Vendredi, Daniel Penny s'est rendu de lui-même dans un poste de police new-yorkais. Vêtu d'un costard sombre, d'une chemise blanche, arborant une moustache taillée, ses poignets menottés, cet ancien militaire de 24 ans a été inculpé pour homicide involontaire.
Long story short: le 1er mai 2023, dans une rame du métro new-yorkais, le jeune vétéran de la marine américaine a étouffé à mort un sans-abri décrit comme «agité» et «hystérique», alors qu'il tentait de le maîtriser au sol. Il y a plusieurs hics dans cette histoire: tout a été filmé, Daniel est blanc, sa victime noire et n'était pas tout à fait un SDF comme les autres.
Jordan Neely, 30 ans tout rond, imitait Michael Jackson à la perfection. Fragile psychologiquement, la coqueluche des workers de Manhattan et des touristes de Times Square était aussi un individu connu des services de police, comme on dit. Quarante arrestations à son actif, la plupart pour tapage nocturne. Son père, dévasté, avait déclaré l'avoir biberonné aux Jackson 5.
Deux semaines après le drame, les tensions ne sont pas tues dans les rues de New York. Des manifestations s'organisent encore non loin de la station Broadway–Lafayette en hommage à la victime, dont la mort rappelle celle de George Floyd, il y a pile trois ans. De son côté, Daniel Penny plaide la légitime défense. Il voulait «se protéger» et «protéger les autres voyageurs». Mais le sujet est aujourd'hui politique, créant des tranchées jusqu'au Congrès. Et jusqu'à la parodie.
Pour les démocrates, Alexandria Ocasio-Cortez en tête, Daniel Penny est purement et simplement un «meurtrier». De leur côté, les conservateurs visent haut, puisqu'ils font du jeune homme un «héros de la nation». On trouve même du «Superman du métro» dans la bouche du député Matt Gaetz, fanboy ingérable de Donald Trump. Ron DeSantis, gouverneur de Floride et probable candidat à la Maison-Blanche, applaudit publiquement son «courage».
Certes, le clivage politique est aussi net qu'attendu, mais ce n'est peut-être pas le plus préoccupant. Alors que les Etats-Unis viennent de connaître une concentration de faits-divers sanglants, mettant en scène des citoyens qui se font justice, les républicains ne s'accrochent plus seulement mordicus à leur sacrosainte liberté de se défendre et d'user de son arme.
Les mots de Ron DeSantis, pour ne citer qu'eux, franchissent un cap: le soutien, torse bombé, à un prévenu qui, coupable ou non en sortie de tribunal, restera responsable de la mort d'un homme. Une tendance qui se propage d'ailleurs chez les nouveaux porte-voix de la droite dure américaine, notamment en ligne, puisqu'une cagnotte a été dégoupillée afin que le jeune vétéran puisse assurer sa défense. Le pactole a atteint deux millions de dollars en quelques petits jours, selon les avocats du militaire.
Et la plupart des généreux donateurs ne se contentent pas de glisser quelques billets sous le manteau. La star de country Kid Rock a promis 5000 dollars, alors que le podcasteur et polémiste de droite Tim Pool offre quatre fois plus.
On s'affiche, fiers.
I just donated $20,000 to Daniel Penny's Defense fund
— Tim Pool (@Timcast) May 15, 2023
Penny is the Subway Good Samaritan and we are lucky to have brave souls like him who are willing to do the right thing
I will elaborate on my position in my morning segment at 10amhttps://t.co/bfty04IAjl
Ainsi, la défense ne serait plus simplement légitime, comme le prévoit la loi, mais idéologique, voire logique. Et «gracier» devient peu à peu le verbe à la mode au sein du GOP, pour peu que l'on soit l'un des leurs, comprenez un vrai patriote, si possible ayant servi sous les drapeaux et qui aurait simplement voulu se défendre. Car Daniel Penny n'est pas le seul à bénéficier du pardon, va-t-en-guerre des ultra-conservateurs.
Citons par exemple un certain Daniel Perry, qui ne partage pas seulement une bonne partie de ses noms et prénoms avec le justicier du métro. Condamné il y a quelques jours à 25 ans de prison pour le meurtre d'un manifestant du mouvement Black Lives Matter, ce vétéran de l'Air Force est hissé en héros par des célébrités comme... Tucker Carlson.
Au point que le gouverneur du Texas, le très réactionnaire Greg Abbott, s'était engagé à gracier ce sergent, bien avant le verdict. Pour prouver sa bonne foi, Abbott a sommé le Texas Board of Pardons and Paroles, dont il nomme les membres (c'est pratique), d'accélérer les formalités.
Une tendance qui pourrait nourrir la campagne présidentielle de Donald Trump qui, on le rappelle, a promis de gracier «la plupart» des émeutiers du Capitole, en son propre nom et en cas d'élection en 2024. Lui-même empêtré dans les nombreux filets de la justice, il s'efforce de saboter minutieusement la crédibilité des tribunaux, considérant que «vous ne pouvez pas obtenir un procès équitable à Washington, vous ne pouvez pas». Tuer un célèbre SDF dans le métro de New York et tenter une insurrection, même combat? Le même message politique en tout cas: «Nous vous vengerons.»
Daniel Penny sera présenté à un juge de New York en juillet prochain. La victime, Jordan Neely, sera enterré le 18 mai prochain.