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On a causé avec la femme qui a incité Trump à «perdre du poids»

On a causé avec la femme qui a incité Trump à «perdre du poids»
L'artiste Isabelle Brourman, alias Izzy, nous fait coucou le 21 mai 2024, juste avant d'entrer au tribunal de New York pour assister au procès pénal de Trump.Image: zoe chait, pour watson

On a causé avec l'artiste qui a incité Trump à «perdre du poids»

Tailleurs flashy et crinière blonde, Isabelle Brourman attire tous les regards dans la salle d'audience la plus scrutée de la planète. Mais ce sont ses dessins qui font jaser: armée de ses crayons, la New-Yorkaise croque le procès pénal contre le candidat républicain. Coup de fil à une dessinatrice de 30 ans qui considère Trump comme «un collègue de tribunal» et se dit «choquée par le charisme et le pouvoir physique qu'il dégage».
25.05.2024, 06:54
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«Je ne sais pas... Je suis incroyablement... comment dire... oui, c'est épuisant. Je suis si... épuisée. En même temps je suis pleine d'énergie, c'est étrange. Il y a de la fatigue émotionnelle, mais c'est aussi un boulot très physique. A la fois un marathon et un sprint. Bref... je vais bien. Je crois.» Samedi 18 mai, quand Isabelle Brourman décroche son téléphone, on ne peut s'empêcher de lui demander si elle survit. Sans oublier de lui avouer qu'on «tuerait pour être à sa place».

Depuis le 16 avril, cette New-Yorkaise de tout juste 30 ans se rend chaque matin (ou presque) sur Centre Street, à Manhattan, pour assister au procès pénal qui se tient contre Donald Trump. Isabelle n'est pas avocate. Ni témoin, juge ou même journaliste. Encore moins accusée de quoique ce soit. C'est une artiste. Sa mission? Dessiner ce qu'elle voit, entend, ressent, imagine parfois, planquée quelque part dans la salle d'audience la plus scrutée de la planète, où les caméras sont interdites et les places chères.

Isabelle Brourman dessine Trump depuis des mois au tribunal.
Trump, son avocat Todd Blanche et le juge Merchan, au moment de la sélection du jury.Image: Isabelle Brourman for New York Magazine

Sacré morceau pour cette Américaine qui évolue très loin de l'idéologie MAGA. Un abysse politique qui n'empêche pas la bouillonnante et excentrique jeune femme de prendre conscience, dès ses premiers coups de crayon à deux pas de l'accusé, qu'elle participe à «documenter quelque chose d'historique», de «bien plus grand» qu'elle et que Trump, «qui sera réellement compris dans plusieurs années».

«C'est incroyablement compliqué, parce que c'est si immense. Si important. Si dramatique. Il y a beaucoup de pression en raison de la nature historique de ce qui se trame. Et du fait que ce procès se déroule juste avant l'élection»
Isabelle Brourman

Disons-le d'emblée, Isabelle Brourman n'est pas née avec l'irrésistible besoin de passer sa vie dans un tribunal. Il y a deux ans, la bataille judiciaire entre Johnny Depp et Amber Heard va réveiller chez elle un sale souvenir. En 2021, elle avait accusé, avec cinq autres étudiantes, l'un de ses anciens profs d'agression sexuelle. Un trauma qui deviendra un déclic et la fera débouler au palais de justice de Fairfax, en Virginie, pour dessiner l'un des procès les plus controversés et retentissants de ces dernières années.

«Au procès Depp-Heard, tout le monde cherchait la vérité, d'une manière inédite et frénétique. Je me suis moi aussi investie dans la recherche de cette vérité, avant de me résigner, en quelque sorte, et de dessiner de manière assez instantanée»
L'artiste Isabelle Brourman, au bout du fil

L'expérience fut si «riche», «puissante» et «troublante» qu'elle remettra le couvert avec le 45e président des Etats-Unis. Une décision prise devant son poste de télévision, lors de la toute première mise en accusation du milliardaire, en juin 2023: «Je voulais dessiner cet homme de pouvoir. M’immerger dans l’avenir des Etats-Unis».

Une immersion qu'il a surtout fallu mériter.

Car la première fois qu'elle fait irruption dans le sillage de Donald, à l'occasion du procès pour fraude de la Trump Organization, la bataille fait rage devant le tribunal. Avant l'aube et surtout avant les autres, elle y campe pour être certaine de pouvoir s'y faufiler. Sans la moindre accréditation en poche, c'est le jeu cruel du «premier arrivé, premier servi» qui joue au portier. Avant d'être peu à peu repérée.

Et c'est peu dire: en quelques jours, Isabelle Brourman est devenue l'attraction préférée des acteurs de ce marathon judiciaire et réserve désormais ses oeuvres au prestigieux New York Mag.

NEW YORK, NEW YORK - NOVEMBER 13: Donald Trump Jr. stops to look at a courtroom sketch as he returns from a break during his civil fraud trial at New York State Supreme Court on November 13, 2023 in N ...
Isabelle Brourman en veston à carreaux et Don Jr. penché sur le travail des dessinatrices judiciaires. Le 13 novembre 2023, le fils Trump avait demandé à Isabelle et ses collègues de le dessiner de manière plus sexy. Bien sûr, elles refuseront.Getty Images North America

Trump: «C'est moi, ça?»

La procureure générale Letitia James est fan de son travail, les galeries d'art lui courent après, le New York Times ou le Daily Beast lui dressent des portraits élogieux. Jusqu'à Donald Trump, qui ne manquera pas de venir guigner sur son épaule. Quand on demande à l'artiste ce que ça fait de côtoyer Trump en personne, elle cherche ses mots avant d'évacuer la pression avec humour: «C'est un peu bête à dire, mais il est quasiment devenu un collègue de travail, depuis le temps.»

«La première fois que j'ai vu Trump, il a quasiment posé pour moi, assis, dans la salle d'audience. Il s'est soudain retourné, pendant que je le dessinais, comme pour maîtriser l'image et me dire qu'il m'offrait quelque chose. C'était assez improbable. Je riais, mais d'un rire nerveux.»
Isabelle Brourman

Un matin de décembre 2023, d'humeur taquine et inlassablement soucieux de son image, le milliardaire donnera également son avis sur le dessin de la New-Yorkaise. La presse américaine fera évidemment ses choux gras de cet échange aussi court que truculent:

  • «Impressionnant. C'est moi, ça?»
  • «Oui.»
  • «Eh bien, je dois perdre du poids!»
«Ce jour-là, Trump me faisait son numéro de charme, mais se montrait aussi inquiet de son poids. En regardant mon dessin, il disait que son cou paraissait trop grand. En s'éloignant, il a continué à pointer son cou du doigt, comme s'il voulait que je l'affine. Hélas pour lui, je suis la patronne, c'est moi qui décide!»
Isabelle Brourman, au bout du fil

Au bout du fil, plusieurs mois après cet échange lunaire, Isabelle Brourman, qui jure ne pas «enlaidir Trump volontairement», en est certaine: «Il a perdu du poids en avril! C'est pour ça que l'art est important, même dans un cadre aussi réglementé qu'un procès.» Alors que ses confrères dessinateurs tentent de reproduire ces longues et éreintantes journées au plus près de la réalité, Isabelle Brourman laisse ses yeux et ses oreilles se balader entre les bancs et les âmes. Pour créer. Car «𝕋𝕙𝕖 ℙ𝕖𝕠𝕡𝕝𝕖 𝕧. 𝔻𝕠𝕟𝕒𝕝𝕕 𝕁. 𝕋𝕣𝕦𝕞𝕡», est bien une oeuvre d'art. Au long cours. Baroque. Sinueuse. Poétique. Explosive. Punk.

Presque volontairement bordélique.

Et c'est fascinant.

Stormy Daniels à la barre, au procès Trump. Sous le trait d'Isabelle Brourman
Stormy Daniels à la barre.Image: Isabelle Brourman for New York Magazine

Sans jamais choisir entre l'impressionnisme, la fresque infinie, le pop art et le comic book, elle avoue avancer sous les ordres de son radar émotionnel, en quête d'un détail, d'une mimique, d'un geste furtif que personne n'a le temps ou le talent de remarquer. Des larmes de l'ancien contrôleur de la Trump Org, aux fringues colorées de la greffière, jusqu’au «calme inouï» de la procureure Letitia James, «toujours assise bien droite, sans bouger».

C'est pour cette raison que ses dessins sont aussi denses et que les personnages apparaissent parfois à double ou à triple. Si règles il y a, ce sont les siennes. Rien que les siennes. La pression et le stress conditionnent aussi cette volonté de tout collectionner comme une metteuse en scène qui n'aurait pas encore trié sa matière première.

L'analyse et la digestion, ce sera pour plus tard.

L'angoisse rôde

Histoire de s'emparer de la salle d'audience comme d'une scène, Isabelle Brourman adore «se déguiser» en elle-même. De quoi s'offrir «ce petit avantage stratégique d'être sous-estimée». Il y a dix jours, elle s'est par exemple rendue à Manhattan en costume rouge pétant à carreaux. Face à un journaliste du New York Times intrigué, elle balancera que «ça, c'est ma petite tenue de délinquante». Il faut dire que dès ses premières œuvres, elle a découvert le potentiel performatif d'une salle d'audience, où «tout le monde a son rôle à jouer».

Isabelle Brourman, en route pour le procès Trump.
Isabelle Brourman, en route pour le procès Trump.capture d'écran instagram

Des méfaits vestimentaires qu'elle fomente avec l'aide de sa partner in crime, Mia Vesper, une prêtresse du vintage. Dans sa garde-robe judiciaire, on trouve notamment des «tissus ouzbeks teints à base de légumes». Voilà Trump prévenu.

Une manière de se protéger. Mais aussi d'attaquer.

«Avec ce procès Trump, j'ai l'opportunité de raconter un important chapitre de l'histoire avec mon propre style et de prendre mes propres décisions. En ce sens, mon crayon est une arme. D'un autre côté, c'est mon excuse pour être ici. Et c'est ma façon de manœuvrer dans l'espace. Si je me sens mal à l'aise, je peux regarder mon papier et tenir mon bloc, qui me sert littéralement de bouclier.»
L'artiste Isabelle Brourman, au bout du fil

A-t-elle peur, parfois, dans cette salle d'audience? Sa réponse, quelque part, sera très américaine:

«Il m'est arrivé de me figer sur une angoisse, au beau milieu du procès. A cause de l'assaut du Capitole. Il peut se passer tellement de choses en Amérique. Je veux dire... Lee Harvey Oswald avec JFK... Jack Ruby qui assassine Oswald ensuite...»
Isabelle Brourman

La «puissance» de Trump

A l'autre bout de fil, Isabelle Brourman est très ouverte à la confidence et on sent qu'elle n'oubliera jamais l'incroyable opportunité qui est la sienne de s'emparer d'un procès aussi historique. Il y a Trump. Le vrai. Pas celui dont on croit tous s'être fait une idée, mais Donald John Trump, l'ancien et peut-être futur président des Etats-Unis. Dans une salle d'audience où tout est ressenti de manière décuplée: «Un simple stylo qui tombe au sol et toute la machinerie judiciaire est déjà perturbée. Alors quand Trump vous regarde, vient vous parler, l'intensité du moment est indescriptible».

«Alors que je croyais connaître son pouvoir de gourou des foules, j'ai pu ressentir son immense pouvoir physique. Ce charisme. Son pouvoir de persuasion est physique. Il l'incarne. J'ai mieux compris pourquoi tant d'Américains sont prêts à le suivre»
Isabelle Brourman, artiste

Pour Isabelle Brourman, derrière la dangerosité du politicien, il y a «Trump l'entertainer», «l'artiste de Broadway». Celui qui aimante, charme et... finit par manipuler les foules. «A cause de mon passé, dès qu'un homme comme Trump entre dans une pièce, je sais désormais qu'il a ce pouvoir.» Malgré tout, la New-Yorkaise nous assure que, dans ce procès pénal, l'imposant milliardaire ne peut plus faire son Trump: «La plupart du temps, il doit se taire et écouter. Il s'éteint». A-t-elle l'impression que le candidat à peur pour ses fesses?

«Je ne suis pas sûre que Donald Trump soit vraiment capable de ressentir de la peur. Qu'il soit même en mesure d'accepter ce genre d'émotions»
Isabelle Brourman

La sieste de Trump

Avant de prendre congé d'Isabelle, on s'excuse de poser une question qui peut paraître futile et un poil vieillotte. Mais comme elle y était, aux premières loges, on lâche la bestiole: Donald Trump s'est-il vraiment endormi pendant son procès? Elle empoignera la rumeur dans un grand éclat de rire, manifestement encore surprise par ce drôle d'épisode: «Bien sûr que Trump s'est endormi! Que puis-je dire de plus... Il s'est endormi. C'est fou, mais il s'est endormi. Je passe mes journées à l'observer, donc je me suis très vite rendu compte qu'un truc avait changé. Je veux dire... parce que tout son visage a changé d'expression».

«D'une minute à l'autre, il ne vous offre plus ses lèvres sérieuses, sa mâchoire serrée, ses sourcils froncés. Tout son visage se détend d'un coup. Trump s'endort. Durant son procès pénal. Et il s'en dégage une étrange atmosphère de paix. Surréaliste...»
Isabelle Brourman

On lui demande enfin si elle pense que le Trump qu'elle côtoie et dessine depuis plusieurs mois dans les tribunaux sera élu président des Etats-Unis. Une question qu'elle n'aime pas. On la comprend, ce n'est pas son boulot de prédire l'issue d'une élection. «En 2016, personne pensait qu'il allait gagner. Et, vous savez, je crois qu'il peut se passer encore beaucoup de choses jusqu'au 5 novembre», finit par lâcher notre interlocutrice, une certaine crainte au bout des lèvres.

Ce qui est sûr, c'est qu'Isabelle Brourman vit très bien sa nouvelle notoriété d'artiste punk des prétoires: «Je suis tellement immergée, qu'un jour je regarderai cette folle expérience comme une immense étendue d'eau. Plus personne à l'horizon mais, à la surface, une petite chose va peut-être flotter. Ce sera mon travail durant ce procès».

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Video: instagram
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