique, recluse dans sa Caroline du Sud, Nikki Haley revient en 2022 pour tenter de rafler le poste suprême.
La route qui la sépare de la Maison Blanche est semée d'embûches. Donald Trump n'en est qu'une. Interrogée en février sur Fox News, cette «rare femme puissante dans la politique du GOP» a écouté patiemment le journaliste énumérer la longue liste de ses adversaires masculins potentiels.
Parmi eux: le gouverneur de Floride Ron DeSantis, l'ancien secrétaire d'Etat Mike Pompeo ou encore le sénateur Tim Scott, son compatriote, qui pèse sa propre candidature, mais bénéficie déjà du soutien de certains acteurs majeurs de la politique de Caroline du Sud.
Quant aux autres prétendants républicains, beaucoup hésitent encore à se mouiller. Par crainte, peut-être, de devenir un agneau sacrificiel sur l'autel d'un Trump ravageur.
Une peur que ne semble pas partager Nikki Haley, la première à plonger dans le bain de la campagne, face à son ancien patron. Lors d'une interview le week-end dernier, Donald Trump a révélé que Nikki l'avait elle-même contacté pour lui faire part de ses ambitions présidentielles. Loin de paraître vexé, le candidat a paru presque ravi à l'idée de voir la baignoire se remplir. Et de se trouver une cible directe.