On n'avait plus vécu tel scénario depuis cent ans. Mardi, la chambre basse du Congrès américain s’est révélée tout bonnement incapable d’élire son nouveau président, au terme de trois anxieux tours de scrutin. La faute, entre autres, à un troll autoproclamé de la politique américaine, aussi délibérément malveillant que dépourvu de principes. Matt Gaetz, 40 ans, sourire clinquant et gueule parfaite de bon républicain. Fonction? Sénateur. Passion? Super méchant.
A la tête d'un groupuscule d'opposition (presque) aussi conservateur que lui, l'élu de Floride est parvenu à transformer la consécration annoncée de son collègue de parti, Kevin McCarthy, en séance d'humiliation publique.
«Si vous voulez assécher le marécage, vous ne pouvez pas mettre le plus gros alligator aux commandes de l’exercice», s'est contenté de justifier Matt Gaetz avant la tenue du premier scrutin. Lui, il ne craint ni de se placer en porte-à-faux, ni de clamer ses unpopular opinions. Au contraire, il en fait sa marque de fabrique.
Quand un Volodmyr Zelensky fait son discours en personne devant le Congrès américain, qui est l'un des seuls sénateurs à ne pas «applaudir comme un phoque», alors qu'un «dirigeant étranger en sweat-shirt faisait la leçon» à son pays? Matt Gaetz, pardi.
Vanity Fair le décrit comme le «pire parmi les pires». Slate comme «l'un des législateurs d'Etat les plus courageux ou les plus épouvantables du pays». Pour Mother Jones, nous avons affaire, je cite: au «membre le plus méchant du Congrès». Vous voyez le tableau.
Au fil des années et des tweets acharnés, l'avocat de formation s'est forgé une réputation de pugnacité. Entre deux louanges au parti républicain, ses saillies n'épargnent personne. Ni l'ancien gouverneur de Floride, ni la bénéficiaire de bons d'alimentation anonyme.
Yesterday I saw a lady at Publix use her "Access" welfare card. Her back was covered in tattoos. RT if u support entitlement reform #sayfie
— Matt Gaetz (@mattgaetz) October 2, 2013
Un sens du tapage médiatique que l'élu républicain partage avec son père spirituel, Donald Trump. Son modèle. Lorsque Trump qualifie Haïti de pays «de merde» en janvier 2018, Gaetz rapplique pour renchérir qu'Haïti est «déplorable», plein de «tôles et d'ordures».
Les deux hommes partagent plus que leur goût pour chambrer les démocrates et leurs interventions interminables sur Fox News.
L'ascension politique de Matt Gaetz a aussi été alimentée en partie par la fortune paternelle, qui lui a ouvert la voie grâce à une série de «manœuvres financières peu orthodoxes».
Originaire de Niceville, enclave endormie de 15 000 habitants, nichée dans une baie de Floride, Gaetz grandit dans une communauté presque exclusivement blanche de la classe moyenne, connue pour son festival consacré au «Boggy Bayou Mullet» - le poisson local. Les Gaetz passent leur temps libre dans la résidence secondaire de Seaside, ville voisine réputée pour avoir accueilli le tournage de The Truman Show.
Petit-fils de maire, fils d'un éminent sénateur républicain, cet avocat diplômé de l'université de Floride a la politique dans le sang. En 2010, il se lance dans l'arène, et ce n'est pas pour faire dans la demi-mesure.
S'il part en croisade contre les soins abordables et le droit à l'avortement, ce membre à vie de la NRA, qualifié comme «l'un des plus pro-guns à avoir jamais servi à l'Assemblée législative de Floride», défend avec ferveur le port ouvert des armes à feu.
Le projet de loi dont il est le plus fier? L'accélération des procédures dans les couloirs de la mort, pour que les exécutions aient lieu plus rapidement. Un texte grâce auquel la Floride a pu exécuter sept condamnés en 2013, le deuxième total annuel le plus élevé de l'histoire de l'Etat.
Si Matt Gaetz compte l'«immigration illégale» et les «terroristes musulmans» parmi ses principales préoccupations, oubliez la défense de l'environnement. Climatosceptique, il est opposé à l'Environmental Protection Agency (EPA), dont il propose l'abolition. Il restera également gravé dans l'histoire des Etats-Unis comme le seul élu du Congrès à s'opposer à une loi prévoyant de donner plus de moyens au gouvernement fédéral, pour combattre le trafic d'êtres humains.
Issu du Freedom Caucus, groupe ultra-conservateur de la Chambre, dont certains membres ont épaulé Trump dans ses efforts pour changer les résultats de l’élection présidentielle, Matt Gaetz n'hésite pas à clamer son soutien au groupe des Proud Boys - avant de finir par se rétracter.
Il y a finalement qu'une chose que Gaetz préférerait garder pour lui: sa vie personnelle et amoureuse. Et on le comprend. Son parcours étant jalonné de quelques épisodes peu glorieux.
En 2017, il est épinglé par le Miami Herald pour avoir mis au point un «jeu» avec un groupe de jeunes élus masculins pour noter leurs «conquêtes féminines», parmi lesquelles stagiaires et collaboratrices, avec un système de points. Quelques années plus tard, c'est ABC News qui révèle «photos et vidéos de femmes nues avec lesquelles il aurait couché», exhibées par à ses collègues, alors qu'il est déjà membre du Congrès.
Cependant, ce n'est presque rien face au scandale mis au jour en mars 2020 par le New York Times. Matt Gaetz est soupçonné d'avoir entretenu une relation sexuelle avec une mineure contre de l'argent. Les enquêteurs n'excluent pas que l'affaire soit liée à un système plus large de trafic sexuel d’enfants.
Une affaire loin d'être réglée, mais qui n'a pas empêché le politique de se fiancer la même année avec sa petite amie, Ginger Lucky, sur le golf de Mar-a-Lago d'un certain... Donald Trump.
Victime, selon lui, d’un complot ourdi par l’establishment, Matt Gaetz a fermement démenti les accusations de trafic sexuel. Dans le journal conservateur Washington Examiner, il s’est défendu: «Je ne suis pas un moine, et certainement pas un criminel». Un agitateur de la politique américaine, par contre, c'est certain.