Tous les ingrédients étaient pourtant réunis pour plonger l'opinion publique dans une série Netflix, pendant six longues semaines. Un ancien président des Etats-Unis théoriquement dans la mouise, une star du porno bavarde, une épouse humiliée, un avocat assoiffé de vengeance, condamné et radié du barreau, de l'argent caché, une campagne politique avariée, des gigaoctets d'échanges truculents.
Pourtant, et malgré une couverture médiatique abondante, le procès pénal contre Donald Trump fait ronfler dans les chaumières.
Il y a sans doute plusieurs raisons à cela. Le scandale sexuel annoncé n'en est pas vraiment un, au sens spectaculaire du terme. Personne, et surtout pas ses partisans, n'a jamais attendu d'un homme réputé pour «les attraper by the pussy» des mœurs immaculées. Sans compter que coucher avec une pornstar et rémunérer son silence n'est pas un crime. Même quand on est un (futur) président des Etats-Unis.
Enfin, la falsification de documents est un crime mineur et démontrer que tout ce cirque a été fomenté par Trump lui-même, pour gagner en 2016, sera un défi compliqué pour les procureurs.
Malgré les 34 chefs d'accusation qui pèsent sur l’accusé, difficile pour le quidam de trier les raisons pour lesquelles il pourrait vraiment tomber. Et si les douze jurés, qu'on dit «épuisés» et «sous pression», parviennent à un verdict unanime, une éventuelle condamnation a peu de chances d'envoyer le milliardaire en prison ou de perturber une course à la Maison-Blanche qu'il survole.
Si bien que les médias du monde entier se sont plutôt concentrés sur les à-côtés de cet énième procès, de la petite sieste que Trump s'est offerte, aux personnalités qui gravitent dans cette salle d'audience de New York.
Une chose est sûre, Donald Trump a bénéficié d'un intérêt des médias que n'importe quel politicien rêve un jour d'avoir. Tous les jours, depuis plus d'un mois, les micros se tendent sous son menton et devant le tribunal, sans qu'il n'ait à les convier. S'il n'a pas le droit de faire pleuvoir des insultes sur le juge, les témoins ou l'accusation, le candidat républicain a pu faire résonner sa campagne dans tout le pays, sans bouger ses fesses de New York.
Un «privilège» que les démocrates ont indirectement confirmé mardi, en démoulant une conférence de presse pirate, à deux pas du tribunal de Manhattan, avec un Robert De Niro en tête d'affiche, traitant Trump de «clown».
Robert De Niro: Donald Trump doesn’t belong in my city. We New Yorkers used to tolerate him when he was just another grubby real estate hustler masquerading as a big shot. A two-bit playboy lying his way into the tabloids. He’s a clown. But this person can’t run the country. That… pic.twitter.com/5LYzPnjVlL
— Biden-Harris HQ (@BidenHQ) May 28, 2024
Si cette frustration avouée est compréhensible, on peut s'interroger sur le bienfondé d'un tel déballage démocrate, devant la bâtisse où la justice américaine tente de faire son boulot de la manière la plus objective possible. Car l'argumentaire des apôtres MAGA est précisément de clamer que le procès contre leur poulain aurait été orchestré par l'administration Biden, pour le faire trébucher le 5 novembre prochain.
Si ce raisonnement est au cœur de la campagne du républicain, une «maladie» refait peu à peu surface, alors que le verdict approche: «Trump derangement syndrome»
Pour commencer, Donald Trump ment. La «communauté médicale» n'a jamais reconnu l'existence de ce «Trump derangement syndrome». Une étude avait même été réalisée en 2021 pour démolir la rumeur. Mais de quoi parle-t-on exactement? D'un terme qui ne date pas d'hier (ni de Trump), mais de 2003 et de George W. Bush.
Inventée par le psychiatre et chroniqueur politique (conservateur) Charles Krauthammer, cette affection fut définie ainsi:
Autrement dit, même si Bush avait annoncé vouloir offrir son salaire aux Américains, ses détracteurs auraient trouvé de quoi s’en offusquer. En gros: une allergie incurable qui empêcherait de juger objectivement un président et ses actes.
Sans grande surprise, Donald Trump et ses fidèles ont très vite sauté sur ce diagnostic pour justifier la moindre critique ou accusation à leur encontre. En 2016, il a pu surfer sur les réactions épidermiques que son élection avait suscitées chez des électeurs démocrates décrivant alors des symptômes purement physiques:
Là où ça se complique, c'est que malgré l'absence d'explication purement médicale, l'impossibilité croissante de ses ennemis à lui offrir le moindre crédit pourrait jouer en faveur du milliardaire.
Fareed Zakaria en avait fait lui-même l'expérience en 2017. Ce journaliste du Washington Post, alors très critique à l'égard d'un 45ᵉ président des Etats-Unis qu'il qualifiait de «cancer de la démocratie américaine», s'était pris les foudres du clan adverse, lorsqu'il a loué l'une de ses décisions dans le dossier syrien. Une décision qui, pour Fareed Zakaria, «reflétait un aveu tardif de Trump qu'il ne peut pas toujours donner la priorité à l'Amérique et doit agir en conséquence». On n'était pas vraiment au stade des louanges. Pourtant:
Sans verser dans la thèse politico-philosophique ou démouler le point Godwin, à quel moment un décideur politique est-il allé trop loin dans l'abjecte, le mensonge, la crapulerie ou simplement l'impopularité, pour qu'on ne soit plus en mesure de lui accorder une vérité, aussi dérisoire soit-elle?
Plus près de chez nous, on pourrait d'ailleurs penser que les Français sont frappés d'un «Macron derangement syndrome», tant ses faits et gestes semblent ne jamais convenir. Or, personne n'a jamais entendu le président de la République accuser la totalité de ses détracteurs d'en souffrir.
C'est là que la mauvaise foi et la paranoïa s'invitent à table. Dans l'esprit (et la stratégie) de Donald Trump, quiconque s'oppose à sa légitimité sera réduit à un «malade mental». Que ce soit Robert De Niro, Joe Biden, la Cour suprême, les juges à ses trousses ou... les douze jurés qui s'apprêtent à cracher le verdict. Douze hommes et femmes, douze citoyens américains qui sont déjà accusés par le clan MAGA de s'être exposés au TDS, durant le long week-end du Memorial Day, commémoration dédiée aux soldats américains morts en service.
L'avocate Alina Habba avait d'ailleurs demandé à ce que le jury soit isolé dans un hôtel jusqu'aux plaidoiries de ce mardi, demande que le juge Merchan a balayé. Attendu dès mercredi, le verdict de ce procès pénal risque de ne pas apaiser grand monde et offrir autant d'armes que de blessures aux deux camps.